50. Ô MORT, Ô MORT D’HORRIBLE ASPECT (trad) O Tod, o Tod, du greulichs Bild Mort, Enterrement

MORT                                                   N ° 50
ENTERREMENT


        Ô MORT, Ô MORT D’HORRIBLE ASPECT 
     O Tod, o Tod, du greulichs Bild, E 1666/67

             D’après le chant de Paul Röber
          « O Tod, o Tod, schreckliches Bild »

    Mélodie : Wenn mein Stündlein vorhanden ist
                 Es ist das Heil uns kommen her
                 Es ist gewisslich an der Zeit
                 Nun freut euch, lieben Christen gmein

                                              VII 8.7f, 8.7f / 8.8, 7f

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1. Ô mort, ô mort d’horrible aspect, 

    Image de colère,

    Crois-tu, ô mort, que tu m’effraies,

    Quand tes archers me serrent ?

    Vois-tu, mon cœur ne te craint pas,

    Ni ton pouvoir tombé si bas,

    Brisées que sont tes flèches !

Ps. 91/5

O Tod, o Tod, du greulichs Bild

Und Feind voll Zorns und Blitzen,

Wie machst du dich so gross und wild,

Mit deiner Pfeile Spitzen ?

Hier ist ein Herz, das dich nicht acht

Und spottet deiner schnöden Macht

Und der zebrochnen Pfeile.

2. Avec ton arc approche-toi

    Et vise au cœur, et juste !

    Par la souffrance frappe-moi,

    Par la douleur injuste ;

    A quoi veux-tu atteindre ainsi

    Puisque un jour je fuirai d’ici,

    Des murs de ta cellule ?

Komm nur mit deinem Bogen bald

Und ziele mir zum Herzen ;

In deiner seltsamen* Gestalt

Versuchs mit Pein und Schmerzen :

Was wirst du damit richten aus,

Ich werde dir noch aus dem Haus

Einmal gewiss entlaufen.

3. Ta porte, tes gonds sont brisés,

    Verrous, loquets, ferrures,

    Par Christ, mon Sauveur bien-aimé,

    Tes sceaux et tes serrures !

    A son triomphe il t’a menée,

    Huée, méprisée, enchaînée,

    Hors d’état de me nuire !

     * le palais de la mort est ébranlé

Matt. 27/66

Col. 2/15

Ich weiss, dass dir zerschlagen ist

Dein Schloss und seine Riegel

Durch meinen Heiland Jesum Christ ;

Der brach des Grabes Siegel

Und führte dich zum Siegesschau,

Auf dass uns nicht mehr vor dir grau ;

Ein Spott ist aus dir worden.

4. Regarde ce qu’est ton palais

    Et ce qu’est ton royaume,

    Si le nombre est encor complet

    De tes captifs, les hommes !

    Moïse, arraché de la mort,

    Avec Elie, sur le Tabor,

    En Christ se transfigure.

Deut. 34/6 

 

Matt. 17/3

Besiehe deinen Palast wohl

Und deines Reiches Wesen,

Obs noch anitzo sei so voll

Als es zuvor gewesen :

Ist Moses nicht aus deiner Hand

Entwischt und im gelobten Land

Auf Tabor schön erschienen ?

5. Où sont passés les saints anciens

    Qui furent mis en terre ?

    Ils sont au ciel et sous le saint

    Autel devant le Père :

    La main puissante de Jésus

    A fait un trou dans ton tissu,

    Quand il quitta sa tombe.

       *  Vers la vie éternelle

Apoc.

6/9-11

Wo ist der alten Heilgen Zahl,

Die auch daselbst begraben ?

Sie sind erhöht im Himmelssaaal,

Da sie sich ewig laben.

Des starken Jesus Heldenhand

Hat dir zersprengt all deine Band,

Als er dein Kämpfer wurde

6. Qu’est-ce à dire, ô Seigneur et Christ,

    Devant la mort je tremble !

    L’os mort d’Elisée rend la vie

    Au mort mis dans sa tombe :

    Toi, tu fais plus ! Prépare-moi

    A m’en aller auprès de toi,

    Et l’âme en paix, sereine.

II Rois

13/21

Jean 11/11

I Thess.

4/13-15

Was solls denn nun, o Jesu, sein,

Dass mich der Tod so schrecket ?

Hat doch Elisa Totenbein,

Was tot war auferwecket :

Viel mehr wirst du, den Trost hab ich,

Zum Leben kräftig rüsten mich,

Drum schlaf ich ein mit Freuden.

Texte :

O Tod, o Tod, du greulichs Bild
Paul Gerhardt 166/67
d’après « O Tod, o Tod, schreckliches Bild »,
de Paul Röber 1587 Wurzen –1651 Wittenberg.
CrSi 335/115
dans aucun recueil actuel
fr. : Yves Kéler, 2011

Mélodie :

Wenn mein Stündlein vorhanden ist,
d’après Ebeling 1666/67
Francfort – Main 1569, Strasbourg 1616
RA 485, EKG 313, EG 522

ou Es ist gewisslich an der Zeit
XVe S., Wittenberg 1529, 1533
mélodie du « Dies irae »
RA 427, EKG 120, EG 149
fr. : Devant ta crèche tu me vois
LP 100, NCTC 175, ARC 370, ALL32/09

ou Es ist das Heil uns kommen her
Mayence 1390, Nuremberg 1523/24
RA 176, EKG 242, EG 342

ou Nun freut euch, lieben Christen gmein,
Martin Luther, 1523,
sur le thème du « Maos Zur »,
chant juif de Hanouka
RA 322, EKG 239, EG 341


Le texte

source

Le chant est dérivé d’un cantique de Paul Röber, intitulé « 0 Tod, o Tod, schreckliches Bild ». Né en 1587 à Wurzen, décédé en 1651 à Wittenberg, Röber, de 19 ans l’aîné de Paul Gerhardt, avait été un des professeurs de celui-ci à Wittenberg. Röber était un remarquable esprit, doté d’une vaste culture philosophique, mathématique, musicale et poétique. Il a laissé le souvenir d’un excellent prédicateur, qui remplissait les églises, et d’un compositeur de cantiques, dont plusieurs, tel le nôtre, ont paru dans le recueil de Coburg en 1649. Paul Gerhardt a retravaillé ce chant et Ebeling l’a publié en 1666/67. Je n’ai pas trouvé à quelle époque Gerhardt avait fait ce travail, mais on peut supposer que c’est dans les années d’avant 1666, soit entre 15 à 10 ans avant sa mort en 1676. Le thème et la façon très personnelle de l’aborder plaide pour un homme mûr plutôt que jeune.

le plan du chant et le style

Le chant se divise en trois parties, de 2 strophes, puis de 3, puis d’une.

La première partie est l’affirmation que la mort est vaincue par le Christ, qui a brisé ses flèches et l’a traînée dans le cortège de son triomphe. La deuxième partie développe en trois strophes une thèse rare : l’enfer ne contient pas tous les hommes qui sont morts. Gerhardt va employer pour arguments deux exemples bibliques pour démontrer cette thèse : Moïse n’est pas dans le royaume des morts, puisque à la Transfiguration du Christ. il apparaît avec Elie, pas mort non plus mais enlevé au ciel. De même les martyrs enlevés au ciel d’Apocalypse 6/9-11. Dans ces deux parties, l’auteur s’adresse directement à la mort et l’apostrophe.

La troisième partie, qui forme la strophe finale, s’adresse au Christ, qui a fait plus qu’Elisée, avec la demande du fidèle que le Seigneur le fortifie ici-bas pour la vie éternelle.

Dans ce chant figure l’une des rares fautes d’accent que j’ai découvertes dans les textes de Gerhardt que j’ai étudiés de près. A la strophe 2, au 3e vers :

         ,           ,               ,             ,
« In dei – ner selt – sa – men Ges – talt – dans ta présentation étonnante. »

L’accent tombe sur le syllabe féminine creuse « – men », de « seltsamen ».

A la strophe 6, remarquez une figure de style courante chez Gerhartd : la répétition intensive d’un mot. Ici il s’agit de « Tod / tot – la mort / le mort ». La pronciation des deux mots en allemand est la même, le « -d » du nom « Tod » se prononce comme un « – t » dur, équivalent au « – t » qui se trouve dans l’adjectif « tot ». En français, le nom et l’adjectif « mort » ont également la même prononciation. Ce qui amène à prononcer trois fois « Tot » et « mort » en trois vers. Avec cette nuance enrichissante chez Gerhardt : chaque mot est différent : « Tod, Totenbein , tot. »

les images et les exemples

Dans la première partie du chant, Gerhardt emploie des images profanes pour caractériser la mort.

Strophe 1 : l’archer qui tire ses flèches acérées, « deiner Pfeile Spitzen », mais celles-ci sont brisées, « zerbrochnen Pfeile ». C’est une image empruntée à la mythologie antique et aux symboles militaires du Moyen-Age.

Strophe 2 : mais l’arc est toujours en état, et permet à la mort de tirer des flèches, non mortelles, mais qui produisent la douleur et la souffrance, « Pein und Schmerzen ». L’exemple nous en est donné par la figure très connue de Saint Sébastien, percé de flèches mais vivant, saint des malheureux malades chroniques et des suppliciés. Une deuxième image dans cette strophe : le chrétien s’évadera un jour de la maison-prison de la mort. S’agit-il de la demeure terrestre ou du séjour des morts ? Il est difficile de trancher.

Strophe 3 : l’image des portes de la mort et de leur système de fermeture, qu’on trouve déjà dans l’A.T. Le livre de Jonas, au chapitre 2 qui décrit la mort et la résurrection de Jonas, dit : « Les barres (des verrous) de la terre m’enfermaient pour toujours » (2/7). Or l’histoire de Jonas est considérée dans le N.T, et dans la bouche même de Jésus, comme le « type », le modèle à l’avance, de la mort et de la résurrection du Christ. De même, l’image des « portes du séjour des morts qui ne prévaudront pas contre elle (l’Église) » est employée par Jésus dans sa déclaration à Pierre dans Matthieu 16/18.

Gerhardt parle de « Dein Schloss und seine Riegel – Ta serrure et ses verrous », de fait les pênes de la serrure, qui à cette époque étaient souvent doubles ou triples (Note 1.) Une autre image complète la précédente : celle des scellés du tombeau : « des Grabes Siegel – les sceaux du tombeau », allusion à Matthieu 27/66 : « Après avoir scellé la pierre. »

La deuxième moitié de la strophe offre l’image du triomphe romain. Le « triumpus, plus tard triumphus », était une marche cérémonielle dans la ville de Rome, l’ « Urbs », très exactement menée selon un rituel officiel, de portée politique, militaire et religieuse, et accordée par le sénat aux généraux vainqueurs particulièrement valeureux. Le cortège traversait le forum et montait au Capitole pour un sacrifice à Jupiter Capitolin, au milieu d’un concours massif du peuple et de la plèbe romains. Le général vainqueur, au-dessus duquel était tenue une couronne de lauriers, était accompagné de ses troupes, exceptionnellement armées (Note 2), et suivi des vaincus de la guerre. Le général était acclamé par ses soldats du cri de « Io, triump(h)e », qui signifie probablement : « Jupiter (=Jo – pater), est vainqueur », ce qui attribue la victoire au Dieu. Les vaincus, enchaînés et dans une tenue misérable, étaient hués et injuriés par la foule. Souvent, ils étaient exécutés après la procession, peut-être dans l’idée d’un sacrifice humain. C’est ce qui arriva à Vercingétorix après le triomphe de César.

Gerhardt rappelle la « Siegesschau – le spectacle, ou la montre, de la victoire », la moquerie et la honte « Spott », et le fait qu’il n’est plus besoin d’avoir peur de l’ennemi, maintenant vaincu.
Dans la deuxième partie, il emploie des exemples bibliques pour argumenter sa thèse que déjà maintenant, l’enfer ne contient pas tous les morts, et que donc le pouvoir de la mort n’est pas « voll – complet », et que ceci préfigure la dépossession à venir de la mort.

Strophe 4 : « Besiehe deinen Palast wohl Und deines Reiches Wesen – Regarde ton Palais et l’état de ton Règne (de ton pouvoir) ». Le terme de Palast (ou Palas) – palais, désigne la partie résidentielle et représentative du pouvoir dans les châteaux-forts. Il est supposé être la partie intime, à l’intérieur des remparts et fortifications, avec un jardin, une fontaine. Le mot vient du latin Palatium, résidence de l’empereur romain sur le mon Palatin et siège du pouvoir impérial. St Paul y fait allusion dans sa lettre aux Philippiens 4/22 : « Tous les saints, principalement ceux de la maison de César vous saluent »

C’est là que vient le premier argument biblique : Moïse dans l’apparition de la Transfiguration, selon Matthieu 17/1-9, qu’on place traditionnellement sur le Mont Tabor. La tombe de Moïse n’était pas dans la Terre promise, puisque Dieu lui en avait interdit l’entrée. Selon Deutéronome 34/6, « L’Eternel l’enterra dans la vallée, au pays de Moab, en face de Beth-Peor. Personne n’a connu son sépulcre depuis ce jour. » Moab, c’est l’étranger en dehors de la Terre promise, en même temps que le pays de la mort, par opposition à celui de la vie qu’est Israël. Mais maintenant, dit Gehardt, « Moses ist aus deiner Hand entwischt und im gelobten Land, Auf Tabor erschienen – Moïse a échappé à ta main et, (passé) dans la Terre promise, est apparu « schön – en beauté » sur le Tabor. » D’ailleurs, dans cette apparition, se trouve aussi Elie, qui n’a pas de tombe terrestre et qui fut élevé vers Dieu, d’après II Rois 1/11. Sans citer Elie, Gerhardt déduit de ce fait que 2 personnes au moins ne sont plus au pouvoir de la mort.

Strophe 5 : le deuxième argument, Gerhardt le tire de l’Apocalypse, ch. 6/9-11, qui parle des martyrs sous le trône de Dieu, et peut-être du chapitre 7 et des 144.000 « marqués du sceau ». Les saints martyrs ne sont pas passés par l’enfer : ils ont été directement élevés dans le ciel, et on leur dit d’attendre la résurrection des autres plus tard. Mais comment peuvent-ils être déjà là ? Cela vient de la résurrection du Christ et de sa sortie du linceul, symbole de la prison de la mort. Jésus a déchiré, « zersprengt », fait éclater en morceaux, « all deine Band », tous tes bandeaux, parmi lesquels on compte classiquement le linceul et le linge de tête. L’enveloppe de la mort est donc trouée, et par ces ouvertures les martyrs morts pour et en Christ s’échappent vers le royaume de Dieu, au plus près de Dieu, sous son trône. Pas à sa droite ou à sa gauche, car là sont le Christ et l’Esprit, égaux de Dieu, ce que ne sont pas les hommes.

Dans la troisième partie, qui est aussi la strophe finale 6, Gerhardt constate que la « mort l’effraie toujours », même si elle est vaincue. C’est le rappel de la strophe 3, où la mort, désarmée, peut néanmoins donner douleurs et souffrances.

Une dernière image tirée de la Bible, de II Rois 13/20-21 : un homme qu’on allait enterrer, « est jeté dans le sépulcre d’Elisée. L’homme alla toucher les os d’Elisée, et il reprit vie et se leva sur ses pieds. » Gerhardt transpose ainsi : « Hat doch Elisa Totenbein Was tot war auferwecket – Pourtant les os morts d’Elisée Ont réveillé ce qui était mort. » Et Gerhardt en tire la leçon suivante : « Viel mehr wirst du… Zum Leben… rüsten mich – Toi, bien plus, tu vas m’armer pour la vie ». C’est-à-dire, toi Christ, tu fais bien plus qu’Elisée, et tu vas me préparer à la vie.

Cette suite d’allégories et d’images à propos de la mort, puis d’exemples bibliques, montre une connaissance approfondie des images poétiques gréco-latines, que la Renaissance avait réintroduites, et des textes bibliques. Et illustre ce qu’un auteur a dit au sujet de Paul Röber, le maître de Paul Gerhardt : « Lutherische Rechtgläubigkeit und poetisch gefasste Frömmigkeit schliessen sich keineswegs aus – Orthodoxie luthérienne et piété formulée poétiquement ne s’excluent en rien. »

 Note 1. Un « Riegel » est une barre qu’on pousse, du latin « regula – bâton droit, barre », ce qui peut avoir deux sens : 1° un dédoublement de l’expression « Riegelschloss – serrure à pêne », le pêne, sans ressort, étant actionné par le clé. Il y avait souvent 2 ou plusieurs pênes, actionnés par la même clé unique, d’où le pluriel « die Riegel – les pênes » ; 2° « la serrure et ses barres », c’est-à-dire deux objets différents : la serrure et des barres-verrous indépendantes placées au dessus et en dessous de la serrure, actionnées à la main, système courant à l’époque

Note 2. Il était normalement interdit qu’une armée romaine porte des armes à l’intérieur de la Ville. Seule la police était armée.