AVE VERUM CORPUS, W.A.Mozart 1791

PASSION
VENDREDI SAINT
SAINTE CENE
chorales

                                    AVE VERUM CORPUS

( W.A. Mozart, 1756-1791,
                                          le 17.6.1791 )
      

Texte exact de Mozart :

Ave verum corpus natum  de Mari-a virgine          
Vere passum immolatum   in cruce pro homine      
Cuius latus perforatum      unda fluxit et sanguine  
Esto nobis praegustatum   in mortis examine.       

Ce chant fait partie de la piété de la mort développée après la Grande Peste de 1346-1356, qui se concentrait, entre autres, sur les traits du Christ mourant et mort (Voir dans le même sens les méditations des Sept paroles du Christ en croix, ou le chant  » Ave caput cruentatum, d’Arnulphe de Louvain, duquel est né le  » O Haupt voll Blut und Wunden « , de Paul Grehardt). Une prière, à la première personne, d’une structure différente, a été ajoutée :  » O Jesu dulcis… « , laquelle peut être originale, si on considère l’argument des voyelles prochaines. Cette prière pouvait former comme une antiphone finale après la salutation, et servir de transition pour la suite de l’office.

La deuxième source du chant est sacramentelle. Il exprime l’adoration de l’hostie et la salutation du Saint-Sacrement, telle qu’elle est pratiquée à la Fête-Dieu. Mozart a composé son motet pour cette f^te, datée du 18juin 1791, six mois avant sa mort. 

A.  La forme du texte

  La forme la plus connue est celle du motet de Mozart, mais on constate des variantes dans les éditions. D’où la question : quel est la bonne forme de ce chant ?

1.    forme d’origine: sans le « et »

La forme d’origine est de l’abbaye de Reichenau, dans les Grisons, en Suisse, du 14e Siècle (Fondée en 724, dans une île, par St Pirmin, dont les célèbres ferias de Pampelune célèbrent la mémoire, elle fut un grand centre de littérature, poésie et peinture de fresques. Sécularisée et fermée en 1803).

Le texte de Reichenau est le suivant :       
                                                                
Salutation  Ave verum corpus natum   de Mari-a virgine          8f + 7f = 15f
                 Vere passum immolatum    in cruce pro homine     8f + 7f = 15f
                 Cuius latus perforatum       unda fluxit sanguine     8f + 7f = 15f
Demande    Esto nobis praegustatum    mortis in examine.       8f + 7f = 15f

Prière         O Jesu dulcis  O Jesu pi-e   O Jesu Fili Mariae  5f + 5f  + 8f = 18f
                 Miserere me-i.                                                     6f

        la forme particulière de la prière

Les trois invocation de Jésus se succèdent sur un rythme identique
        de 5 syllabes, avec fin féminine:

        O Jesu dulcis  O Jesu pi-e   O Jesu Fili,  auquel s’ajoute  » Ma-ri-ae « ,

        qui vient rompre ce rythme pour en lui enlever un caractère
        mécanique. 
        Ce mot de trois syllabes a également une fin féminine.
        La résolution se fait par le  » Miserere mei « , en 6 syllabes 
        à fin féminine.

        Structure poétique du chant

Pour la première partie : salutation + demande, deux structures poétiques sont possibles :

        IV  15f,15f / 15f,15f                + II 8f, 8f
              ou        VIII  8f-7f, 8f-7f / 8f-7f, 8f-7f   + II 8f,8f
        – Ces structures étant mathématiques, toutes deux montrent que le  » et  » de  » unda fluxit et sanguine  » est de trop, et a été ajouté plus tard.

        – Les voyelles prochaines de chaque ligne forment la suite :
           » a-e-i-o-u « .

Salutation  Ave verum corpus natum   de Mari-a virgine          a
                 Vere passum immolatum    in cruce pro homine     e
                 Cuius latus perforatum       unda fluxit sanguine     i
Demande    Esto nobis praegustatum    mortis in examine.       o

Prière         O Jesu dulcis  O Jesu pi-e   O Jesu Fili Mariae         u
                 Miserere me-i.                                              

          Le poème est donc aussi un acrostiche.

        Pour l’ensemble :  Tous les vers ont une finale féminine,
                                       avec deux rimes qui alternent : – atum et -ine.
        Dans la prière, les finales ne riment pas, mais sont toutes féminines.

        La composition du chant est  » savante « , et exclut le  » et  » tardif.

        remarque grammaticale :

le verbe  » fluo « , au prétérite  » fluxit « , est un verbe intransitif, qui se construit avec l’ablatif : les deux compléments  » unda  » et «  sanguine  » sont à ce cas. La construction latine, concise et qui s’oriente d’après les cas grammaticaux, n’a pas besoin du  » et « . Elle place le 1er complément avant, le 2ème après le verbe. Le sujet est  » latus  » :  »  dont le flanc d’eau découla de sang « 

        William Byrd,1543-1623, en Angleterre, emploie cette forme originale, sans le  » et « . Mais on trouve chez lui une modification au 4e vers : on a inversé, à la 4ème ligne,  » mortis in examine « , en  » in mortis examine « . Or  » mortis in examine  » est juste, la chute des accents montre que c’est le texte original.

        William Byrd conserve la prière  » O Jesu dulcis  » à la fin, et fait une unité musicale de l’ensemble du texte.

2.    2ème forme :  avec le  » et « 

Le  » et  » de  » unda fluxit et sanguine «  provient du rapprochement avec le texte biblique, chez Jean 19/34 :

                                   Et  continuo   exivit   sanguis et aqua
                                   et   aussitôt   il sortit    sang    et  eau

  De ce fait, certains ont même corrigé le chant en   » aqua fluxit et sanguine « 

Il semble que cet ajout du  » et  » remonterait à Johann Scheffler = Angelus Silesius (1624-1677). En tout cas on le trouve chez lui. C’est ce texte que Mozart a employé. Il correspondait probablement à celui employé par l’Eglise de son temps, puisque Mozart a composé cette pièce pour une célébration de la Fête-Dieu, Adoration du Saint-Sacrement, c’est-à-dire de l’hostie-corps du Christ, au 1er dimanche après la Trinité, tenue le 17.6.1791, à peine six mois avant sa mort.

3ème forme :  avec le  » cum « 

Cette forme est récente, et manifestement fautive. Elle date au mieux du 19e Siècle, sinon du 20e. Elle montre que ce correcteur ne comprend pas l’original latin, et la position du double complément de part et d’autre du verbe. Il écrit alors :

                            « Cuius latus perforatum unda fluxit cum sanguine « 

Sur la base de la première altération avec le « et », il fait une nouvelle correction, qui s’éloigne encore davantage de l’original.

4.  Le texte de Mozart :

Mozart a sous les yeux le texte comprenant deux modifications :     

                  1.  Le  » et  » sanguine
2.  Le «  in mortis examine « 

        Si on veut chanter l’  » Ave verum corpus  »  de Mozart, il faut conserver le texte qui fut son original. Et sans la prière finale, qu’il n’a pas employée, la laissant à l’officiant, ou au choeur liturgique.

Ave verum corpus natum  de Mari-a virgine            8f + 7f = 15f
Vere passum immolatum   in cruce pro homine       8f + 7f = 15f
Cuius latus perforatum      unda fluxit et sanguine  8f + 8f = 16f *   
Esto nobis praegustatum   in mortis  examine.        8f + 7f = 15f

( O Jesu dulcis Jesu pi-e    O Jesu Fili Mariae           8f + 8f = 16f
                                      Miserere nobis  )                 6f
 
                                                               * soit une syllabe de plus
Traduction

Salut vrai corps, né               de Marie,  la Vierge          
Vraiment éprouvé*, immolé   sur la croix pour l’homme         
Dont le flanc percé                eau laisse couler et sang :
Sois nous l’avant-goût**       dans l’épreuve de la mort.          

( O doux Jésus, ô fidèle Jésus  O Jésus, Fils de Marie,
                                            Aie pitié de nous )  
         *  qui a souffert
         ** de la vie céleste, ou des noces éternelles: Vorgeschmack
                                                                                        

B.  Théologie du chant

Comme signalé au début de cet article, le chant a plusieurs sources :

a. la source biblique : 

natum de Maria virgine – né de Marie, la Vierge :  Matth 1/23, 2/1
immolatum – immolé :                                        Apocalypse 5/6
pro homine – à la place de / pour l’homme :         I Cor 1/13, Apc 5/9  
in cruce – sur la croix :                                       les 4 évangiles
latus perforatum – le flanc percé :                       Jean 19/34
unda et sanguine :                                             Jean 19/34

b. la source nicéenne :

vere – vraiment :               Verum Deum de vero Deo – vrai Dieu
                                                                                 du vrai Dieu
natum de Maria Virgine :    incarnatum ex Maria vigine – incarné de Marie, 
                                                                                 la Vierge
in cruce pro homine :         crucifixus pro nobis – crucifié pour nous

c. la source de la piété de la croix :

Les offices du Vendredi saint, comprenant l’adoration du Christ en croix, sont une des sources du chant. Dans les  » Passions « , célébrées dans l’après-midi, ou dans les vêpres de 14 h ou 15h, on saluait le Christ en croix. Nous avons déjà signalé au début le  » Ave caput cruentatum « , d’Arnulphe de Louvain. Il y a eu beaucoup de chants de cette sorte.

  La Réforme a continué ce genre. D’abord en Allemagne.Citons : « Ich grüsse dich am Kreuzesstamm », de Valentin Ernst Löscher (1673-1749), sous RA 72, EG 90. Et le chant de Paul Gerhardt: » O Welt sieh hier dein Leben  Am Stamm des Kreuzes schweben » – O monde viens contemple  Spectacle sans exemple « *, ou encore du même Gerhardt :  »  Sei mir tausendmal gegrüsset – Mille fois je te salue  » RA 51, pas dans EG.

        En France, on a repris ces chants à travers  » Chef couvert de blessures  » LP 119 ** , et  » O monde, viens contemple  » LP 123 *, ainsi que  » Je te contemple, ô splendeur sainte  » LP 129 *, et  » Sur la croix où tu meurs pour moi, Je te contemple, ô divin Roi  » *, LP 132.

              * sur ce site sous ce nom
              ** sur ce site sous le nom :   » Christ, couvert de blessures « 

d. la source sacramentelle

verum corpus – vrai corps  

L’hostie, c’est-à-dire le pain pur, azyme compris comme débarrassé de tout ferment du péché, est devenue au 14e Siècle identique au corps du Christ. C’est la théologie de la transsubstantiation, qui fait de cette hostie (= victime  » immolée « ) le corps véritable du Christ, et non plus sa représentation. Cette hostie peut donc être adorée, comme si on adore le Christ lui-même. Cette adoration de l’hostie se substituant à l’adoration du Christ a été stipulée par le Concile de Constance de 1415.

Le texte de l’Ave verum ne vise pas expressément dans ses mots l’hostie, puisqu’il parle de  » corpus  » et non de  » salutaris hostia  » ( où le mot  » hostia  » désigne à la fois la victime du sacrifice et l’hostie consommée). Mais l’esprit du texte va dans cette direction, puisque l’emploi même du chant à la Fête-Dieu, ou encore au Jeudi saint, fête de l’Institution de la Cène, le prouve.

C.   L’emploi du chant

Chez les protestants, la théologie sacramentelle de la consubstantiation luthérienne et de la présence spirituelle calvinienne exclut la transformation, ou transsubstantiation du pain/hostie en corps matériel du Christ. L’emploi sacramentel du chant est difficilement possible. A la rigueur à l’intérieur de confréries comme celle de St Michel, où les participants sont au fait de la théologie des sacrements.

D’autre part, si les protestants, anglicans et luthériens particulièrement, font l’élévation, ils ne pratiquent pas la salutation des espèces, qui elles ne sont que le support matériel de la présence du Christ, et pas le Christ lui-même.

        En revanche, l’emploi liturgique dans les Passions et vêpres est fréquent. Car on salue le Christ crucifié, après l’évangile de sa mort, le matin ou l’après-midi. Dans ce sens et cet emploi, l’Ave verum corpus de Mozart est très apprécié par les protestants.