SAINTE CENE
VRAI PAIN DE VIE, SEIGNEUR JESUS
Du Lebensbrot, Herr Jesus Christ
Mélodie : Du Lebensbrot, Herr Jesu Christ
1. Vrai pain de vie, Seigneur Jésus, Jean 6/ 35
Un pécheur peut-il prendre I Cor 11/27
Part au repas de ton salut, Matth 22/11
A ton autel se rendre ? Ps 43/4
Jésus, tu peux me pardonner ;
Je t’en prie, viens me préparer :
Lave-moi, rends-moi digne ! I Cor 11/27
2. Sur de verts prés tu me conduis Ps 23/2
Le long des eaux limpides.
Tu mets devant mes ennemis 23/5
Une table splendide !
Seigneur, je n’ai rien mérité :
Je suis pécheur, mais ta bonté
Fait déborder ma coupe ! 23/5
3. Tu es le pain venu du ciel, Jean 6/ 35
La source de l’eau vive. 7/38
Dans ce désert spirituel, 6/49
Tu me fais ton convive.
Habille-moi, dans ta bonté, Matth 22/11
D’un vêtement neuf d’invité,
Pour m’asseoir à ta table !
4. Jésus, arrache de mon cœur St Paul
L’amertume et la haine ; Eph 4/31
Que je combatte, ô bon Seigneur, I Tim 1/18
La souffrance et la peine,
Et tourne en bien ce qui va mal, Rom 12/17, 21
Ramenant tout au principal
Souci d’aimer te plaire ! I Thess 2/4
5. Je suis né comme un faible enfant,
Je veux croître en sagesse. Luc 2/52
Eclaire-moi, le mal-voyant, 18/42
Et fais que je progresse.
Si je me perds, retrouve-moi, Luc 15/6
Ramène-moi auprès de toi
Et prends-moi sous ta garde !
6. Ton corps est entré dans le mien, Gal 2/20
Ton sang coule en mes veines. Jean 6/56
Tu viens par le pain, par le vin,
Mangés, bus, dans la Cène. Jean 6/55
Je suis en toi, tu es en moi, Cant 2/16
Dans l’espérance et dans la foi, I Cor 13/13
Toi, mon Sauveur et Maître !
Texte : Du Lebensbrot, Herr Jesus Christ
anonyme, dans Geistreiches Gesangbuch,
édité par Freylinghausen à Halle, 1704,
dans Knapp 1837, n° 939
fr. : Yves Kéler, 16.3.2006-03-16
Mélodie : Du Lebensbrot, Herr Jesu Christ
Peter Sohren, 1668, Halle 1704,
dans Geistreiches Gesangbuch,
édité par Freylinghausen à Halle 1704
RA 46, EG 329
L’original allemand et sa traduction littérale
Voici le texte original du chant, introuvable dans les recueils de la fin du 19e Siècle et ceux du 20e. Le texte ici reproduit est celui de Knapp 1837.
J’en ai conservé les particularités orthographiques, telles que Knapp les a imprimées. Elles sont marquées d’un astérisque *.
1. Du Lebensbrod*, Herr Jesu Christ, Jean 6/35
Pain de vie, Seigneur Jésus,
Mag dich ein Sünder haben, I Cor 11/27
Un pécheur peut-il te recevoir,
Der nach dem Himmel hungrig ist, Jean 6/33
Qui a faim du ciel
Und sich an dir will laben? 6/35
Et veut se rassasier de toi?
So bitt’ ich dich demütiglich,
C’est pourquoi je te prie humblement
Du wollest recht bereiten mich,
De vouloir bien me préparer
Dass ich des würdig werde. I Cor 11/27
A en être digne.
2. Auf grüner Aue wollest du, Ps 23/ 2
Veuille, sur un vert pré,
Herr, diesen Tag mich leiten,
Seigneur, aujourd’hui me conduire,
Den frischen Wassern führen zu, 23/2
Aux fraîches eaux me mener,
Den Tisch für mich bereiten. 23/5
Préparer pour moi la table.
Ich bin zwar sündig, matt und krank;
Je suis, il est vrai, pécheur, fatigué et malade;
Doch lass mich deinen Gnadentrank
Pourtant laisse-moi goûter le breuvage de grâce
Aus deinem Kelche schmecken! 23/5
De ta coupe.
3. Du heilig süsses Himmelsbrod*, Jean 6/35
Pain du ciel, Saint et sans levain,
Ich will mich deiner freuen,
Je veux me réjouir de toi
Und in der Wüste meiner Noth* 6/49
Et dans le désert de ma détresse
Nach dir nur kindlich schreien.
A toi crier comme un enfant.
Dein Unschuldskleid bedecke mich,
Que ton vêtement d’innocence me couvre,
Auf dass ich möge würdiglich
Afin que je puisse dignement
An deiner Tafel sitzen. Matth 22/11
Être assis à ta table.
4. Tilg’ allen Hass und Bitterkeit Eph 4/31
Détruis toute haine et amertume,
Fortan aus meinem Herzen;
Désormais, de mon coeur
Lass kämpfen mich den guten Streit, I Tim 1/18
Fais-moi mener le bon combat,
Nie mit der Sünde scherzen.
Ne pas plaisanter avec le péché.
Und ob ich Uebels * viel getan,
Et si j’ai fait beaucoup de mal,
Fang ich ein göttlich Leben an,
Je commence une vie divine,
Wenn du dich mein erbarmest.
Quand tu as pitié de moi.
5. Ich bin ein krankgebornes Kind; Luc
Je suis un enfant malade-né;
Lass deine Hand mich heilen!
Que ta main me guérisse!
Erleuchte mich, denn ich bin blind; Luc 18/42
Eclaire-moi, car je suis aveugle;
Träg bin ich, hilf mir eilen !
Je suis lent, aide-moi à me hâter !
Ich bin verdammt, erbarme dich!
Je suis condamné, aie pitié de moi!
Ich bin verloren, suche mich, Luc 15/6
Je suis perdu, cherche moi,
Und stille meinen Jammer!
Et calme ma plainte!
6. Wenn dein Vermächtnis in mir bleibt,
Si ton héritage reste en moi,
So mag die Hölle hadern;
L’enfer peut s’irriter;
Dein Leib ist meinem einverleibt, Jean 6/ 56
Ton corps est incorporé dans le mien,
Dein Blut rinnt mir in Adern.
Ton sang coule dans mes veines.
Ich bleib’ in dir, du bleibst in mir; Cant. 2/16
Je reste en toi, toi reste en moi;
Drum wirst du, Lebensfürst, mit dir
C’est pourquoi, Prince de vie, avec toi
Mich zur Vollendung führen.
Tu me conduiras à la vie.
Le texte
L’auteur du texte est anonyme. Le chant date probablement de la deuxième moitié du 17e Siècle, si l’on en juge par la mélodie de Sohren, datée de 1668, qui pourrait avoir été composée pour ce chant, puisqu’elle a pris le nom du texte : « Du Lebensbrot, Herr Jesus Christ « . Cela placerait le chant dans les années 1650-1668.
Le chant apparaît dans le » Geistreiches Gesangbuch » de Freylinhausen, en 1704, à Halle. Ce livre est le recueil de base du piétisme, inspiré par Philipp Jakob Spener, né en 1635, à Ribeauvillé en Alsace, et mort en 1705, soit un an après la parution du » Freylinghausen « . Beaucoup des chants de ce livre sont anonymes, ce qui est encore plus vrai pour les mélodies. Dans cette tendance spirituelle, on voulait éviter la vanité et rester humble. On trouve la même tendance dans les livres français comme les » Cantiques Spirituels de Strasbourg « , de 1725 et après, qui ne contiennent aucune indication d’auteur ou de compositeur, ce qui est très gênant pour les recherches.
Dans les chants de ce livre, on sent encore très bien la théologie luthérienne, dont Spener était un adepte. Ce n’est que plus tard, vers le milieu du 18e Siècle, que l’Eglise luthérienne deviendra rationaliste et que le piétisme deviendra littéraliste bibliquement et sentimental dans sa piété. Ce qui fait souvent rejeter les chants de cette époque. Or il en est d’excellents, et celui qui nous occupe en est un bon exemple.
Sources du texte
La Bible : on remarque d’abord le fort enracinement biblique.
Le texte dominant, directement cité dans l’incipit, est l’histoire de la multiplication des pains, et la parole de Jésus de Jean 6/35 : » Je suis le pain de vie « . Chaque strophe est placée sous un auteur principal :
Str. 1 et 2/a : Jean 6 : la multiplication des pains
2/b : Matth 22/ 11 le grand festin
3 : Psaume 23 : le berger qui paît son troupeau
4 : St Paul, la nouvelle justice
5 : Luc 2 et 15 : croître comme Jésus, la brebis perdue
6/a : Jean 6/56 : mon corps est une nourriture, mon sang un breuvage
6/b : Cantique 2/16 : Je suis à toi, tu es à moi
Je suis en toi, tu es en moi
La théologie luthérienne
La théologie luthérienne des sacrements et de la consubstantiation sont nettement affirmées. Le corps et le sang du Christ sont consommés à travers le pain et le vin, et entrent physiquement et spirituellement dans le fidèle : le pain et le vin, qui sont le support du corps et du sang, sont mangés et bus, et font entrer ce corps et ce sang du Christ dans mon corps et mon sang. Cette thèse rejoint la » théosis » des orthodoxes, la » divinisation » du corps et de l’esprit de l’homme : celui-ci est plus que chair et sang : l’image de Dieu en lui, concordant avec l’image du Christ reçu, révèle que l’homme a un caractère divin, et qu’il ne se réduit pas à une matière et à un cerveau. Mais l’homme reste homme, il ne devient pas Dieu. Cette thèse est exprimée dans la Formule de Concorde en ces termes : « Manducamur corpus Christi, et bibimus sanguinem ejus, per orem – Nous mangeons le corps du Christ, et buvons son sang, par la bouche . » Il y a ici une forte conscience que le Christ est en moi, qu’il vit en moi et moi en lui.
La mystique
Cette conception de la Cène conduit à une mystique : le Christ est en moi et moi en lui. Le verset 2/16 du Cantique des Cantiques exprime bien cette idée : » Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui « . Cette parole a eu un important succès dès le Moyen-Age, pour exprimer le rapport entre le Christ et son épouse, qui est l’Eglise, comme un peuple, ou le fidèle, plus particulièrement son âme. Rapport conjugal, mais aussi simplement union de deux êtres, le Christ et son fidèle : l’un est dans l’autre, et inversement. La notion a deux formes 1° Je suis à toi, tu es à moi 2° Je suis en toi, tu es en moi. D’abord l’appartenance, réciproque, puis l’interpénétration.
L’intimité personnelle
A côté de l’objectivité du texte biblique et de la théologie luthérienne, se développe ici la piété personnelle, marquée par une intimité profonde et intérieur avec le Christ. Le 16e Siècle était marqué par les combats de l’Eglise et la définition des doctrines, par l’objectivité donc. Après la Guerre de Trente Ans, le sentiment individuel se développe : le Christ m’a protégé, moi, dans ce massacre, alors qu’il a pris mes voisins, ma famille. Le salut devient individuel et personnel chez les rescapés, et le rapport avec le Sauveur personnel, mais dans le cadre de la communauté. Et l’amour est plus important que la théorie, la douceur vaut plus que la haine.
La mélodie
Elle est l’originale de ce chant, semble-t-il (voir supra). Elle se développe en deux parties, la première de 4 vers, la seconde de 3 vers, et porte bien le texte, qui se divise en deux parties par strophe. Cette mélodie a beaucoup servi, on la trouve deux fois dans le RA et deux fois dans EG. Elle sert souvent de mélodie de remplacement pour des mélodies trop difficiles.
Il faut la chanter fermement, mais pas trop vite, pour qu’elle puisse se développer naturellement et mettre le texte en valeur.