ÉTERNITÉ
REPENTANCE
POÈME DE CIRCONSTANCE :
ne se chante pas
ENTENDS-TU L’ÉTERNITÉ ?
Hörst du hier die Ewigkeit
Am Schluss von Joachims Pauli
«Vorgeschmack der traurigen und fröhlichen Ewigkeit»,
Berlin bei Runge 1664
A la fin de l’
« Avant-goût de la triste et joyeuse éternité »,
Berlin chez Runge1664
Pas de mélodie pour cette coupe : VI 7f. 8f, 8f. 7 / 8f. 8f
.
1. Entends-tu l’éternité,
Toi qui fautes et qui fautes,
Lancé sur ta vaine route
En cheval tout affolé ? Jér 8/6
Si l’éternel te délaisse,
L’éternelle peine reste.
.
2. Crains les ires de ton Dieu
Et regarde où ton pied marche.
Laisse tout ce qui le fâche,
Laisse les chemins scabreux.
Sinon l’éternelle flamme
Rongera sans fin ton âme.
.
3. Deviens pieux, en juste vis,
Sers ton Dieu sur cette terre.
Prends les armes de lumière,
En bon serviteur agis :
Et les peines éternelles
Seront des joies éternelles.
.
Texte allemand
1. Hörst du hier die Ewigkeit,
Der du Schuld und Schulden häufest
Und auf schnöden Wegen läufest
Wie ein toller Hengst im Streit? Jér 8/6
Wird das Ewig dich nicht wecken,
Wird die ewge Pein erschrecken.
.
2. Fürchte dich vor Gottes Grimm
Und vermeide deine Tritte,
Wende deines Lebens Schritte
Von den bösen Wegen üm: *
Sonsten wird, mit ewgem Nagen,
Ewges Feur und Wurm dich plagen.
.
3. Werde fromm und lebe recht,
Diene dem, der dich erschaffen,
Mit des Lichts und Glaubens Waffen
Als ein treuer kluger Knecht:
Also wird vom ewgen Leide
Dich befrein die ewge Freude.
.
* üm : pour « um » : attraction de la rime avec « Grimm »
.
Texte
Hörst du hier die Ewigkeit
Poème de circonstance, à la fin du livre de Joachim Pauli
« Vorschmack der traurigen und fröhliche Ewigkeit –
Avant-goût de la triste et joyeuse éternité »
1664 chez Runge à Berlin
Cr – Si 356/126
Mélodie
pas de mélodie
.
Le texte
Ce poème n’est pas destiné au chant. Il est une postface au livre de Joachim Pauli de 1664, du nom de « Vorschmack der traurigen und fröhlichen Ewigkeit – Avant-goût de la triste et joyeuse éternité. » Sa coupe ne correspond à aucune coupe classique de choral connue couramment par les paroisses du temps. Contrairement à d’autres poèmes de Gerhardt sur des coupes inédites, aucun musicien, tels ses collaborateurs Grüger et Ebeling, ne s’est intéressé à placer une mélodie sur ce texte. Le fait que celui-ci, daté de 1664, ne se trouve pas dans les 120 « Pauli Gerhardi Geistliche Andachten » d’Ebeling en 1666/67, résumé de l’œuvre de Gerhardt, conforte cette constatation : Ebeling, qui connaissait probablement ce poème, ne le considère pas comme un chant. Il ne se trouve pas non plus dans les éditions ultérieures de la « Praxis », jusqu’en 1738, dernière édition probable. Ce poème est resté à l’état de postface du livre de Johannes Pauli.
Gerhardt compose ici une méditation sur l’éternité. Le titre même du livre de Pauli indique le sujet : l’éternité a deux faces, une joyeuse : « fröhliche », une triste : « traurige », inquiétante sinon terrifiante. En effet, l’éternité représente le salut éternel, le Royaume de Dieu, le festin des noces de l’Agneau, la vérité, la justice, la félicité. Mais aussi son envers, le châtiment, la perdition éternelle, la chute dans l’enfer avec ses souffrances éternelles, le Royaume de Satan, le mensonge, le tourment.
Ce thème était en vogue à l’époque. Il était un prolongement de la question de Luther : « Wie finde ich einen gnädigen Gott ? – Comment trouverai-je un Dieu de grâce ? » Irai-je au châtiment éternel ou serai-je sauvé ? Et par qui ? La réponse trouvée par Luther fut : je suis sauvé gratuitement par la foi en Christ qui a sacrifié sa vie pour moi, pour m’arracher à la colère de Dieu. C’est donc une question fondamentale de la foi : désiré-je une vie éternelle de paix et de joie par le Christ, ou bien me laissé-je aller jusqu’à tomber sous le châtiment éternel ?
deux exemples de l’époque
Plusieurs cantiques de l’époque soulèvent le problème, en particulier les « Ewigkeitslieder – Chants de l’éternité. » Deux de ces chants, composés au XVIIe siècle, formèrent bientôt une paire dans les livres de cantiques. Dans les derniers recueils, ils ont malheureusement disparu.
1° « O Ewigkeit, du Donnerwort – Ô éternité, mot de tonnerre ! » de Johann Rist 1642,
(1607-1667) EKG 324, RA 151, EG deest
2° « O Ewigkeit, du Freudenwort – Ô éternité, mot de joie ! » de Kaspar Heunisch 1692/5,
(1620-1690) EKG 325, RA 152, EG deest
Le premier chant est de Johann Rist, un ami de Paul Gerhardt, né la même année que lui, fondateur d’un cercle poétique, l’ « Ordre du cygne de l’Elbe », à Wedel, près de Hambourg. Il décrit en 5 strophes l’éternité comme une source d’angoisse : « Mein ganz erschrocknes Herz erbebt, Dass mir die Zung am Gaumen klebt – Mon cœur tout effrayé tremble, au point que la langue me reste collée au palais. » La crainte du châtiment alimente cette peur, ainsi que la longueur du temps : « O Ewigkeit, du machst mir bang. O ewig, ewig ist zu lang, Hie gilt fürwahr kein Scherzen – O éternité, tu me fais peur, Oh ! éternel, éternel, est trop long, Ici en vérié on ne plaisante pas. » La seule lueur d’espoir est la prière finale : « Nimm du mich, wenn es dir gefällt, Herr Jesu, in dein Freudenzelt. – Prends-moi, quand il te plaira, Seigneur Jésus, dans ta tente de joie. » L’éternité en soi est vide de contenu et de temps. Si la joie du Christ s’y rencontre, elle reçoit un contenu et devient un temps compréhensible pour le fidèle.
Le deuxième chant cité plus haut, « O Ewigkeit, du Freudenwort » a été écrit par Heunisch en réaction directe à celui de Rist. Heunisch est né en 1620, 13 ans après Rist, et mort en 1690. Son activité est décalée d’une génération par rapport à Gerhardt. Son chant n’est publié qu’en 1692 ou 1695. Heunisch reprend la structure et la formulation de Rist, ainsi que la mélodie, montrant clairement qu’il veut prendre le contrepied de ce dernier. Chez Rist, 3 strophes sur 5, les impaires 1, 3, 5, commencent par l’invocation « O Ewigkeit – Ô éternité. » Chez Heunisch, qui n’a que 4 strophes, 3 commencent par la même invocation. Heunisch inverse le thème : « O Ewigkeit, du Freudenwort,…, O Ewigkeit, Freud ohne Leid, … Weil mir versüsst die Ewigkeit, Was uns betrübet in der Zeit – O éternité, mot de joie,…., O éternité, joie sans souffrance,…, Car l’éternité adoucit pour moi Ce qui nous attriste dans ce temps. »
Or la mélodie de ces deux chants a été composée pour le premier, celui de Rist en 1642, par Johann Schopp, dans la même année, et revu par Johann Crüger en 1653. Ces deux musiciens étant des amis et des collaborateurs de Gerhadt, ce dernier, également ami de Rist, devait connaître ce chant. Nous sommes donc bien dans le même milieu partageant les mêmes idées. En revanche Gerhardt n’a pas connu le chant de Heunisch. Mais dans son poème pour le livre de Pauli, il en développe déjà la thèse.
Le plan de Gerhardt
Le plan du chant de Gerhardt est analogue et simple : Les strophes 1 et 2 développent le thème négatif : « Si tu ne te repents pas, l’éternité sera pour toi un temps de châtiment et de souffrance. » La 3e strophe développe le thème positif : « Deviens pieux, agis selon la volonté de Dieu, et l’éternité sera pour toi joyeuse. » L’auteur passe de l’appel au pécheur et à sa description dans la 1ère strophe, à l’appel au repentir et à un début de changement chez ce dernier, à la 2e strophe, et arrive à la 3e strophe à l’action concrète du fidèle qui lui ouvre le salut.
Gerhardt, comme Rist et plus tard Heunisch, opte aussi pour la répétition des mots. Il n’emploie qu’une fois le mot « Ewigkeit », dans le premier vers, en revanche il emploie 2 fois l’adjectif « ewig – éternel » dans les deux derniers vers de chaque strophe, ce qui forme un véritable leit-motiv. J’ai relevé ces 6 « ewig » en les écrivant en caractères gras.
Une référence biblique inattendue se trouve à la 1ère strophe dans l’image du cheval. Il s’agit de Jérémie 8/6. Parlant des pécheurs rebelles à Dieu, Jérémie dit : « Tous courent comme un cheval au combat », c’est-à-dire comme un cheval de guerre qui enivré devient sourd et incontrôlable, et ne fait plus que foncer dans la mêlée vers sa propre perte. Le verset 6 fait partie d’un oracle allant des versets 4 à 13, annonçant le châtiment de Dieu : « Je veux en finir avec eux, dit l’Eternel », v. 13. L’ombre de cet oracle de malheur se profile derrière l’image du cheval chez Gerhardt, qui décrit en somme le pécheur actuel auquel le poème s’adresse.