14. Ô MONDE, VIENS, CONTEMPLE (rév-trad) O Welt, sieh hier dein Leben Passion, Vendredi saint

PASSION                                                 N° 14
SEMAINE SAINTE
VENDREDI SAINT


               Ô MONDE, VIENS, CONTEMPLE
         O Welt, sieh hier dein Leben, Pr 1647/48

      Passionslied – Chant de la Passion (E 1666/67)

                         I Pierre 2/21-25

           Mélodie : O Welt, ich muss dich lassen

                                                      VI 7f.7f.6 / 7f.7f.8

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                         A. Le portrait du Christ meurtri : LE MONDE – SIE – LUI

  1.Ô monde, viens, contempleO Welt, sieh hier dein Leben
 Spectacle sans exemple :Am Stamm des Kreuzes schweben !
 Ton Rédempteur en croix !Dein Heil sinkt in den Tod !
 On le frappe, on l’outrage,Der grosse Fürst der Ehren
 On lui crache au visage ;Lässt willig sich beschweren
 Il expire enfin sur le bois !Mit Schlägen, Hohn und grossem Spott.
2.Vois-le, plein de blessures,Tritt her und schau mit Fleisse :
 Couvert de meurtrissures,Sein Leib ist ganz mit Schweisse
 Son corps est tout en sang.Des Blutes überfüllt;
 Il endure, il supporte,Aus seinem edlen Herzen
 Et de sa bouche sortentVor unerschöpften Schmerzen
 De lourds soupirs d’épuisement.Ein Seufzer nach dem andern quillt.

 

                           BLes causes de ces meurtrissures : DU – ICH , TOI – MOI

  3.  Dans ce profond abîme,  Wer hat dich so geschlagen,
 Dis-moi, sainte victime,Mein Heil, und dich mit Plagen
 Pourquoi tu descendis !So übel zugericht’t ?
 Toi, le Saint, le Fidèle,Du bist ja nicht ein Sünder
 Oui, toi, notre modèle,Wie wir und unsre Kinder,
 Dis-moi : Quel crime as-tu commis ?Von Übeltaten weisst du nicht.
4.Mes péchés innombrables, Tel à la mer le sable,Ich, ich und meine Sünden, Die sich wie Körnlein finden
 T’attirent ce malheur.Des Sandes an dem Meer,
 Toute mon injusticeDie haben dir erreget
 T’amène au sacrificeDas Elend, das dich schläget,
 Pour sauver la vie d’un pécheur.  Und das betrübte Marterheer.

                           *  l’échange entre le Christ et moi

  5.  C’est moi que ta justice Ich bin’s, ich sollte büssen,
 Condamnait au supplice,An Händen und an Füssen
 Moi, qui devais mourir.Gebunden, in der Höll ;
 Les tourments, les blessures,Die Geisseln und die Banden
 Les coups, les meurtrissures,Und was du ausgestanden,
 C’est moi qui devais les subir.Das hat verdienet meine Seel.
6.Tu prends sur tes épaulesDu nimmst auf deinen Rücken
 Ma charge et tu t’immolesDie Lasten, die mich drücken
 Pour m’enlever ce poids.Viel schwerer als ein Stein.
 On t’agonit d’injures,Du wirst ein Fluch, dagegen
 Te crache à la figure,Verehrst du mir den Segen ;
 Pour moi on te cloue sur le bois !Dein Schmerzen muss mein Labsal sein.

 * le Christ veut prendre ma place

7.Tu te mets à ma place,Du setzest dich zum Bürgen,
 On te brise, on te casseJa lässest dich gar würgen
 Pour moi et mon péché !Für mich und meine Schuld ;
 On te met la couronneMir lässest du dich krönen
 Tout’ hérissée d’épinesMit Dornen, die dich höhnen,
 Tu souffres tout, sans murmurer !Und leidest alles mit Geduld.
8.À la mort tu te livres :Du springst in Todes Rachen,
 Ainsi tu me délivresMich frei und los zu machen
 D’une semblable horreur !Von solchem Ungeheur.
 Pour ma mort tu succombes,Mein Sterben nimmst du abe,
 Tu la prends dans la tombe :Vergräbst es in dem Grabe,
 Tu la détruis là, mon Sauveur !  O unerhörtes Liebesfeur !  

                         C.  La consécration au Christ : ICH – MOI

                           *  vivre en Christ

  9.  En toi, Christ, je demeure,Ich bin, mein Heil, verbunden
 Chaque jour et chaque heure :All Augenblick und Stunden
 Tu m’as lié à toi.Dir überhoch und sehr.
 Et ce que je veux faire,Was Leib und Seel vermögen,
 Ma joie et mon salaire,Das soll ich billig legen
 C’est de te servir dans la foi.Allzeit an deinen Dienst und Ehr.
10.Sauveur incomparable,Nun, ich kann nicht viel geben
 Je te suis redevableIn diesem armen Leben ;
 De tout ce que je suis ;Eins aber will ich tun :
 Prends, oui, prends tout mon être,Es soll dein Tod und Leiden,
 À toi seul je veux être,Bis Leib und Seele scheiden,
 Car pour toujours tu m’a acquis.  Mir stets in meinem Herzen ruhn.

                           *  le miroir de la foi

  11.  Quand je vois le spectacleIch wills vor Augen setzen,
 De ta mort : Quel miracleMich stets daran ergötzen,
 Pour mon cœur et ma foi !Ich sei auch, wo ich sei ;
 C’est un miroir pour l’âme :Es soll mir sein ein Spiegel
 En contemplant ce drame,Der Unschuld und ein Siegel
 Je sais que ma vie est en toi.Der lieb und unverfälschten Treu.
12.Que lourde est l’injustice,Wie heftig unsre Sünden
 Que grande est la malice,Den frommen Gott entzünden,
 Qui frappent durement !WieRach und Eifer gehn,
 Qu’horrible est le supplice,Wie grausam seine Ruten,
 Et dur le sacrificeWie zornig seine Fluten,
 Qu’ici je vois si clairement.  Will ich aus diesem Leiden sehn.

                           *  aimer et supporter

  13.  Par là je dois apprendreIch will daraus studieren,
 A mon cœur à ne prendreWie ich mein Herz soll zieren
 Que le chemin de paix,Mit stillem, sanften Mut,
 Comment il faut que j’aimeUnd wie ich die soll lieben,
 Mes ennemis eux-mêmes,Die mich doch sehr betrüben
 D’un cœur honnête, humble et parfait !Mit Werken, so die Bosheit tut.
14.Si les mauvaises languesWenn böse Zungen stechen,
 Me calomnient et mentent,Mir Glimpf und Namen brechen,
 Je veux le supporter.So will ich zämen mich;
 Au nom de ton supplice,Das Unrecht will ich dulden,
 J’accepte l’injusticeDem Nächsten seine Schulden
 Et je suis prêt à pardonner.Verzeihen gern und williglich.


                            D.  La mort en Christ : ICH – DU, MOI – TOI

15.En toi que je demeure,Ich will mich mit dir schlagen
 Et qu’avec toi je meureAns Kreuz und dem absagen,
 Au monde sur ta croix.Was meinem Fleisch gelüst’t.
 Je veux, sans réticence,Was deine Augen hassen,
 Laisser ce qui t’offense,Das will ich fliehn und lassen,
 Car pour toujours je suis à toi.So viel mir immer möglich ist.
16.Tes maux et tes souffrances,Dein Seufzen und dein Stöhnen
 Tes larmes, tes silences,Und die viel Tausend Tränen,
 Ta mort me conduirontDie dir geflossen zu,
 De la mort du vieil hommeDie sollen mich am Ende
 En croix, dans ton Royaume,In deinen Schoss und Hände
 Comme il advint au bon larron !Begleiten zu der ewgen Ruh.

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Texte :

O Welt, sieh hier dein Leben
Paul Gerhardt 1647/48
Cr SI 60/13
RA 76, 14 str. ; EKG 64, 15 str. ; EG 84, 13 str
fr. : LP 123, en 4 strophes
Cantate Bouxwiller, N° 18, en 7 strophes
rév : Yves Kéler 1985, str 1,3,5,10,15, 16
trad: Yves Kéler 2007, str 2,4,6,7,8, 9,11,12,13, 14

Mélodie :

O Welt, ich muss dich lassen
Heinrich Isaac, 1495/1505/1539
RA 76, EKG 64, EG 84
fr. : O monde, viens, contempleLP 123
O Jésus, notre frère
NCTC 187, ARC 450, ALL 33/01

Le texte

Le chant original de Paul Gerhadt date de 1647, et comporte 16 strophes. RA 1952 en donne 14 strophes, EG 1995 en garde 13. Le texte français, sous le titre « O monde, viens contemple », remonte à une traduction des Psalmodies moraves de 1785, qui figure dans Confession d’Augsbourg 1800, et qui a été prise dans « Confession d’Augsbourg 1859, traduction ne comportant que 14 strophes. Le même texte figure en 13 strophes dans la Psalmodie morave de 1846. De cette traduction, le Recueil luthérien de Paris-Montbéliard de 1923 a retenu sept strophes. LP 1938 a repris ce chant sous le N° 123, mais en lui enlevant trois strophes, et en modifiant la strophe 6. Les sept strophes du Recueil luthérien de 1923 se retrouvent dans le  » Cantate  » de Bouxwiller 1939, avec la modification introduite par LP, ce qui révèle la double source de ce recueil destiné aux Alsaciens évacués en 1939 dans le centre de la France, en Auvergne et au Limousin essentiellement. Ce qui ramène ce texte magnifique de 16 strophes à un croupion de 3 strophes dans LP ! Le texte de Alléluia 2005, après d’autres rabotages et réductions n’a quasiment plus de rapport avec l’original.

Il existe dans LP 122 un autre chant, intitulé « Tu vas donc au supplice », également un reste d’une traduction anonyme parue dans Confession d’Augsbourg 1800, et dont on trouve 4 strophes dans Conf. d’Augsbg 1859, 4 dans Paris-Montbéliard-Strasbourg de 1923, et finalement 3 dans LP. Dans l’état actuel, ce chant présente moins d’intérêt que le précédent. Le chant se trouve dans la Psalmodie morave de 1846 (n° 33, 4 strophes), et semble, par son style, remonter à une traduction du XVIIIe siècle. Il ne figure pas dans les Cantiques spirituels de Strasbourg de 1758.

La mystique

Tout le chant de Paul Gerhardt est une contemplation du Christ, avec un échange intérieur entre cette vision du Christ souffrant en croix, extérieur à moi, et les conséquences que ces souffrances et cette mort entraînent dans ma vie.

Après l’introduction en 2 strophes, qui est un appel au monde à regarder au Christ en croix, Gerhardt place une 2e partie de 6 strophes, les 3 à 8, qui forment un continuel aller-retour entre l’extérieur objectif et l’intérieur subjectif, entre le Christ, DU –TOI, et ICH – MOI, le fidèle. Vient une 3e partie, également de 6 strophes, les 9 à 14, qui est en ICH seul, mais qui contient une strophe en rupture avec les autres : la 12e . Celle-ci est composée d’une suite de 4 exclamations, « Wie – que », plus un verbe commençant par le même son : « Will –je veux. » Ces débuts de vers sont au nombre de 5 sur 6.

De cette contemplation, que Gerhardt « veut mettre devant ses yeux – Ich wills vor Augen setzen » (str.11), il faut que le fidèle apprenne, « studieren – étudier », (str.13), comment il doit « zieren – décorer, préparer » son cœur.

Le dernier apprentissage est celui de se crucifier avec le Christ : « Ich will mich mit dir schlagen Ans Kreuz… – Je veux avec toi me clouer À la croix. » Ce thème forme les 2 dernières strophes. Par les mérites du Christ, que celui-ci me communique dans cette commune crucifixion, je suis libéré du mal que lui prend en lui dans cet échange, et peux ainsi entrer dans son Royaume.

Cette préoccupation de l’apprentissage et de la connaissance est typiquent luthérienne. Luther insistait sur le salut par la foi que Dieu produit en moi. Mais cette foi ne peut naître en moi que si j’en connais l’objet, qui est le Christ dont la mort m’a sauvé. C’est pourquoi l’expression « Jesum kennen – connaître Jésus » revient si souvent chez Luther, en particulier dans ses chants.

La prosodie et le plan du chant

Cette contemplation mystique et ce dialogue continuel entraînent une structuration précise de l’ensemble du chant :

A. 2 strophes 1- 2 : le monde devant le Christ meurtri, SIE – LUI
B. 6 strophes 3- 8 : la cause de ces meurtrissures : MOI
                            le Christ et moi : alternance entre le DU du Christ
                            et le ICH du fidèle
C. 6 strophes 9-14 : ma consécration au Christ :
le Christ devant moi et en moi : ICH – MOI
D. 2 strophes 15-16 : la mort en Christ : DU –ICH , TOI – MOI

De fait, le chant se présente comme un polyptyque que le fidèle voit devant soi : 2 volets de 2 strophes à gauche et à droite, et 2 volets intérieurs, de 6 strophes chacun. Le chant est daté de 1647, il fait partie de la première œuvre de Gerhardt, âgé alors de 40 ans. Il dénote une remarquable maturité théologique et spirituelle, ainsi qu’une parfaite maîtrise, à la fois de la prosodie dans le détail du texte, et de la composition de l’ensemble du chant de 16 strophes.


La mélodie

C’est une des plus célèbres mélodies allemandes. Elle remonte au chant de Heinrich Isaak, qui fut banni d’Innsbrück et qui raconta son triste sort dans un chant, dont il composa le texte et la mélodie : « Innsbrück, ich muss dich lassen – Innsbruck, il faut que te quitte », en 1495. A Nürnberg, un inconnu reprit l’incipit et la mélodie et composa un splendide texte pour l’enterrement : « O Welt, ich muss dich lassen – Ô monde, il faut que te quitte ». En sorte que ce chant est connu et devenu célèbre dans sa version profane et dans la chrétienne. Son thème, porté par sa mélodie, donna naissance à un nombre important de cantiques développant les mêmes idées, dus à de grands auteurs, tels que Fleming, un contemporain de Gerhardt (1609-1640) : « In allen meinen Taten – A Dieu seul j’abandonne » (1640), et Tersteegen : « Wenn sich die Sonn erhebet – Quand le soleil se lève ». La mélodie a servi à plusieurs chants du soir, et Gerhardt l’a reprise pour son chant du soir : « Nun ruhen alle Wälder – Le bois repose calme », devenu lui aussi fameux. Voir sous ce titre au N° 27.

Pour son chant de Passion, Gerhardt a repris, non seulement la mélodie, mais encore l’incipit du chant. L’incipit de « O Welt, ich muss dich lassen » devient : « O Welt, sieh hier dein Leben ». La douleur de la mort dans le cantique anonyme de Nuremberg et celle de l’exil dans le chant de Heinrich Isaak nous font passer directement à la douleur du Christ mourant, et peut-être déjà mort, du chant de Gerhardt, ainsi qu’à la douleur du fidèle. De même, le chant de Fleming de 1640, que Gerhardt connaissait probablement, développe le consentement du chrétien et entre dans la même catégorie. Tous ces cantiques, devenus de grands classiques, forment dans la conscience protestante allemande un ensemble dont les thèmes s’interpénètrent. Ces thèmes ont produit d’autres chants dans les siècles suivants.

L’emploi du chant

Le climat de cette mélodie, lente et méditative, et le thème de l’acceptation de la volonté de Dieu qu’elle porte, sont bien adaptés au texte.

Il existe deux rythmes différents :

1. celui de l’original allemand, en 4/4 – 6/4, qui fait alterner les blanches et les noires, et donne un caractère plus méditatif au chant. C’est ce rythme qu’il faut préférer, et introduire dans les paroisses, là où on le peut. Chanter le cantique fermement, sans traîner.

2. la forme simplifiée, qui a peut-être son origine dans une harmonisation de Bach, qui a été adoptée par les recueils français. La mélodie est ramenée à une suite de noires, freinée par une blanche à l’avant dernière et dernière note. Cette forme tend à uniformiser la mélodie, mais aussi à faire accélérer le chant : Il faut chanter fermement, mais pas trop vite.