O JESUS, TA CROIX DOMINE (rév) Passion, Consolation to

PASSION
Dimanche LAETARE

CONSOLATION

                             O JESUS, TA CROIX DOMINE to
                                     Révision de LP 143

1. O Jésus, ta croix domine
    Les temps, les peuples, les lieux ;
    Partout sa splendeur divine
    Met en fuite les faux dieux !

2. Dans les pages du Saint Livre,
    Le prophète avait chanté
    Ta mort qui m’a fait renaître,
    Ton sang qui m’a racheté !

3. Si, brisé par la souffrance,
    Je défaille quelquefois,
    Je renais à l’espérance,
    Bon Sauveur, près de ta croix.

4. Par les joies et les souffrances
    Que je sois sanctifié ;
    C’est ta main qui les dispense,
    O Seigneur crucifié !

5. O Jésus, ta croix domine
    Les temps, les peuples, les lieux,
    Et, dans la gloire divine,
    Bientôt tu viendras des cieux.

                             Texte :       O Jésus, ta croix domine
                                               Ruben Saillens 1935
                                               LP 143
                                               rév : Yves Kéler 2005

                             Mélodie :   O Jésus, ta croix domine
                                               J.S.Bach, 1685-1750
                                               LP 143, NCTC 202, ARC 449

Le texte:

     Ce très beau poème est de Ruben Saillens, qui s’est inspiré de textes de Bach. Il s’agit d’une contemplation de la croix, thème rare chez les protestants, en particulier français. Ce thème remonte à l’Antiquité et au Moyen-Age, qui ont produit des pièces importantes, desquelles Bach et beaucoup d’autres musiciens se sont inspirés. La construction du poème de Saillens est remarquable.

        La croix  » domine les temps, les peuples, les lieux.  » On trouve ici un rappel des Lamentations 1/12 :  » Je m’adresse à vous tous qui passez ici, et je vous demande : est-il douleur plus grande que la mienne ? « . Cette parole a été placée dans la bouche du Christ en croix, qui interroge tous ceux qui passent devant sa croix : tous les peuples, de tous les lieux. C’est le célèbre  » O vos ommnes qui transitis par viam, attendite, si est dolor sicut meus « , qu’on trouve inscrit sur de nombreux calavaires, en latin. Ou en allemand ou français. La réponse à cette question est :  » Il n’y a pas de douleur comparable, et personne n’a proposé un tel salut, sinon le Christ.  » De là sde tire une conclusion évidente :   » Les autres sauveurs sont des faux dieux.  » Cela renvoie au discours de Pierre devant le Sanhédrin en Actes 4/12 :  » Il n’y a de salut en aucun autre…  » Le  » O vos omnes « , souvent mis en musique, fait partie de l’office du Vendredi Saint l’après-midi, et se chante au moment où le Christ est en croix, un peu à la manière des 7 paroles du Christ. On peut aussi le chanter dans la première partie de l’office, pendant les lectures de l’A.T. qui préfigurent la mort du Christ.

        La deuxième strophe rappelle justement l’Ancien Testament, en particulier Esaïe 52, et le sang du Serviteur souffrant et de l’Agneau. L’annonce des prophètes légitime l’œuvre du Christ, comme le rappelle si souvent Matthieu :  » Ceci arriva, afin que s’accompluisse la parole du prophète… « 

       La troisième et la quatrième rappellent les souffrances du chrétien,  »  qui manque de défaillir « , belle image, rare dans un cantique. Les souffrances, comme les joies, sont des dons de Dieu, ou ici du Christ, pour nous éprouver et fortifier notre vie spirituelle. Mais le Christ a souffert beaucoup plus que moi :  » au pied de sa croix « , et dans la méditation de ses souffrances et du sens des miennes,  » je renais à l’espérance. « 

       La dernière strophe reprend le début de la première et repart dans  » l’universel « , après s’être concentrée sur  » l’individuel  » de ma personne. La  » splendeur divine de la croix  » devient la  » gloire divine du retour « , et ouvre vers l’éternité future ce qui avait commencé dans l’Ancien Testament et dans l’Evangile.

La révision du texte :

     Il n’y a pas de problèmes de sens, et seulement deux problèmes de prosodie :

      A la 2e strophe, une difficulté apparaît pour  » les prophètes ont chanté « . Le texte de Saillens suppose qu’on fasse la liaison :  » prophète zont « . Mais aujourd’hui, ces liaisons sont de moins en moins tenues : si on veut éviter  » prophète / ont « , ou  » prohètont « , il faut intercaler une lettre pour supprimer le hiatus : le  » t  » est la plus usitée pour cela : y a-t-il, etc… Ici, il est facile de dire  »  Les prophètes t’ont chanté :  » et de placer les deux phrases suivantes en apposition.

      A la 4e strophe, on trouve le problème de la séparation  » Joi – e « et  » envoi-e « , qui ne se fait plus aujourd’hui et qui est sentie comme lourde et désagréable. Il vaut mieux chercher une rime féminine portée par une consonne. J’ai donc inversé  » douleurs-joies  » en  » bonheurs-souffrances « , et changé  » tu envoies  » en  » ta main dispense « . Cela résout cette difficulté en conservant le sens voulu par l’auteur.

La révision de NCTC 202, reprise par ARC 449

     NCTC a introduit des changements qui semblent contraires à l’intention de l’auteur.

        A la première strophe, on ne voit pas pourquoi enlever la référence aux faux dieux. Il s’agit que la croix soit reconnue comme vraie, contre les faux sauveurs. Ici, on a placé la fin de l’hymne de Philippiens 2, alors que Saillens en est au centre : la croix. Ou cède-t-on ici à la crainte moderne chez certains chrétiens d’appeler faux dieux les autres dieux des  » peuples  » , et par là de renoncer au monothéisme trinitaire de nos confessions de foi ?

       La deuxième strophe élimine le  » sang qui m’a racheté « , selon une habitude des années 60-70, qui craignait de parler de sang dans un monde sanglant, chose qu’on trouve dans d’autres révisions de cette époque. Mais cette expression est une citation directe de l’évangile et des apôtres. Du coup, on introduit un anachronisme : le Ressuscité. Or ici, nous sommes dans la Passion, pas dans Pâques. Il eût fallu dire au moins   » O Jésus crucifié. « 

      La 3e parle de  » fuir loin de toi « . C’est tout à fait étranger au chant, qui parle de défaillir de douleur, et de rester près de la croix. Ce n’est pas le Christ qui nous tient près de sa croix, c’est nous qui y restons, de notre initiative.
 
       La 4e strophe évacue la souffrance, ainsi que la joie, acceptée de la main du Christ, pour parler  » d’entraîner sur les pas de ton amour « . Cela sent le poncif plaqué à la fin du verset.

       La 5e strophe reprend mot à mot l’original. La conformité avec la théologie eschatologique dominante n’y voyait pas d’inconvénient.

       De plus, on a évacué tous les  » je « , pour les remplacer par des  » nous « , sans raison. Là encore, on cède à une mode  » anti-individualisme supposé « . Or ce  » je  » est évidemment communautaire, comme c’est le cas dans tous les cantiques construits dans ce style ?

       Au total, cette révision donne un texte cahoteux, dont les expressions et les intentions premières ont été enlevées. Or il s’agit d’un chant très original, par son thème et par sa musique, bien liés entre eux.

La mélodie :

     Elle est de J.S.Bach, et a la particularité de répéter à la fin la ligne mélodique du début, avec une note de moins, la première ligne du texte étant féminine, la dernière masculine. La deuxième ligne, très animée, plonge, la troisième, retenue et progressive, monte. La dernière, freine par une arrivée sur une blanche, la seule de la mélodie, ce qui permet de s’arrêter en douceur.

        Cette mélodie, très tendue en même temps que méditative, permet à la pensée d’avancer de façon serré en même temps que mélodieuse. L’amplitude de la mélodie lui donne beaucoup de vie. A chanter fermement, mais avec douceur et retenue, pour laisser aux quatre diolets le temps de s’épanouir.