LE CHRIST SEIGNEUR VINT AU JARDIN (trad) Christus, der Herr, im Garten ging Passion, Vendredi saint tt

PASSION
VENDREDI SAINT


      LE CHRIST SEIGNEUR VINT AU JARDIN tt
              Christus der Herr im Garten ging

      Mélodie : Gesegn uns, Herr, die Gaben dein
                   Wenn wir in höchsten Nöten sein
                   Erhalt uns, Herr, bei deinem Wort



1. Le Christ Seigneur vint au jardin,
Pour y souffrir dès le matin.
Triste est la feuille à l’arbre vert,
Judas s’avance à découvert.

2. Il a trahi Christ lâchement,
Il a reçu du bon argent.
Il a vendu son Maître et Dieu,
Les Juifs étaient là tout joyeux.

3. Ils sont entrés dans le jardin,
Esprit en rage, cœur chagrin,
Avec des lances, des épieux,
Pour se saisir du Fils de Dieu.

4. Ils l’ont conduit au Sanhédrin,
Et puis de là chez le Romain.
Ils ont fouetté et couronné
Jésus, de lui se sont moqués.

5. Ils ont dit un jugement lourd,
Criant ensemble dans la cour :
« Enlève, enlève, à Golgotha,
Et qu’on le mette sur la croix ! »

6. Il porte un monde avec la croix,
Chargé par Dieu de tout cela,
La porte en son dos patiemment :
De lui coule et sueur et sang.

7. (9) Ils l’ont bientôt mis sur la croix.
Jean et Marie se tiennent là.
Son cœur est lourd, vraiment meurtri
A voir ainsi Jésus son Fils.

8.(11) « Mon bien-aimé disciple Jean,
Voici ta mère, occupe-t-en !
Prends-lui la main, éloigne-la
De mon martyre, épargne-la. »

9.(12) « Seigneur, je la fais avec foi
Et je veux l’emmener de là.
Je veux la consoler au mieux
Qu’un fils tout dévoué le peut. »

                         *

10.(14) Grand et bel arbre, courbe-toi !
Aucun repos n’a sur ce bois
Le Christ. Feuillage, sois en deuil,
Pleure, ô mon cœur, Christ ferme l’œil !

11.(15) Et les hauts monts se sont penchés,
Les gros rochers se sont brisés
Et le soleil fut tout voilé,
Les chants d’oiseau même ont cessé.

12.(16) Et les nuages crient d’effroi,
Les pierres donnent de la voix,
Les morts, sortis de leur tombeau,
S’avancent dans le jour nouveau.

Quatre strophes de l’original sorties du texte français :

3 Strophes antisémites

7. Il veut s’arrêter, épuisé,
Devant la maison habitée
Par un juif riche et courroucé,
Qui, méprisant, l’en a chassé.

8. Jésus se tait, mais Dieu bannit
Le juif, errant, toute sa vie.
Il ne pourra jamais mourir :
D’un point à l’autre il doit courir.

10(13). Arrive un juif, tison d’enfer,
Tenant sa lance au bout de fer,
Porte à Jésus un coup au corps:
De l’eau mêlée de sang en sort.

1 Strophe mariale

7(9). Ils l’ont bientôt mis sur la croix.
Marie sent en son cœur un froid :
« Malheur, malheur, mon pauvre cœur,
Je meurs accablée de douleur ! »


Texte

Christus, der Herr, im Garten ging
Auteur non indiqué
dans Praktischer Hausschatz des deutschen Volkes
Aus Chroniken, fliegenden Blättern und Handschriften
zusammengetragen. Stuttgart 1830. Reprint : Hildesheim 1980.
Supplement Band
Oskar Ludwig Bernhard Wolff 1839 Leipzig, S. 151
fr. : Yves Kéler 1.2.2014 Bischwiller

Mélodie

Gesegn uns , Gott, die Gaben dein
Kassel 1601
RA 371, deest EG

Mélodie

Erhalt uns, Herr, bei deinem Wort 1543
Martin Luther 1483-1546
RA 158, EKG 142, EG 193,
fr. : NCTC 237, deest ARC, ALL 47/08

Mélodie

Wenn wir in höchsten Nöten sein
Strasbourg 1545,
Johann Baptista Serranus 1567
Wittenberg 1567
RA 452 et 68, EG 366
(Serranus 1540 Lehrberg bei Ansbach (Franken)
Kantor à Ansbach,
pasteur à Vinzenzenbronn
près de Fürth, Nuremberg
mort à Vinzenzenbronn en 1600)


Le texte

Ce chant raconte la passion du Christ depuis l’arrestation du Christ au jardin de Gethsémané jusqu’à sa mise au tombeau et aux prodiges qui ont suivi sa mort. Il est caractérisé par des traits tirés des apocryphes, exprimant la piété mariale, et aussi de caractère antisémite.

Les strophes mariales :

La strophe 9 de l’original reproduit des paroles de Marie apocryphes. La strophe 11 allemande est à la limite du texte biblique. Jésus ne dit pas à Jean d’éloigner sa mère de la croix et du spectacle de sa mort. Il ne lui que de prendre soin d’elle comme d’une mère. Cette idée est probablement une interprétation forcée du verset de Jean 19/27 : « Dès ce moment, il la prit chez lui. » Dès ce moment est interprété au sens d’immédiatement, au lieu depuis ce jour.

La strophe 10 est curieusement construite : le vers 2 et le3 se répètent inversés : « Sie war betrübt von Herzensgrund, Von Herzen war sie sehr betrübt – Elle était triste du fond du cœur, Du cœur elle était très triste. » C’est peut-être un effet de style, à moins que le texte soit altéré. Une répétition de ce type se trouve dans « Christ ist erstanden von der Marter alle – Christ est ressuscité De la mort qui l’a frappé », à la strophe 2 : « Wär er nicht erstanden so wär die Welt vergangen. Seit dass er erstanden ist; So loben wir den Vater Jesu Christ – S’il n’était ressuscité, Le monde aurait été perdu. Depuis qu’il est ressuscité, Nous louons le Père de Jésus-Christ. »

Les 3 strophes antisémites : Elles se divisent en deux groupes.

a. Le mythe du « Juif errant » : (selon diverses sources sur Internet)

Cartaphilus : Les strophes 7 et 8 racontent le récit apocryphe du « juif errant. » La légende du juif errant commence au 13e siècle, « en 1228 par la chronique (Chronica Majora) du moine bénédictin Matthieu Pâris, qui relate le récit que lui fit un évêque arménien en visite au Monastère de Saint Albans. » Ce récit parle d’un portier romain du palais de Pilate, appelé Cartaphilus, qui brutalise Jésus, et que celui-ci condamne à errer éternellement :

« Lorsque Jésus fut entraîné par les Juifs hors du prétoire pour être crucifié, Cartaphilus, portier de Ponce-Pilate, le poussa par derrière avec le poing, en lui disant d’un ton de mépris :
Jésus, marche plus vite: pourquoi t’arrêtes-tu ? Alors Jésus, arrêtant sur cet homme un regard triste et sévère, lui répondit : je marche comme il est écrit, et je me reposerai bientôt ; mais toi, tu marcheras jusqu’à ma venue. » Ce nom de « Cartaphilus » viendrait du grec « charta philos », qui signifie « cher ami » et serait une allusion au disciple bien-aimé duquel Jésus dit à Pierre : « Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe-t-il ? » L’idée d’un témoin de la Passion qui ne mourrait pas avant le Christ s’est fixée sur ce portier légendaire, Jean le disciple étant lui bien mort.

Ahasveros : Mais au 16e siècle, le romain est remplacé par un juif, appelé « Ahasveros », de métier cordonnier. Allusion probable à la marche interminable, nécessitant de réparer ses souliers. Le nom même de « Ahasveros » semble remonter au roi perse de ce nom dans le livre d’Esther 1/1, « qui régnait depuis l’Inde jusqu’à l’Ethiopie sur 127 provinces » et qui va épouser Esther. Son nom est une variante du persan « Shwarshwach », transcrit par Xerxès, en grec, et Cyrus, en latin à partir du sémitique Koresh, qui figure dans la Bible, ou Assuérus, en latin directement tiré du perse. Dans le livre l’Esther, il a la réputation d’avoir sauvé les Juifs de la persécution. Mais dans la tradition médiévale, il va devenir un personnage fourbe, malhonnête, peut-être justement parce qu’il a sauvé ce peuple maudit aux yeux des chrétiens. C’est probablement pour cette raison que le juif errant va recevoir d’emblée ce nom, censé incarner tous les juifs réputés fourbes et malhonnêtes.

(Début de citation) Au début du XVIIe siècle, en 1602, la légende se répand en Europe. Au récit de Matthieu Pâris succède une lettre anonyme contenant le récit d’un évêque allemand, Paul d’Eitzen. Le personnage prend alors le nom d’Ahasvérus et le portier romain de la tradition devient cordonnier Juif. Plus que le coup porté au Christ, c’est la condamnation à errer jusqu’à la fin des temps que l’auteur met en avant. (Fin de citation)

Le riche propriétaire : Dans le chant présent, une autre tradition encore semble apparaître : le juif pauvre cordonnier est remplacé par un riche propriétaire d’une maison sur la parcours du Christ. La même chose se produit qu’avec le romain Cartaphilus : Le juif, mécontent que le Christ se repose un instant devant sa maison, le chasse. Mais ici Jésus reste muet. C’est Dieu qui chasse éternellement d’un lieu à l’autre celui qui a chassé le Christ, et le condamne à ne jamais mourir. Ce juif chassé de sa maison est une allusion au peuple juif, toujours à nouveau appelé à fuir sa résidence pour échapper à une persécution.

(Début de citation) Jusqu’au XXe siècle, le mythe du Juif errant connaît une grande fortune littéraire et artistique. Ses résurrections ont lieu sous les formes les plus inattendues, de l’image d’Épinal au héros de la laïcité, au paria et au prolétaire jusqu’ à la grande vague d’appropriation de cette figure par les Juifs eux-mêmes à partir de la seconde moitié du XIXe siècle.

(Matthieu Paris, Rencontre du Juif errant et du. Christ sur le chemin du calvaire, Manuscrit illustré de la Chronica Majora, 1240-1251, Cambridge) (citation sur Internet : Le mythe du Juif errant –Akadem www.akadem.org/medias/documents/4 -le-juif-errant.pdf ) (Fin de citation)

Le disciple bien-aimé : (Autre citation) Le mythe du Juif errant est absent des évangiles, il trouve une de ses origines dans un passage de l’évangile de Jean1 où Jésus dit à son sujet : « Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? » 2. De cette idée qu’un témoin de la Passion survivrait jusqu’au retour du Christ naquirent de nombreux contes populaires. (Fin de citation)

Datation du chant

Aucune date n’accompagne le texte original dans l’édition de Wolff citée. Si on considère que le mythe du Juif errant a connu une forte diffusion après 1602, par le récit de l’évêque Paul d’Eitzen, on peut dire que le chant est postérieur à cette date et doit se placer dans le cours du 17e siècle.

b.« Le juif à la lance »

A la strophe 13 : la tradition apocryphe du coup de lance par le soldat romain Longinus date du 5e siècle. Le nom de « Longinus » est dérivé du grec « lonché » qui signifie « lance », donc le « lancier. » Mais ici, le porteur de la lance est un juif. Je n’ai pas trouvé une source expresse de ce thème. Cette idée provient peut-être des représentations médiévales de la Synagogue aux yeux bandés et la lance brisée. La statue de la cathédrale de Strasbourg, chef-d’œuvre chartrain du 13e siècle, en est un bon exemple. Certains ont probablement interprété cette lance comme celle avec laquelle on avait percé Jésus.

Le juif est appelé « Höllenbrand – tison d’enfer », terme désignant un mécréant et un meurtrier qui finira brûlé en enfer. Il est appliqué ici au juif, pour signifier qu’un tel profanateur n’a d’autre avenir que l’enfer.

Les prodiges autour de la mort du Christ

La nature partage les souffrances du Christ? Cette idée vient probablement de la parole de Saint-Paul dans Romains 8/22 : « Ainsi la création attend-elle avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu. … La création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement. » Dans le 1er couplet la thématique est déjà annoncée : « Da trauert Laub und grünes Gras – Là étaient tristes feuillage et herbe verte. » Ces traits proviennent aussi d’apocryphes

Les strophes 10 à 12 reprennent le thème après la mort du Christ. Matth 27/46 dit : « Il y eut des ténèbres sur toute la terre. » Les versets 51-52 ajoutent : « Le voile du Temple se déchira en deux depuis le haut jusqu’en bas, la terre trembla, les rochers se fendirent, les sépulcres s’ouvrirent et plusieurs corps des saints qui étaient morts ressuscitèrent. » Le chant ne retient pas la déchirure du rideau, événement juif, mais met en valeur les évènements cosmiques. A la strophe 15 : le mouvement des montagnes, qui est le tremblement de terre, la fissure des rochers, l’obscurcissement du soleil. Le chant garde aussi la résurrection des saints, événement chrétien.

Mais ici aussi des détails sont pris aux apocryphes ou aux récits populaires : l’arbre et la branche qui se ploient en signe de révérence (thème rencontré aussi lors de la Fuite du Christ en Egypte : les arbres s’inclinent devant lui), les oiseaux qui se taisent, comme au moment annonciateur des tremblements de terre, les cris des nuages, tous éléments merveilleux des récits.

Ces points sont une illustration des détails dramatiques ajoutés aux récits biblique, détails que les Réformateurs demandent qu’on supprime tant dans la prédication ou la catéchèse que dans les cantiques. L’Eglise romaine a également nettoyé les textes des passages antisémites à partir du 18e siècle, mais elle a conservé la mariologie qui est partie intégrante de sa théologie. Remarquons que des traits anti-juifs se trouvent également dans certains chants protestants, aujourd’hui inemployés et même oubliés. Dans le Geistlicher Liderschatz d’Albert Knapp de 1835 il s’en trouve plusieurs.

La mélodie

Le texte donné par le Praktischer Hausschatz des deutschen Volks de 1839 ne donne pas de mélodie. Je propose trois mélodies : « Gesegn uns, Herr, die Gaben dein », qui a une tension interne qui pousse le texte. « Wenn wir in höchsten Nöten sein » est plus méditatif, alors que « Erhalt uns, Herr, bei deinem Wort » est plus dramatique, dérivant du Dies irae.


Texte original

1. Christus, der Herr, im Garten ging,
Sein bittres Leiden bald anfing.
Da trauert Laub und grünes Gras,
Weil Judas seiner bald vergass. 

2. Sehr fälschlich er ihn hinterging,
Ein schönes Geld dazu empfing;
Verkaufte seinen Gott und Herrn:
Das sahn die Juden herzlich gern.

3. Sie gingen in den Garten hin,
Mit zornigen und bösen Sinn,
Mit Spiess und Stangen die lose Rott (in einer Silbe)
Gefangen nahmen unsren Gott.

4. Sie führten ihn in’s Richters Haus,
Mit starken Striemen wieder raus,
Gegeisselt und mit Dorn gekrönt:
Ach Jesu! Wurdest du verhöhnt.

5. Ein scharfes urteil sprachen sie,
Indem der ganze Haufen schrie:
« Nur weg, nur weg, nach Golgatha,
Und schlagt ihn an das Kreuze da!

6. Er trägt das Kreuz, er trägt die Welt,
Er ist dazu von Gott bestellt.
Er trägt es mit gelassen Mut,
Es strömet von ihm Schweiss und Blut.

(7. Erschöpfet will er ruhen aus,                    1. antijüdische Strophe
Vor eines reichen Judenhaus.
Der Jude stiess ihn spottend weg,
Er blickt ihn an, geht seinen Weg)

(8. Herr Jesus schwieg, doch Gott den bannt, 2. antijüdische Strophe
Den Juden, dass er zieh durchs Land
Und kann nicht sterben nimmermehr
Und wandert immer hin und her.)

(9. An’s Kreuz sie hingen Jesus bald,
Maria ward das Herze kalt:
« O weh, o weh, mein liebstes Herz,
Ich sterb zugleich vom selben Schmerz.

10. Maria unterm Kreuze stund,
Sie war betrübt von Herzensgrund
Von Herzen war sie sehr betrübt
Um Jesum, den sie herzlich liebt.

(11. « Johannes, liebster Jünger mein,            (1. marianische Strophe)
Lass dir meine Mutter befohlen sein; (in einer Silbe)
Nimm sie zur Hand, führ sie von dann,
Dass sie nicht schau mein Marter an. » )

(12. « Ja, Herr, das will ich gerne thun,           (2. marianische Strophe)
Ich will sie führen allzu schon,
Ich will sie trösten wohl und gut,
Wie ein Kind seiner Mutter thut. »)

(13. Da kam ein Jud’, ein Höllenbrand,             (3. antijüdische Strophe)
Ein Speer führt er in seiner Hand,
Gab damit Jesum einen Stoss,
Dass Blut und Wasser heraus floss.)

14. Nun bück, Baum, nun bück dich Ast,
Jesus hat weder Ruh noch Rast;
Ach traure Laub und grünes Gras,
Lasst euch zu Herzen gehen das.

15. Die hohen Berge neigten sich,
Die starke Felsen rissen sich,
Die Sonn verlor auch ihren Schein,
Die Vöglein liessen ihr Rufn und Schrein (in einer Silbe)

16. Die Wolken schrien Weh und Ach!
Die Felsen gaben einen Krach,
Den Toden öffnete sich die Tür
Und gingen aus den Gräbern für.