02b. INTRODUCTION AUX CHANTS

INTRODUCTION AUX CHANTS

        Les chants de Georges Kempf se caractérisent par les points suivants :

1. Théologie


        La théologie des textes est à la fois biblique, trinitaire et luthérienne.

        GK suit le récit de Luc 2/1-15, c’est à dire la naissance du Christ et son annonce aux bergers. Ce récit forme la lecture de la veille de Noël : il part de l’ordre de recenser d’Auguste (chant 1) et va jusqu’au chant des anges, le Gloria in excelsis, par lequel la méditation poétique s’achève au chant 17.

        La théologie trinitaire est affirmée à la fin de tous les chants, principalement sous la forme du Gloria Patri à la fin du chant.

Gloria Patri proprement dit : chant 1, 4, 8, 9, 17,
ainsi que sous la forme d’une prière :
           chants 2, 3, 5, 6, 10, 11, 12, 13, 14, 15.
Deux chants se terminent par une prière au Christ :
           chants 16, 18.

Les idées de base sont nicéennes, en particulier pour les deux natures du Christ et pour les relations internes de la Trinité.

        En cela GK suit Luther, qui achève la plupart de ses hymnes (structure IV 8.8, 8.8) par le Gloria Patri, selon la tradition des hymnes anciennes et médiévales de 4 vers de 8 syllabes. Luther voulait qu’on chante en allemand ce qui se chantait en latin, et pour cela il a traduit plusieurs hymnes anciennes, comme « Veni Redemptor gentium –Nun komm, der Heiden Heiland –Viens, Rédepteur des païens » ou « A solis ortus cardine – Christum wir sollen loben schon – Louons le prince Jésus-Christ. »

        GK emploie pour base le texte de la traduction de Luther, dont on retrouve par ci par là le vocabulaire et la formulation.

        Luthérienne est aussi la façon approfondie de célébrer l’incarnation du Christ dans le temps liturgique prévu. Noël est le début de la vie terrestre du Christ et de l’abaissement du Verbe, qui mourra sur la croix.

        Contrairement à Luther, Calvin avait supprimé la célébration de la fête même de Noël « in tempore proprio – à son temps liturgique propre », car elle n’existait pas dans l’Eglise primitive. Selon le modèle de la première Eglise, Calvin ne célébrait que les dimanches, mémoriaux de la résurrection du Christ. Il avait reporté la célébration de la naissance du Christ au dimanche le plus proche, en principe le dimanche précédant le 25/12. C’est là que se plaçait la 4e sainte Cène de l’année (Pâques, Pentecôte, 1er dimanche de Septembre, Dimanche avant Noël) . La célébration de la fête de Noël chez les reformés, français du moins, est entrée en usage au 19e Siècle. 

Les quatre temps du monde

        GK illustre aussi les temps liturgiques de l’année, ainsi que les quatre temps du monde.
Au chant 15 « Windeln und Krippe », il écrit à la fin : « Wie es von allem Anfang war Und bleiben wird ein ewig Jahr – comme il était dès le début et restera (en) une année éternelle ». Ces deux expressions font référence aux 4 temps du monde : 1° l’éternité avant la création, appelée la première éternité ; 2° le temps 1, dit temps ancien et correspondant à l’Ancien Testament, de la création à la naissance du Christ ; 3° le temps 2, le nouveau temps, correspondant au Nouveau Testament, qui va de la naissance du Christ à la fin des temps ; 4° l’éternité avec le royaume de Dieu. Deux des quatre temps sont l’éternité, non mesurable, et deux sont le temps, mesurable, de la création matérielle. 


2. Emploi de la forme de l’hymne antique et médiévale

        L’hymne, née dans les premiers siècles chrétiens, était une forme simple mais qui fut très fertile à travers bientôt deux millénaires. Elle se composait de 4 vers de 8 syllabes (parfois 7 ou 9), toutes masculines à de rares exceptions près. Ces chants avaient généralement 4 à 8 strophes, mais il existe des chants plus longs (22 strophes dans « A solis ortus cardine ») . Cette coupe poétique permettait de répondre à l’évangile et d’en faire un commentaire. Egalement de reprendre en musique un récit, pour les temps de grandes fêtes : Noël, Vendredi saint, Pâques, Ascension, Pentecôte et Trinité. Certaines hymnes sont plutôt des prières, tel le célèbre « Veni Creator Spiritus – Viens, Dieu, créateur, Saint-Esprit. »

        Cette forme a aussi l’intérêt d’exiger une forte concision chez l’auteur, car chaque phrase est close en 8 syllabes, les enjambements sont rares. Quatre idées sont donc développées par strophe, avec des rimes masculines et le respect des accents, pour exprimer une pensée claire et immédiatement comprise par le fidèle. De ce fait, elle exige aussi une bonne connaissance de la langue. Déjà en latin cette concision existait, favorisée par les déclinaisons et les conjugaisons, qui permettaient de placer les mots selon l’accentuation et non selon le déroulé de la phrase. La déclinaison et la conjugaison très précise, presque mathématique, du latin, permettait de remettre les mots à leur place.

        Georges Kempf maîtrise parfaitement le style de l’hymne, et sa connaissance approfondie de l’allemand classique lui permet des constructions savantes mais très prégnantes. Sa langue est très épurée, on sent un remarquable travail derrière les textes.

        GK fait partie de la Michaelsbruderschaft, qui chante les heures et les offices sur les modes grégoriens simples et accessibles aux pasteurs et laïcs. Dans ces offices les hymnes apparaissent systématiquement. En principe, chaque office est pourvu d’une hymne. GK connaît donc bien ce genre, et il l’emploie très naturellement.

Mono- et dissyllabes, majuscules pour Dieu, Christ et l’Esprit

       L’hymne classique se distingue aussi par la brièveté des mots, due à la nécessité de tenir le discours dans huit syllabes. De ce fait, la plupart des mots sont des monosyllabes ou des dissyllabes, beaucoup moins des tri- ou quadrisyllabes. Exemple : le chant 1, Auguste, comprend 142 mots pour 6 strophes, soit une moyenne de 24 mots. De ces 142 mots, 99 sont des monosyllabes, soit 69% ; 26 sont des dissyllabes, soit 20% ; 11 sont des trisyllabes, soit 9% ; enfin 2 mots sont  des tétrasyllabes, soit moins de 2%. Les mono- et dissyllabes représentent 69 + 20 = 89% des mots, soit les 9/10.

       GK met aussi une majuscule aux pronoms personnels et possessifs, aux articles et adjectifs possessifs, qui représentent les personnes divines. Ceci est une tradition dans certains textes allemands, mais elle est limitée. Ici il s’agit d’un choix personnel de l’auteur.


3. Le style des chants


Emploi des relatifs et articles

        Une caractéristique du style de GK est d’employer des pronom personnels, possessifs, ou relatifs, ou des articles, au début de l’incipit de ses chants. 11 chants sur 18 commencent ainsi, soit 61%, les 2/3.

Du :   Du, der das Senfkorn wachsen liess       (chant 12)
          O Du ewiger Gnadenbronn                     (chant 17)
          Gott, Du befreist von Schuld und Fehle  (chant 7)
Dein : Dein ist die Macht und all Gewalt          (chant 14)
Der :  Der Du die Herzen all regierst                (chant 3)
          Der Armen Helfer in der Not                  (chant 4)
          Gott, der Du Ewigkeiten lenkst              (chant 1)
          Gott, der Versprechen gibt und hält       (chant 5)
          Gott, der die Völker alle schuf               (chant 11)
Des :  Des Vaters Sohn von Ewigkeit               (chant 2)

        Seuls les chants suivants font exception: 6 :  Licht ; 10 : Sei ; 12 : Eh ; 13 : Allmächtiger ;15 : Von ; 16 : Geboren ; 18 : Lieber. Ces 7 incipits sur 18 chants représentent 38%, un gros tiers.

        Dans son chant « Der du der Sterne Bahnen schufst » (RA 249), traduction de « Creator alme siderum », GK emploie la même forme de style. Cette manière permet de chanter sur 8 notes un vers de 9 syllabes.

Contraction de syllabes selon la mélodie

        En allemand, beaucoup de mots à finale féminine peuvent être contractés. On écrira « gehn » pour « gehen », ramenant le mot de deux syllabes à une. GK emploie souvent des vers de 9 syllabes dans un e coupe de 8 syllabes. Comment faudra-t-il chanter ce vers.

        Prenons l’exemple du vers : « Lass uns erfahren durch alle Not », qui a 9 syllabes. Il faudra le ramener à 8 syllabes. Deux méthodes peuvent être mises en œuvre : 1° on contracte le mot « erfahren » en « erfahrn », faisant d’un trisyllabe un dissyllabe. 2° on raccourcit la prononciation des deux syllabes « fah – ren », qui se chantent chacune sur une note, par exemple une noire, pour les chanter sur deux demi-notes, soit deux croches. On aura 9 notes pour 9 syllabes, mais une note aura été divisée en 2 demi-temps.

        GK choisit, semble-t-il, la seconde manière, puisqu’il ne contracte pas les mots dans son écriture. Mais il laisse la porte ouverte à la première manière, qui peut se faire spontanément. Il suffit de dire clairement à l’assemblée ou au chœur quelle manière on désire. La manière habituelle du chant des paroisses est la contraction, d’ordinaire écrite dans les recueils. Pour les chorales en revanche, on peut employer la deuxième manière, qui laisse le mot entier et favorise la compréhension de l’auditoire.

Emploi de mots rares ou anciens

        GK emploie certains mots rares, tel, au chant 1 Auguste, « geschatzt – imposé, taxé », du verbe « schatzen », qui joue avec « schätzen – estimer », qui est le verbe du substantif qui désigne le recensement : « Schätzung. » Ce jeu de mots de la même racine rappelle que le recensement des populations a aussi des visées fiscales.

        Il emploie aussi des formes anciennes acceptées en poésie comme « gepreist » au lieu de « gepriesen », pour avoir la rime avec « Geist » (chant 15, str. 6, vers 1) . De même au chant 15, str. 6, vers 1 : « hochgeprist et  Geist. » La forme courte de ce participe passé s’adapte bien à la concision de l’hymne. Elle est employée par d’autres auteurs.


4.  Illustrations du livret

        Le livret est illustré de 7 photos. Les œuvres représentées, allemandes, françaises et strasbourgeoise, illustrent le caractère alsacien de l’œuvre de Kempf. Deux sont des peintures allemandes, une Nativité de Schongauer et  une crèche gravée d’Albrecht Dürer. Les 5 autres sont des statues : 2 françaises de Notre-dame de Paris, Joseph, puis Marie. Et 2 allemandes : la Marie de l’Annonciation de la Lorentzkirche de Nuremberg, un ange de Hans Brüggemann (1580-1540). Enfin un ange du Pilier de la cathédrale de Strasbourg, de l’atelier chartrain du transept sud.