JESU DULCIS MEMORIA, Fête du Nom de Jésus 1er ou 2 janvier

St Bernard de Clairvaux, 12e Siècle

                            traduction de Ritter et révision

SOURCES ET EMPLOI DU TEXTE

        Cette hymne est attribuée à Saint Bernard de Claivaux (1090-1153). Sa longueur varie d’un manuscrit à l’autre, et va de 42 à 53 strophes. De fait, elle était divisée en trois parties, et employée dans trois offices différents de la Fête du Nom de Jésus. Le texte figure dans le Romanum Breviarium, le Bréviaire romain de 1908, avec le découpage actuel en trois parties tel qu’il est donné plus bas, selon le site internet www. preces-latinae.org.

        Cette fête se célébrait anciennement, dans le temps de Noël, au dimanche entre la Circoncision : 1er janvier et l’Epiphanie : 6 janvier, ou faute de dimanche telle année, le 2 janvier. Dans les plans de lectures protestants allemands actuels, elle est placée au 1er janvier.

        Le chant de St Bernard était réparti sur trois offices :

                                                                        strophes retrouvées
   1ère partie :   Jesu dulcis memoria     Vêpres          5 strophes
   2ème partie :  Jesu rex admirabilis      Matines        5 strophes
   3ème partie :  Jesu decus angelicum   Laudes         5 strophes
                                                           total :        15 strophes

        (Sources : Internet Wikipedia, en anglais, à partir du nom respectif de chaque partie du
         chant. Les textes possèdent une traduction en anglais).

        Du fait de cet emploi réparti sur trois offices, le texte n’a pas toujours un plan clair, car on a déplacé certaines strophes d’une partie à l’autre, et on a, semble-t-il, ajouté des strophes finales de glorification à ces parties, qui ne sont peut-être pas originales.

Structure métrique du latin de St Bernard et du français de Ritter (18e Siècle)

        Le chant est formé de 4 vers de 8 syllabes, les 4 vers riment entre eux, ce qui fait à chaque strophe 4 rimes identiques. Le vers est dit « trochaïque », c’est-à-dire que se succèdent une longue et brève, la longue étant accentuée, selon le modèle suivant :

                                        ,         ,         ,         ,
                                       Je-su dul-cis me-mo-ri-a

        Ritter, dans sa traduction, adopte le rythme dit « iambique », qui inverse les syllabes longues et courtes, et obtient le rythme suivant, à la troisième strophe par exemple :

                                           ,           ,         ,        ,
                                     Jé-sus, es-poir du pé-ni-tent

        Ce qui permet d’employer les mélodies en IV 8.8, 8.8 , telle « Vom Himmel hoch », mélodie de Noël qui s’adapte bien à ce chant du temps de Noël (du 25/12 au 5/1).

Le texte de Ritter

        Ritter est l’auteur d’un livre de cantiques français daté de 1697,et réimprimé plusieurs fois au 18e Siècle, employé dans les cultes des ambassades de Suède et de Danemark à Paris, cultes assurés en français, ce qui permettait à beaucoup de protestants français d’y participer, pendant la persécution antiprotestante en France. De ce livre quelques chants ont survécu, tel que : « Quelle douleur saisit mon cœur. » Ce chant-ci n’est plus employé actuellement.

        Ritter a regroupé le chant en un texte continu, du moins d’après la source dont je dispose. Il donne un ordre des strophes en partie différent du latin en trois partie de 1908, ce qui indique qu’il a travaillé sur une source donnant un ordre différent des 43 à 53 strophes originales. Ou encore, qu’il a fait un choix de 14 strophes et les a organisées en un seul chant, selon l’ordre qui lui paraissait convenable. Il n’a pas traduit les strophes glorificatrices qui achevaient normalement la partie II, aux matines, et la partie III, aux laudes, ce qui paraît confirmer cette hypothèse. De plus, Ritter traduit des strophes qui semblent présenter des variantes par rapport au texte de 1908. 

        J’ai de ce fait essayé de regrouper les 14 strophes de Ritter, un peu monotones mises ainsi bout à bout, en reprenant le plan initial des trois offices, et en mettant les strophes révisées de Ritter dans l’ordre du latin. J’ai traduit les 2 strophes de glorification manquantes et les ai écrites en italique. Cela dégage trois chants, qui peuvent être chantés le 1er janvier et le dimanche suivant, ou encore au 1er dimanche après Noël, sous le thème du vieux Siméon.

        Voici successivement les textes :   

       Le texte latin, forme 1908, avec la correspondance des strophes de Ritter
       La traduction littérale du texte latin
       Le texte français révisé par Kéler dans l’ordre du latin
       Le texte original de Ritter, dans l’ordre du latin

LE TEXTE LATIN

I : Jesu dulcis memoria,  1ère partie en 5 strophes  (vêpres)

1. Jesu dulcis memoria,          Rit. 1  Doux est le souvenir de Jésus,
    Dans vera cordis gaudia,              Qui donne les vraies joies du cœur,
    Sed super mel et omnia                Mais plus que le miel et toutes choses
    Ejus dulcis praesentia.                  Est sa douce présence

2. Nil canitur suavius,            Rit.2     Rien de plus suave n’est chanté,
    Nil auditur jucundius,                    Rien de plus joyeux n’est écouté
    Nil cogitatur dulcius                       Rien de plus doux n’est pensé
    Quam Jesus Dei Filius.                  Que Jésus, le Fils de Dieu.

3. Jesu, spes poenentibus,     Rit. 3   Jésus, espoir du pénitent,
    Quam pius es petentibus,             Combien doux tu es pour ceux qui
                                                                     te prient,
    Quam bonus te quaerentibus !      Combien bon pour ceux qui
                                                                     te cherchent !
    Sed quid invenientibus ?               Mais que n’es-tu pour ceux qui
                                                                    te trouvent ?

4. Nec lingua volet dicere,      Rit. 5   Ni la langue ne veut le dire,
    Nec littera exprimere;                   Ni l’écriture l’exprimer ;
    Expertus potest credere                Qui l’a éprouvé peut croire
    Quid sit Jesum diligere                  Ce qu’est de choisir Jésus.

5. Sis, Jesu, nostrum gaudium    Rit.   Sois, Jésus, notre joie,
    Qui es futurus praemium,       11    Toi qui dois être notre récompense,
    Sit nostra in te gloria                     Que notre gloire soit en toi
    Per cuncta semper saecula.            A travers tous les siècles toujours.

2° : Jesu rex admirabilis,   2ème partie en 5 strophes  (matines)

1. Jesu rex admirabilis            Rit. 6   Jésus, roi admirable
    Et triumphator nobilis,                   Et noble triomphateur,
    Dulcedo ineffabilis,                        Douceur ineffable,
    Totus desirabilis                            Tout désirable,

2. Quando cor nostrum visitas,   Rit.   Quand tu visites notre cœur,
    Tunc lucet ei veritas ;              4     Alors luit pour lui la vérité ;
    Mundi vilescit vanitas                     La vanité du monde (l’)avilit
    Et intus fervet caritas.                    Et la charité en lui (l’)embrase.

3. Jesu dulcedo cordium,        Rit. 5    Jésus, douceur des cœurs,
    Fons vivans, lumen mentium,         Source vivante, lumière des esprits,
    Excedens omne gaudium                Dépassant toute joie
    Et omne desiderium.                      Et tout désir.

4. Jesum omnes agnostite,      Rit.       Connaissez tous Jésus,
    Amorem ejus poscite,         10        Demandez son amour,
    Jesum ardenter quaerite,                Cherchez Jésus ardemment,
    Quaerendo inardiscite.                    Brûlez en le cherchant.

5. Te nostra, Jesu, vox sonet,* * Rit.   Nos voix ;, Jésus, te chantent,
    Nostri te mores exprimant,      ?      Nos actes t’expriment,
    Te corda nostra diligant                  Nos cœurs te choisissent
    Et nunc et in perpetuum.                 Et maintenant et à perpétuité.
    Amen.                                           Amen.

3° : III Jesu decus angelicum,   3ème partie en 5 strophes  (laudes)

1. Jesu decus angelicum          Rit. ?    Jésus, ornement angélique,
    In aure dulce canticum,                   En l’oreille un doux cantique,
    In ore mel mirificum,                      En bouche un miel mirifique,
    In corde nectar caelicum,                Au cœur un nectar céleste.

2. Qui te gustant, esuriunt,    **  Rit    Ceux qui te goûtent ont faim,  *
    Qui biberunt, adhuc sitiunt,     12     Ceux qui te boivent ont encore soif,
    Desirare nesciunt                           Ils ne savent pas ne désirer
    Nisi Jesum, quem diligunt.               Que Jésus, qu’ils recherchent.

3. O Jesu mi dulcissime,          Rit. ?    O mon Jésus très doux,
    Spes suspirantis animae,                Espoir de l’âme soupirante,
    Te quaerent piae lacrimae,              Les larmes pieuses te demandent,
    Te clamor mentis intimae.               Le cri de la pensée intime.

4. Mane nobiscum, Domine,     Rit. 7   Reste avec nous, Seigneur,
    Et nos illustra lumine,           env.    Et éclaire-nous par la lumière,
    Pulsa mentis caligine,                     Repousse l’obscurité de l’esprit,
    Mundum reple dulcedine.                Emplis le monde de ta douceur.

5. Jesu, flos Matris Virginis,     Rit. ?    Jésus, fleur (née) de la mère vierge,
    Amor nostrae dulcidinis,                 Amour (sujet) de notre douceur,
    Tibi laus, honor nominis,                A toi la louange, l’honneur du nom
    Regnum beatudinis.                       Le règne du bonheur.
    Amen.                                          Amen.

    Texte latin:  St Bernard de Clairvaux, 1090-1153
                      Breviaire romain 1908
                      internet www.preces-latinae.org
                      internet Wikipedia, en anglais
                      trad littérale frse: Yves Kéler 13.10.08

*  strophe II/5:  « Te nostra, Jesu, vox sonet »

       Ici, le poète a laissé le singulier du sujonctif présent de « sonare »: « vox sonet », alors qu’il faut le pluriel : « voces sonent » pour harmoniser avec les deux vers suivants, « exprimant » et « diligant », et dont la rime est -ant. Ceci pour une raison de nombre des syllabes : « voces sonant » a une syllabe de plus Que « vox ». D’autre part, il a préféré utiliser le verbe « sonare », de la 1ère conjugaison, attesté chez Cicéron, plutôt que « sonere », attesté chez Lucrèce. Or « sonere » lui aurait donné le subjonctif en « sonat », qui aurait mieux assoné avec « -ant » de exprimant et diligant. Enfin, le dernier vers ne rime pas avec les trois autres, ce qui est unique dans toutes les strophes du texte de 1908.

        Qu’il ait gardé le singulier au premier vers me parît logique. Qu’il ait pris la forme –et et non –at surprend. Qu’il n’ait pas rimé le dernier vers également. Cela paraît contraire à la prosodie de St Bernard par ailleurs. Cette strophe finale ne serait-elle pas originale, et serait-elle une finale composée pour achaver la 2e patie du chant employée aux matines ? Il faudrait pouvoir vérifier les sources anciennes du chant.

*    strophe III/2 : « Qui te gustant esuriunt »

       le sens de ce passage est à comprendre à partir de l’évangile de Jean, 4/13 : « Celui qui boira de cette eau (du puits de Jacob à Sichem) aura encore soif », et 6/35 : « Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, et celui qui croit en moi n’aura jamais soif.». Celui qui mange le pain de la Cène et en boit le vin, et se contente de la matière physique du sacrement, « travaille pour la nourriture qui périt » Jean 6/27. Mais celui qui prend le Christ lui-même, « celui-là travaille pour la nourriture qui subsiste pour la vie éternelle ». Il faut donc prendre en cœur le Christ même, et ne pas se contenter de le consommer extérieurement dans le sacrement. Et aussi, quand tu communies en consommant le pain-corps du Christ et le vin-sang du Christ, sache que c’est le Christ lui-même qui entre en toi et qui l’important. Il y a ici une compréhension profonde la Cène, spirituelle et mystique, de l’inhabitation du Christ comme une personne vivante et active dans le cœur, lame et l’esprit du croyant.

        La traduction littérale du latin est :

        Ceux qui te mangent (dégustent, littéralement), ont faim,
        Ceux qui te boivent ont soif :
        Ils ignorent qu’il n’y a à désirer,
        Que Jésus (lui-même) qu’ils aiment.

LE TEXTE DE RITTER ET SA REVISION

       Texte révisé (Kéler) + strophes latines       Texte original de Ritter

I.  Jesu dulcis mémoria  (vêpres)

    I/1
1. Jésus, déjà ton souvenir                    1. O Jésus, ton seul souvenir
    Emplit le cœur d’un doux plaisir,         Remplit le cœur d’un doux plaisir ;
    Mais ta présence est comme un miel  Mais ta présence est d’un tel goût
    Et comme aux yeux le plus beau ciel. Qu’elle surpasse et miel et tout.

    I/2
2. Il ne peut rien se prononcer,              2. Il ne se peut rien prononcer,
    Chanter, s’entendre ou se penser,      Rien chanter, ouïr, ou penser,
    Qui soit plus doux, qui plaise plus       Qui soit plus doux, qui plaise plus
    Que ton seul nom, Seigneur Jésus.     Que le seul nom de mon Jésus.

    I/3
3. Jésus, l’espoir du pénitent,                 3. Jésus, espoir du pénitent,
    Quand on te prie tu es clément ;        Te pri-e-t-on, tu es clément ;
    Quand on te cherche on est sauvé :   Te cherche-t-on, on est sauvé,
    Heureux celui qui t’a trouvé !             Que n’est-on pas t’ayant trouvé !

    I/4 
4. Qui a jamais pu exprimer                   5. Qui jamais a pu exprimer
    Ce qu’est, Jésus-Christ, de t’aimer ?   Ce que c’est que Jésus aimer ?
    Pour y croire il faut l’éprouver,           Pour le croire il faut l’éprouver,
    Pour le savoir, le savourer !               Pour le savoir le savourer.

    I/11
5. Jésus, Seigneur, sois notre joie,    11. Mon bon Jésus, fais-moi sentir
    Toi qui deviendras notre Roi,              Ton amour, veuille m’en remplir ;
    Accorde-nous ta gloire enfin               Découvre-moi ta gloire à plein,
    Dans tous les siècles, dans ton sein !  En me transportant dans ton sein.

     I/5
5a. Pour toi, Jésus, chantent nos voix,  I/5                         ?
      Nos actes te reflètent, toi,
      Nos cœurs te cherchent, Christ aimant,
      Aujourd’hui éternellement. Amen.

II.  Jesu rex admirabilis   (matines)

II/1
6. Jésus-Christ, admirable Roi,           6. Jésus, très admirable Roi,
    Toi qui soumets tout à ta loi,          Qui sais tout soumettre à ta loi,
    Sauveur très bon venu du ciel,       Ineffable douceur du ciel,  
    Seigneur aimé, l’Emmanuel,           Tout désirable Emmanuel.

    II/2
7. Quand tu visites notre cœur,          8. Quand tu visites notre cœur,
    Il est brûlant de ta ferveur.            Il est brûlant et en ferveur ;
    Ta vérité jette un éclat                   Ta vérité jettant un bril,
    Qui montre un monde où Dieu        Lui rend le monde abject et vil.
           n’est pas.

    II/3.
8. Divin Jésus, hôte en mon cœur,      4. Divin Jésus, douceur du cœur,
    Sa vie, sa source et sa vigueur,      Source de vie et de vigueur,
    Clarté qui passe toute joie :            Ta lumière cause un plaisir,
    Tout mon désir m’attire à toi.          Qui passe même tout désir.

     ?
9. L’amour de Jésus-Christ est doux,  9. L’amour de Jésus est très doux,
    Amour tel qu’il est d’un époux ;      L’amour, dis-je, de cet époux   
    Il est si pur, sublime et vrai            Est suave à un tel excès,
    Qu’on n’en peut dire assez jamais.  Qu’on n’en peut jamais dire assez.

      II/4
10. Vous tous, reconnaissez Jésus,    10. Reconnaissez Jésus, vous tous,
      Aimez le Christ, vous ses élus,         Soyez de son amour jaloux :
      Cherchez le Fils d’un cœur ardent,    Cherchez Jésus d’un cœur ardant,
      Enflammez-vous en le suivant.         Et prenez flamme en le cherchant.

3°:  Jesu decus angelicum    (laudes)

      III/1
11. Jésus, ta céleste beauté,                                          ?
      Nectar au cœur, doux, parfumé,                  
      Est à l’oreille un chant puissant,           
      En bouche un miel pur, embaumant.

III/2
12. Qui boit ce vin, goûte à ce pain,   2. Qui boit ce vin, goûte ce pain,
      A toujours soif, a toujours faim.      En a toujours soif, toujours faim,
      Qui goûte au Christ n’a de désir      Il n’a dès lors plus de désir
      Qu’avoir en lui seul son plaisir !      Que pour Jésus, son seul plaisir.

      ?
13. Tout mon bien, Christ, est de t’aimer  13. Tout mon bien, Jésus, est t’aimer,
      En ton amour me consumer,              En ton amour me consommer,
      Mourir entièrement à moi,                  Et mourir pleinement à moi
      Afin de vivre tout à toi.                      Afin de vivre tout à toi.

      III/4
14. Demeure avec nous pour toujours,  7. Demeure avec nous pour toujours,
      Brûle en nous de ton saint amour,   Brûle-nous de tes saints amours,
      Eclaire-nous de ta clarté :               Eclaire-nous de ta clarté ;
      Sans toi tout n’est qu’obscurité !      Sans toi tout n’est qu’obscurité.

      ?
15. En quelque lieu qu’un jour je sois,  14. En quel lieu que jamais je sois,
      Jésus, je te veux avec moi.                Je veux mon Jésus avec moi :
      Oh quelle joie quand je t’aurai            O quel  plaisir quand je l’aurai !
      Et quel bonheur quand j’y serai !         Quel bonheur, quand je le tiendrai !

16. Fleur née de la Vierge Marie,                                   ?
      Que j’aime ton parfum de vie !
      A toi et à ton nom l’honneur,
      La paix, le règne et la splendeur. Amen.

      Texte: O Jésus, yton seul souvenir
                Ritter, 1697
                Recueil français des Eglises des ambassades de Suède,
                           puis Danemark
                révision : Yves Kéleer, 13.10.08