SOIR N° 27
CONFIANCE
MORT
LE BOIS REPOSE, CALME
Nun ruhen alle Wälder, Pr 1648
Abendlied – Chant du soir (E 1666/67)
Esaïe 14/7-8, Prière du soir du « Paradiesgärtlein »
de Johannes Arnd
Mélodie: O Welt, ich muss dich lassen
VI 7f.7f, 6 / 7f.7f, 6
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A. la venue de la nuit
1. | Le bois repose, calme, | IHR-VOUS | Nun ruhen alle Wälder, |
Les gens, les bêtes dorment, | Vieh, Menschen, Stadt und Felder, | ||
Les champs, tout le pays. | Es schläft die ganze Welt ; | ||
Elève-toi, mon âme, | Ihr aber, meine Sinnen, | ||
Rends grâce à Dieu, acclame | Auf, auf, ihr sollt beginnen, | ||
Ton Créateur, quand vient la nuit ! | Was eurem Schöpfer wohlgefällt. |
2. | Le beau soleil se cache, | DU-TU | Wo bist du, Sonne, blieben ? |
Déjà la nuit l’arrache, | Die Nacht hat dich vertrieben, | ||
Nuit, ennemie du jour ! | Die Nacht, des Tages Feind. | ||
Un astre alors se lève : | Luc 1/78 | Fahr hin ! Ein andre Sonne, | |
Jésus, mon jour, s’élève, | Mein Jesus, meine Wonne, | ||
Vie et lumière, force, amour. | Gar hell in meinem Herzen scheint. |
B. le vieil homme et le nouveau
3. | Le jour maintenant sombre : | DER-LUI | Der Tag ist nun vergangen, |
Au firmament, en nombre, | Die güldnen Sterne prangen | ||
Les astres vont briller. | Am blauen Himmelssaal. | ||
J’irai, moi, les rejoindre, | Also werd ich auch stehen, | ||
Quand il faudra répondre | Wenn mich wird heissen gehen | ||
A Dieu et d’ici m’en aller. | Ps. 23/4 | Mein Gott aus diesem Jammertal. |
4. | Là, dans ma chambre obscure, | Der Leib eilt nun zur Ruhe, | |
J’enlève habits, chaussures, | Legt ab das Kleid und Schuhe, | ||
Mes vêtements mortels. | Das Bild der Sterblichkeit ; | ||
Mais Christ, lui, me rhabille | Eph. 4.24 | Die zieh ich aus. Dagegen | |
D’un vêtement qui brille | Apoc. 7/13 | Wird Christus mir anlegen | |
De tout son éclat éternel ! | Den Rock der Ehr und Herrlichkeit. |
* le corps
5. | Mes pieds, mes mains, ma tête, | Das Haupt, die Füss und Hände | |
Sont heureux que s’arrêtent | Sind froh, dass nun zu Ende | ||
Ma peine et mes travaux. | Die Arbeit kommen ist. | ||
J’attends mon vrai salaire : | Herz, freu dich, du sollst werden | ||
Le jour qui me libère | Vom Elend dieser Erden | ||
Des peines, des péchés, des maux. | Und von der Sünden Arbeit frei. |
6. | Allongez-vous, mes membres, | IHR-VOUS | Nun geht, ihr matten Glieder, |
Reposez dans la chambre, | Geht hin und legt euch nieder, | ||
Dans la paix d’un bon lit ! | Der Betten ihr begehrt ; | ||
On vous verra descendre, | Es kommen Stund und Zeiten, | ||
Un jour, en poudre et cendre, | Da man euch wird bereiten | ||
En terre, quand tout sera dit ! | Zur Ruh ein Bettlein in der Erd. |
C. prière de la nuit
7. | Le jour est à son terme, | ICH-MOI | Mein Augen stehn verdrossen, |
Déjà mes yeux se ferment, | Im Hui sind sie geschlossen, | ||
Mon âme en paix s’endort. | Wo bleibt denn Leib und Seel ? | ||
Pendant que je sommeille, | Nimm sie zu deinen Gnaden, | ||
Sur moi que tes yeux veillent : | Es. 62/6 | Sei gut für allen Schaden, | |
Fais que je me réveille encor ! | Ps. 121//7-8 | Du Aug und Wächter Israel. |
8. | Etends sur moi ton aile, | Prière au | Breit aus die Flügel beide, |
Jésus, Sauveur fidèle, | Christ | O Jesu, meine Freude, | |
Et garde ton enfant ! | Und nimm dein Küchlein ein! | ||
Si Satan me réclame, | I Pi. 5/8 | Will Satan mich verschlingen, | |
Ton ange alors proclame : | So lass die Englein singen : | ||
« Il est à Dieu, je le défends ! » | Dies Kind soll unverletzet sein. |
* vœu pour les siens
9. | Et vous, les miens, que j’aime, | IHR-VOUS | Auch euch, ihr meine Lieben, |
Qu’aucun danger, de même, | Soll heut Nacht* nicht betrüben | ||
Ne trouble votre nuit. | Ein Unfall noch Gefahr. | ||
Que Dieu tous vous préserve | Gott lass euch selig schlafen, | ||
Et que ses anges servent | Stell euch die güldnen Waffen | ||
De garde autour de votre lit ! | Ums Bett und seiner Engel Schar. |
* orig: heinte, = diese Nacht
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Texte :
Nun ruhen alle Wälder
Paul Gerhardt 1647
Cr Si 136/38
RA 261, EKG 361, EG 477
fr. : Yves Kéler 29.7.07
Mélodie :
O Welt, ich muss dich lassen
Heinrich Isaak 1495, Nuremberg 1555
chez Bartholomäus Gesius 1605
RA 261, EKG 361, EG 477
fr. : A Dieu seul j’abandonne
LP 309
O Jésus, notre frère
NCTC 187, ARC 450, ALL 33/01
Le texte
la structure du texte
les sources
Le bel incipit du chant est pris dans Esaïe 14/7-8 : « Nun hat Ruhe und Frieden alle Welt, … Auch freuen sich die Zypressen und die Zedern auf dem Libanon, und sagen : Seit du daliegst, kommt niemand herauf der uns abhaut ! – Maintenant toute le terre a le repos et la paix,…Les cyprès et les cèdres sur le Liban se réjouissent aussi, et disent : « Depuis que tu es couché là, personne ne monte pour nous couper. » Cet oracle vise la chute du roi de Babylone, probablement Nabonide, qui régna de 556 à 539, et que Cyrus vainquit en cette dernière année. La chute de l’empire babylonien et le règne de Cyrus ouvrirent une longue période de paix et de tolérance religieuse et politique. Les hommes et même les arbres se réjouissent. Gerhardt a-t-il choisi ce passage du prophète en cette année 1647, l’avant-dernière de la Guerre de Trente ans, pour exprimer le grand désir de paix, de tolérance et de cessation des destructions qui animait alors l’Allemagne ? C’est probable. Si on considère cet arrière-fond, le chant prend une dimension pathétique qui dépasse le niveau de l’individu pour atteindre celui de la nation.
La 2e source du chant est le livre de prières de Johannes Arnd « Das Paradiesgärrtlein », de 1612, livre de prières et de méditations qui eut un grand succès dans le luthéranisme jusqu’à la fin du XIXe Siècle. Il s’agit ici du « Abendgebet – la prière du soir » (Livre II, 2), qui devint une des prières du soir les plus utilisées après celle de Martin Luther.
la structure du chant
Le chant est composé de 4 doubles strophes, achevées par une intercession pour les « miens. » Les strophes sont placées tantôt sous Dieu, le Père, tantôt sous Jésus, le Fils. Les strophes 1,3,7 et 9 se réfèrent à Dieu, les strophes 2, 4 et 8 au Christ. Les strophes 5 et 6 sont neutres.
La 2e strophe fait monter le soleil spirituel du Christ, quand celui du jour, matériel, se couche. C’est la référence aux anciens chants du soir, dans lesquels Dieu nous garde de jour sous son soleil physique, et de nuit sous le soleil spirituel du Christ. D’ailleurs, ce refoulement du soleil par la nuit contient une certaine violence, que Gerhardt exprime : « Sonne…, Die Nacht hat dich vertrieben, Die Nacht des Tages Feind – Soleil…, La nuit t’a chassé, La nuit ennemie du jour. » On craignait la nuit, règne du Diable et des dangers. D’où cette invocation pathétique du Christ, lumière dans la nuit.
les chants du soir
Divers chants du soir, du Moyen-Age au 19e Siècle, expriment cette idée. Caractéristique est le chant de Nikolaus Herman, de 1560 : « Hinunter ist der Sonne Schein, Die finstre Nacht bricht stark herein. Leucht uns, Herr Christ, du wahres Licht, Lass uns im Finstern tappen nicht – Le rayon du soleil s’est couché, La sombre nuit tombe avec force. Brille pour nous, Seigneur Christ, toi la vraie lumière, Ne nous laisse pas marcher à tatons dans le noir. » (RA 257, EG 467). Ces chants du soir remontent à l’Antiquité, entre autres au fameux « Christe qui es luxet dies », du 6e Siècle. Ce chant a été traduit très tôt en allemand, dès 1526, où il apparaît à Wittenberg, dans l’entourage de Luther. Sous le titre : « Christe, der du bist Tag und Licht.» (voir RA 246). Cette traduction est peut-être de l’alsacien Wolfgang Meuslin (1497-1563). Une autre traduction, sous le nom de : « Christe, du bist der helle Tag », paraît en 1536, œuvre de Erasmus Alber, un disciple de Mélanchthon (voir RA 247, EG 469). Gerhardt s’appuie donc sur un solide fond antique, médiéval et réformateur.
les antinomies
Les huit strophes de 1 à 8 présentent huit antinomies. Sur les 6 vers de la strophe, chaque terme de l’antinomie représente 3 vers. Str. 1 : tout dort – moi je loue Dieu ; Str. 2 : le soleil se couche – Christ, le soleil se lève ; Str. 3 : au ciel sont les astres – moi je suis sur terre, mais je les rejoindrai. Str 4 : J’enlève mes vêtements terrestres – Christ me donnera un vêtement céleste. Str 5 : Mon corps se libère de son travail – je serai libéré du « travail » du péché. Str 6 : Mon corps repose en son lit – bientôt il reposera dans la tombe ; Str. 7 : Mes yeux dorment – ceux de Dieu veillent ; Str. 8 : Jésus me protège – Satan veut me dévorer.
Satan et la mort
On retrouve l’un des thèmes fréquents chez Gerhardt : Satan et la mort. Mais Dieu me délivre des deux. L’écho de la Guerre de Trente ans s’entend, le texte étant de 1648, dernière année de la guerre. Cet écho est faible, presque imperceptible, car l’éclat calme, limpide et confiant de ce chant le rend intemporel : qui ne sait pas le contexte du chant, ne le ressent pas. De ce fait, ce cantique est devenu un élément constitutif de la culture allemande, utilisable en tout temps.
le langage
Le langage est très simple et concret. La strophe 1 décrit la campagne et la ville qui s’endorment. À la strophe 4, Gerhardt raconte comment il enlève ses habits et ses chaussures, « Kleid und Schuhe ». A la strophe 5, « Das Haupt, die Füss, die Hände – La tête, les pieds, les mains » se réjouissent le la fin du travail, et « s’allongent, désirant leur lit », str 6. De même le langage spirituel est simple mais imagé : « Gott…, stell euch die güldnen Waffen Ums Bett und seiner Engel Schar – Dieu…, place les armes d’or Autour du lit et la troupe de ses anges » : les armes d’or sont les épées des chérubins.
Jesu, meine Freude
Cette image fondamentale de la piété allemande apparaît à la strophe 8. Johannes Franck la prendra en 1653 pour en faire l’incipit de son célèbre cantique « Jesu, meine Freude,Meines Herzens Weide – Jésus, ma joie, la pâture de mon âme. » Johannes Franck, (1618-1677), était de 11 ans plus jeune que Gerhardt. Il fut juriste, et maire de Guben, sa ville natale et mortuaire. Du même Johannes Franck, daté de 1649, le chant de Sainte Cène « Schmücke dich, o liebe Seele –Fais toi belle, ô mon âme », contient à la strophe 5 la phrase « Jesu, meine Freud und Wonne – Jésus, ma joie et mon allégresse ». Les mélodies de ces deux chants, toutes deux des chefs d’œuvre, sont de Johann Crüger. Cela montre bien l’étroite parenté de ces divers cantiques et les liens entres leurs auteurs.
La mélodie
Ebeling, en 1666, place ce chant sur la mélodie de « O Welt, ich muss dich lassen », de Heinrich Isaak, de 1495. En quoi il a bien choisi. Cette mélodie, qui était attachée au chant d’Isaak : « Innsbrück, ich muss dich lassen – Innsbruck, je dois te quitter », porte le thème de l’exil. Heinrich Isaak, grand musicien du XVe-XVIe Siècle à la cour impériale des Habsbourg, avait été banni d’Innsbruck. A cette occasion il composa ce chant, qui fut repris dans le chant d’enterrement anonyme : « O Welt, ich muss dich lassen », à Nuremberg en 1555. Ces deux chefs d’œuvre ont fortement marqué la piété de l’Église pour les cultes d’enterrement : « Je quitte cette terre, mon temps ici est fini, je remets tout à Dieu. » On retrouve ces éléments dans ce chant de Gerhardt, dans lequel les thèmes du texte et de la mélodie concordent.