LOUANGE
PRIERE
ROI DES ANGES, MA LOUANGE
Yves Kéler
et
O MON PERE, MA PRIERE
Pierre Lutz
Mélodie : Roi des anges, nos louanges
Deux révisions du chant d’Alexandre Vinet :
ROI DES ANGES, NOS LOUANGES
Voici deux révisions du texte d’Alexandre Vinet :
– la première d’après le texte original , donné par LP 190
– la deuxième d’après le texte remanié donné par NCTC 272 = ARC 627
I
ROI DES ANGES, MA LOUANGE
Yves Kéler
1. Roi, des anges, Ma louange
Monte-t-elle jusqu’à toi,
Si toi-même, Dieu suprême,
Ne t’abaisses jusqu’à moi ?
O mystère, ô mystère,
Insondable sans la foi !
2. Ma prière, Dieu mon Père,
Irait-elle jusqu’à toi,
Si toi-même, Dieu qui m’aimes,
Ne descendais jusqu’à moi ?
O mystère Salutaire,
Adorable pour la foi !
3. De l’abîme Vers la cime,
Vers le trône de mon Roi,
O mon Père, ma prière
S’élève et monte vers toi.
Daigne entendre, Père tendre
La requête de ma foi.
4. C’est toi-même, Dieu suprême,
Toi que je demande à toi ;
Ta présence, ton absence
Sont vie ou sont mort pour moi !
Que ta grâce En moi fasse
Régner ta paix, Dieu mon Roi !
Texte : Roi des anges, nos louanges
Alexandre Vinet 1797-1847
dans: Chants chrétiens, 4 strophes, n° 63 p 136, Paris, 1864,
recueil réformé.
Nouveau Livre de Cantiques, n° 6 p 12, Paris, 1889,
recueil luthérien
LP 190, 1938: reprend ne varietur les deux précédents
révision : Yves Kéler, 2.5.2005r
Mélodie : Nom allemand: ?
Johann Gottlieb Schicht, 1753-1823 (ou Gottfried?)
fr. : Roi des anges, nos louanges LP 190
Ma prière, Dieu mon Père, NCTC 272, ARC 627
Le texte :
A. Ce cantique d’Alexandre Vinet est une réflexion double, qui commande sa prosodie :
1. sur la proximité et l’éloignement de Dieu, et sur la question de savoir si ma louange et ma prière atteignent ce Dieu lointain, selon qu’il est proche ou non. La question n’a pas une réponse simple, mais triple :
1° Si Dieu n’est que lointain, louange et prière l’atteignent peut-être, mais je ne le sais pas, et je ne constate pas un exaucement.
2° Si Dieu n’est que proche, ma requête l’atteint certainement, mais quelle est la puissance d’un tel Dieu ? Peut-il seulement exaucer cette requête ?
3° Si Dieu est à la fois lointain et proche, il est les Dieu souverain : le » Roi des anges « , le » Dieu suprême « , en même temps que » Dieu, mon Père » et » Dieu de grâce » : je sais qu’il est puissant et qu’il m’exaucera.
Alexandre Vinet construit son chant autour de cette interrogation et de sa réponse :
Strophe 1 : Ma louange, Roi des anges, monte-t-elle jusqu’à toi si jusqu’à moi
Strophe 2 : Ma prière, Dieu mon Père, irait-elle jusqu’à toi si jusqu’à moi
Strophe 3 : combinaison des deux thèmes :
» Ma prière, O mon Père, s’élève et monte vers toi
La requête Daigne entendre «
La quatrième strophe conclut : Dieu est présent et absent = proche et lointain :
» Toi- même Dieu suprême
Ta présence Ton absence
Vie mort
grâce
mon Roi «
2° sur l’intellect qui cherche à comprendre et la foi qui cherche à accepter
Alexandre Vinet expose cette problématique en répétant trois fois le mot » foi « , à la fin des strophes 1, 2 et 3. Dans les strophes 1 et 2, il parle du mystère, répétant le mot, une fois » sans la foi » : incompréhensible, une fois » avec la foi » : acceptable. Il combine ce mot avec » Roi « , qui est le premier et le dernier mot du poème. La royauté de Dieu est la grande fourche qui tient toute chose, lointaine ou proche. Le rapport du croyant avec ce Roi et exprimé dans les » toi » (7) et » moi » (3) successifs, qui se renvoient ou riment entre eux, et renvoient par assonance à » Roi » (3). En effet, le son » -oi » n’apparaît que pour ces trois mots, en un total de 5 + 3 + 3 = 13 occurrences. De plus, ce son commande toutes les rimes masculines du chant : 3 rimes X 4 strophes = 12 rimes, ce qui produit un rythme interne au chant : cette syllabe accentuée est celle sur laquelle retombe sans cesse l’accent de fin de phrase.
B. Prosodie et musique :
Ce chant de Vinet est un petit chef-d’œuvre de théologie et de piété, dans lequel on retrouve le professeur d’université et le simple croyant. C’est aussi un remarquable travail de prosodie et d’adaptation du texte à la musique.
Le texte est placé sur une mélodie dont la musique est manifestement une danse : le chant se développe comme une méditation spirituelle, mais dans laquelle le corps est emmené dans un mouvement physique. Les deux premières lignes forment un premier couplet et une première figure, qu’on répète, les deux dernières forment un troisième couplet et une deuxième figure, qui clôt le premier quatrain. A la fin de chaque couplet, on retombe sur le pied fort de départ. La pensée est ainsi entraînée dans un mouvement d’aller-retour. L’ensemble produit un effet mystique, dans la mesure où ce mouvement permet d’entrer dans une communion avec ce Dieu que je cherche et qui me trouve, communion que me » satisfait « , ce qui est un des principes de la mystique, c’est-à-dire de la révélation comprise et acceptée.
Le compositeur de cette mélodie est Johann Gottfried Schicht, (1753 Reichenau, près de Zittau – 1823 Leipzig). Elève de l’organiste Johann Trier de Zittau. Juriste de formation, il s’intéressa tôt à la musique et devint directeur des concerts du Gewandhaus de Leipzig, succédannt à Hiller, son premier directeur. En 1810, il devint Cantor de St Thomas, et lointain successeur de J.S.Bach. Il composa essentiellement de la musique d’Eglise, en particulier un remarquable Livre de Chorals pour l’orgue, en 1819. Les mélodies de Schicht étaient appréciées, car on en retrouve trois autres dans des chants du 19e Siècle :
LP 227 Qu’ils sont beaux sur les montagnes, de César Malan, 1824
et LP 414 La voix du Christ nous appelle, de Ruben Saillens, 1878
LP 312 Dans le désert où je poursuis ma route, de F.Chavannes, 1838
LP 413 Comme il est beau de voir des frères, de César Malan, 1827
La plus connue est la première des trois.
C. Dans la révision que je propose, j’ai essayé de respecter ces trois aspects.
Il me semble important qu’une réflexion, qu’on peut considérer comme philosophique et théologique, apparaisse dans un cantique, et que les questions que se pose un intellectuel cultivé ne tombent pas sous la table. En même temps, cette réflexion est une question que chaque croyant se pose, car elle est naturelle. Or les problèmes simples de l’humanité sont ceux que les philosophes et les théologiens essaient de clarifier, puisque ce sont des problèmes vitaux.
Alexandre Vinet (1797-1847) était un grand connaisseur de la littérature française, qu’il enseignait à la Faculté de Genève. Il a une poétique très rigoureuse, sans remplissage, cherchant à transmettre le message avec concision et clarté, et à atteindre aussi directement que possible le lecteur ou l’auditeur. J’ai donc essayé de respecter cette poétique. L’homme moderne ayant un autre rythme de pensée, il m’a paru intéressant :
1° d’ intervertir l’ordre de deux membres de phrase :
a. plutôt : » Ma prière, Dieu mon Père « , que » Tendre Père, ma prière «
b. plutôt : » Daigne entendre, Père tendre » que » O Dieu tendre, Daigne entendre »
Cela met aussi en valeur le mouvement, ascendant dans la phrase a, montant dans la phrase b:
2° d’enlever certaines répétitions, par lesquelles Alexandre Vinet voulait renforcer son discours, mais qui gènent l’auditeur moderne. J’ai pensé les remplacer par des expressions similaires et faisant avancer la pensée :
le 2ème » Dieu suprême « , à la 2ème strophe, et de mettre » Dieu qui m’aimes »
le 2ème » ô mystère « , à la 2ème strophe, et de mettre » Salutaire « .
3° clarifier le dernier vers, où Vinet parle de » mon Roi « , sans qu’on comprenne instantanément qu’il s’agit bien du » Dieu suprême » du début. La construction de Vinet : » Que ta grâce En moi fasse A jamais régner mon Roi « , est vétéro-testamentaire et typique des Psaumes : dans la même phrase, on parle à Dieu à la deuxième et à la troisième personne. La grammaire française ne permet pas cette construction, qu’elle considère comme une rupture de sens par changement de sujet ou d’objet, selon le cas. Choisissant de dire : » Dieu, mon Roi « , je suis obligé de remplacer les trois pieds de » A jamais » par deux pieds : j’ai introduit le thème de » la paix » (deux pieds), qui me semble résumer le chant, la paix réconciliant les deux thèmes opposés de la proximité et de l’éloignement, de l’absence et de la présence, de la mort et de la vie.
D. La révision de NCTC 272, reprise par ARC 627 :
NCTC 272, repris par ARC 627, donnent un texte remanié :
1° La première strophe a été carrément enlevée,
ce qui supprime l’interrogation sur le louange, et ne gardant que celle sur la prière. Il est évident que le chant de Vinet en est appauvri, car le Dieu transcendant est évacué au profit du seul Dieu de grâce, le Dieu proche. Et mon rapport avec lui est réduit de la combinaison louange-prière à la seule prière.
De ce fait, le mot » Roi « , qui commande la première strophe et renvoie à la fin de la dernière, disparaît. Il est probable que l’expression » Roi des anges » a gêné les réviseurs. La théologie actuelle ne sait pas trop quoi faire des anges. Ce problème est plus sensible en France qu’en Allemagne, où la » Saint-Michel et ses anges » est couramment fêtée le 29 septembre, et où les dimanches suivant cette date sont appelés » dimanches après la St Michel » , jusqu’au troisième (ou deuxième) avant la fin. Il peut y avoir jusqu’à six dimanches après la St Michel, de même qu’il y a six dimanches après la St Jean, qui se fête le 24 juin. J’estime qu’il faut laisser l’expression » Roi des anges » au début, pas seulement à cause de la rime avec » louange « , mais surtout parce que le mot » Roi » est le premier et le dernier du chant.
2° Certaines corrections sont bonnes :
» O mon Père « , à la place de » Tendre Père «
» Dieu qui m’aimes « , à la place de » Dieu suprême «
J’ai repris ces corrections dans ma proposition.
II
O MON PERE, MA PRIERE
Pierre Lutz
Pierre Lutz propose une révision qui repart de la forme donnée par NCTC 272=ARC 627 et la complète, sentant que cette forme est mutilée et appauvrie. Il propose le texte suivant :
1. O mon Père, Ma prière NCTC et ARC
Irait-elle jusqu’à toi,
Si toi-même, Dieu qui m’aimes,
Ne descendais jusqu’à moi ?
O mystère, insondable, Lutz
Adorable pour ma foi.
2. De l’abîme Vers la cime, NCTC et ARC
De la terre jusqu’aux cieux, Lutz
Ma prière, O mon Père,
Vers toi s’élève en tous lieux. «
O Dieu tendre, daigne entendre
Mes louanges et mes vœux. «
3. Je confesse Ma détresse, Lutz
Et combien faible est ma foi ;
Mais j’espère, Dieu mon Père,
Etre bien reçu de toi.
Que sans trêve Donc s’élève
Ton regard si bon sur moi.
4. Ta promesse Me redresse Lutz
Et me réjouit le cœur ;
Et ton aide Me précède
Sur la route du bonheur.
Que sans cesse Ta tendresse
M’accompagne, ô mon Sauveur !
5. C’est toi même, Dieu suprême, NCTC et ARC
Toi que je demande à toi ;
Ta présence, Ton absence,
C’est vie et c’est mort pour moi.
Que ta grâce En moi fasse
Chaque jour grandir la foi. Lutz
A. La révision de Pierre Lutz :
Cette révision accentue l’aspect de la foi dans ce chant, plutôt que celui de l’interrogation sur la proximité et l’éloignement de Dieu. Cela était déjà induit dans le texte de NCTC-ARC, par le fait de la suppression de la première strophe, laquelle pose cette question. Pierre Lutz part donc de l’état du texte de NCTC et fait deux choses :
1° il corrige certaines formulations, pour les clarifier :
strophe 1 : » insondable » à la place de la répétition de » ô mystère « , en faisant rimer insondable avec » Adorable » du vers suivant (procédé de » l’écho « , employé par Philipp Nicolaï dans son » Wie schön leuchtet der Morgenstern – Brillante étoile du matin « )
2° il modifie la carcasse des rimes en » -oi «
Il conserve cette carcasse dans les strophes impaires : 1 , 3 et 5
Il choisit des rimes en » -eux » pour la 2e strophe
Il choisit des rimes en » -eur » pour la 4e strophe
Cela permet à Pierre Lutz de conserver le rythme initial induit par les finales en » -oi « , tout en introduisant deux strophes nouvelles, avec des sonorités proches en » eux » et » eur « , qui lui permettent de reprendre partiellement ce rythme.
A la fin de la dernière strophe, il remplace » Roi » par » foi « . » Roi » a disparu de l’incipit du texte de NCTC à cause de la suppression de la 1ère strophe. On ne comprend alors plus ce qu’il vient faire à la dernière, dans une phrase difficile, comme nous l’avions vu plus haut. Lutz l’a donc enlevé et remplacé par » foi « , qui est dans la ligne du chant.
B. Conclusion :
Les deux révisions donnent deux orientations différentes au texte de Vinet :
celle de Kéler, partant de l’original, vise à clarifier la formulation de Vinet, dans le sens de la combinaison louange – prière et éloignement – proximité.
Celle de Lutz, partant du remaniement de NCTC, recentre le chant sur la prière et la foi, et le fait entrer davantage dans la catégorie » Prière » que dans celle de » Louange et Prière » de l’original.