006. INTRODUCTION AUX CHANTS DE PIERRE LUTZ

INTRODUCTION AUX CHANTS DE PIERRE LUTZ

                             par Yves Kéler

        Les chants de Pierre Lutz se caractérisent par le souci pastoral. Le choix des textes qu’il traduit le montre.

Les chants de l’année de l’Eglise : 11

        Les chants pour l’année de l’Eglise sont au nombre de 10. Ce qu’on remarque, c’est que la proclamation des grands évènements de la foi dans leur usage liturgique lui est moins importante que leur intériorisation.

        Ses deux chants de l’Avent l’illustrent bien. « Des cieux vers nous s’avance »  parle de recevoir ce Christ qui vient : str. 5 « Qui veut, plein d’allégresse, Embrasser cet enfant, Devra, dans la détresse, Partager ses tourments. » l’autre chant de l’Avent, « Veillez, enfants des hommes », est la proclamation de la repentance faite par Jean-Baptiste : « Purifiez vos cœurs, pour y recevoir le Messie ! » D’ailleurs, Pierre Lutz n’a pas traduit ou composé un chant de Noël. En revanche, le chant de Nouvel an « Tu nous as jusqu’ici conduits » reflète le même souci pastoral du berger qui conduit le troupeau, à la suite de Dieu et Christ, les grands bergers.

        On peut faire la même analyse pour les chants de Passion au nombre de trois, qui sont tous des réflexions sur la vie obtenue par la mort du Christ. Comment recevoir ce Sauveur mourant ?

        Les 2 chants de Pâques traduisent deux cantiques célèbres de la piété protestante : « Jesus,meine Zuversicht » et « Wach auf, mein Herz, die Nacht ist hin. » Les 2 chants nous appellent à entrer dans la vie nouvelle avec le Christ ressuscité.

        Deux chants pour l’Ascension et la fin des temps, « Wir warten dein, o Gottes Sohn » et Wachet auf, ruft uns die Stimme », nous communiquent la joie du retour du Christ à la fin des temps.

        Tous ces chants que Pierre Lutz a choisi de traduire sont du type « 3e cantique » du culte, c’est-à-dire des chants après la prédication, comme réponse du fidèle au message qu’il vient de recevoir.

Les chants pour l’Eglise, la Parole et les sacrements : 13

        Cette 2e section du Livre de cantiques contient 13 chants. D’abord des chants de louange et d’action de grâces classiques, tels « Lobe den Herren, den mächtigen König der Ehre » et « Nun danket alle Gott. »

        Et le très beau « In dir ist Freude » que Pierre Lutz a magistralement traduit. Je regrette que Henri Capieu se soit arc-bouté pour placer son chant, fort mal traduit et dans lequel il a oublié la répétition de la 2e partie, dans « Nos cœurs te chantent. » Ce chant a fini par donner son nom au recueil, illustrant ainsi la méthode médiocre des commissions françaises ! Le chant de Lutz a été éliminé de ARC et de Alléluia. Dans ce dernier livre, au N° 41/05, on a voulu rattraper l’oubli de Capieu et on a composé un redoublement final encore plus mauvais que le texte de Capieu ! Tout cela est très dommage.

        Pour le culte, Pierre Lutz a traduit le « Herr, dein Wort, die edle Gabe », de Zinzendorf et Gregor, des frères de Herrnhut. Ce chant en 2 strophes exprime l’amour profond de la parole de Dieu. Et surtout, il a traduit le « Vater unser im Himmelreich » de Martin Luther, sous le nom de « Dieu notre Père dans les cieux. » C’est un des meilleurs textes de Pierre, qui rend bien le mouvement du texte original.

        Un autre excellent chant de Pierre Lutz est sa traduction de « Es ist das Heil uns kommen her », chant pour la justification par la foi du chrétien, un chef-d’œuvre de Paul Speratus. Ici se révèle l’enracinement luthérien de Lutz. 

        Pierre Lutz s’est intéressé au Baptême, et il a traduit 2 grands classiques : « Ich bin getauft auf deinen Namen – Je suis à toi par le baptême » et « Liebster Jesun wir sind hier – Nous voici, Jésus, Seigneur », employés couramment dans les cultes de baptême. Malheureusement, avec le vide désespérant des livres français actuels, ces chants, qui n’y sont pas, disparaissent de l’usage et sont remplacés part le plaintif ARC 562 « Nos cœurs pleins de reconnaissance » Le chant de Pierre Lutz « Je suis à toi par le baptême » a été pris par NCTC, mais sous le « label » de la CHFPF (Commission d’Hymnologie de la Fédération protestante de France) , parce qu’on a voulu imposer des corrections inutiles.

        Pierre Lutz a aussi traduit le chant de Sainte Cène « Halt im Gedächtnis Jesum Christ – Garde en mémoire Jésus-Christ », qui suit l’année de l’Eglise. C’est un chant très pratique pour introduire la Cène, et dont la strophe finale permet de clore la communion.

        Un chant est consacré au matin-soir : « Devant ton trône, ô Dieu, je viens », qui traduit « Vor deinen Thron tret ich hiemit. » Pierre n’a pas traduit tout le chant, qui est un chant du matin. Il en a laissé la partie trinitaire, qui va des strophes 2 à 4, et n’a gardé que les 3 strophes 1, 5 et 7. Mais il intercale 2 strophes du soir, modifiant le caractère du chant, qui peut être chanté le matin, le midi ou le soir, selon le choix des strophes.

        A la fin de cette rubrique consacrée à l’Eglise, se trouve, sous le titre « Ministère pastoral », un chant qui exprime ce souci chez Pierre : « Mon âme chante le Seigneur », dans lequel il remercie Dieu de l’avoir appelé au pastorat, et dans lequel il décrit la responsabilité du serviteur de Jésus-Christ. Pour cela il emploie la « Magnificat », en se mettant à la place de Marie, l’humble servante. Et trois paraboles de Jésus : celle des Vierges sages et folles, celle du Jugement dernier et celle du grand festin. L’auteur se livre à une exégèse très fine de ces textes pour les appliquer à la fonction du pasteur. Le chant n’est pas une traduction d’un original allemand, mais une composition personnelle de l’auteur. Il s’agit d’un chant très rare et original, qui mérite d’être plus connu. 

Les chants pour la « Vie chrétienne » : 9

        Trois grandes rubriques sont traitées : l’amour de Dieu et du Christ, la confiance et l’épreuve, la mort et l’enterrement.

        Pierre Lutz a traduit 2 grands classiques, « Bei dir, Jesu, will ich bleiben – Près de toi je voudrais être », de Zinzendorf et Gregor, les deux grands chefs de la communauté des Frères moraves de Herrnhut, et « Herzlich lieb hab ich dich, o Herr – Seigneur, je t’aime de tout cœur », de Martin Schalling, né à Strasbourg en 1532 et décédé à Nuremberg en 1608, chant placé sur une mélodie strasbourgeoise de 1577. Ce chant a beaucoup servi dans les enterrements. Sa 3e strophe a été employée par Bach comme choral final de la Passion selon Saint Jean. La traduction de Lutz est vivante et suit bien le mouvement de l’âme et de l’esprit du fidèle. Ces deux chants font partie de la mystique luthérienne et piétiste et du mouvement de la « Jesus-Liebe – l’amour de Jésus », aux 17e et 18e Siècles. Ils révèlent aussi une partie de l’âme de Pierre Lutz, une piété intérieure mais ferme, discrète, heureuse en son Seigneur.

        Trois chants expriment la confiance en Dieu dans l’épreuve, ce sont « Ich steh in meines Herren Hand – Je suis dans la main du Seigneur », «  Was meinGott will, das gscheh allein – Que la volonté du Seigneur » et « Wer nur den lieben Gott lässt walten – Qui met en Dieu sel sa confiance. » Ces trois chants sont des classiques puissants, très employés dans les paroisses, et chantés sur des mélodies connues.

         Pour l’enterrement, deux types de chants :

1° deux chants longs, « Ach wie flüchtig, ach wie nichtig – Que précaire, qu’éphémère » et « Wer weiss, wie nahe mir mein Ende – Qui sait combien ma fin est proche. » Encore deux chants classiques des enterrements en Alsace-Lorraine ; ces chants se perdent malheureusement, suite à la francisation exagérée des Eglises protestantes en Alsace-Lorraine. Le premier a été moins employé en Alsace, je l’ai peu entendu. Mais le second était fréquent. Les deux représentent une méditation sur la fragilité humaine et sur le salut offert par Dieu.

2° deux chants courts, qui sont en fait des chants de sortie du culte d’enterrement. Le premier traduit le célèbre « Wenn ich einmal soll scheiden – A mon heure suprême », un classique incontournable des enterrements. Il a aussi été repris par Bach à la fin d’une des Passions. En fait, Pierre Lutz a révisé la dernière strophe de « Chef couvert de blessures » qui est la traduction par les frères moraves de Herrnhut du chant de Paul Gerhardt « O Haupt voll Blut und Wunden. »

        Le deuxième chant est une traduction de la dernière strophe de « Es ist ein Ros entsprungen – D’un arbre séculaire », une strophe qui ne semble pas être originale, mais qui exprime la sollicitude du Christ pour les pauvres et les malheureux.

Une œuvre surtout pastorale

        Ce tour d’horizon des chants de Pierre Lutz montre ce que j’ai indiqué au début : son souci pastoral. L’œuvre du salut exposée dans l’Année de l’Eglise n’est pas exprimée de façon liturgique et cultuelle brillante, mais reprise pour les fidèles, de façon à la fois communautaire et personnelle.

        Le fondement doctrinal est solide, à la fois biblique et luthérien. Les tendances piétistes de certains chants restent dans le luthéranisme, comme c’était le cas des premiers piétistes : luthériens de doctrine et piétistes d’expression.

        Pierre Lutz rappelle quelque peu Paul Gerhardt, à la cheville entre l’orthodoxie luthérienne et le piétisme : la doctrine es solide, et l’expression nuancée et chaleureuse.

        Martin Luther était beaucoup plus liturgique dans son expression, et son œuvre est programmatique, c’est-à-dire qu’elle traite méthodiquement de toutes les parties de la vie chrétienne de l’Eglise et des fidèles. Pierre Lutz a produit sur ce plan une œuvre programmatique, car son travail s’étend sur l’ensemble des rubriques du Livre de cantiques luthérien.

La prosodie et la langue de Pierre Lutz
 
        La prosodie de Pierre est délibérément classique, ainsi que le français qu’il écrit. Cela fait partie du programme du groupe de travail autour d’Ernest Muller : respecter les règles prosodiques et écrire en fonction de celles-ci. Pas de « Reviennent au Dieu trois fois saint » prononcé « Revienne au » en faisant disparaître la rime obligatoire après « –ent. » (Magnifique est le Seigneur, str. 2) De même, la construction de la phrase doit être correcte et immédiatement compréhensible au chanteur. Pas de « De ma vie et ta mort , Où ta mort est le gage Que la vie est mon sort » (O douloureux visage, str 2). De tels charabias étaient rejetés dans le groupe. A cause précisément des nombreuses fautes de prosodie et de français dans les textes de la Commission NCTC. Le niveau dans ces domaines a terriblement baissé en France depuis l’avant-guerre, où la composition des chants restait attachée aux règles classiques.

        Dans ce groupe de travail autour d’Ernest Muller, chacun de nous avait son style. Pour les traducteurs, Pierre était le classique, Pfalzgraf le liturgique cherchant l’exactitude du texte, Kéler le pratique, cherchant à rendre le chant accessible à l’assemblée en en conservant à la fois le sens voulu par l’auteur original et la dynamique du chant. Les autres ne traduisaient pas. Jean-Louis Decker produisait des oeuvres originales, très poétiques et suggestives dans la forme. Trunk était le moderne, excellent musicien, composant ses textes lui-même. Une de ses œuvres majeure est sa liturgie, malheureusement peu employée en entier (Le texte intégral le plus complet se trouve dans le Recueil canadien « Liturgies et Cantiques luthériens. ») André Wagner était un fin liturge, membre de la Alpirsbacher Kirchliche Arbeit, spécialisée en chant grégorien allemand. C’est lui qui mit au point la partie liturgique classique de « Alléluia, Bénissez Dieu. » Participaient aussi aux réunions et délibérations du groupe Alfred Neumann, Jean Guerrier, décédé en 2009, et Auguste Koch, ainsi que de temps à autres Théo Metzger.

        Ce groupe a trouvé une relève avec Danielle Guerrier, mais aucun groupe de travail  pour l’instant ne s’est formé autour d’elle.