E. 02. L’INDISSOLUBILITE DU MARIAGE

Ce texte est un courrier des lecteurs en réponse à un article dy professeur Rognon, de la Faculté de Théologie Protestante de Satrabourg

« Le Messager » du 18/11, N° 47
Les protestants face au divorce, page 5

Yves Kéler, Bischwiller, le 27/11/2007

 A.     J’ai lu avec intérêt l’article de Frédéric Rognon, qui semble avoir été apprécié
         par
les lecteurs.

        Je constate qu’on ne dit pas pourquoi Jésus proclame l’indissolubilité du mariage. L’explication que le mariage, n’étant pas un sacrement, serait dissoluble n’est pas pertinent : Jésus ne raisonne pas à partir de la théologie catholique médiévale, mais à partir de l’Ancien Testament. « Qu’en dit la Bible ? », dit justement l’article.

        Jésus, dans Matthieu 19, fait une exégèse précise de Genèse 1 et 2, les deux textes fondateurs du mariage. ( remarquons que ceux-ci forment les paroles d’institution du mariage et sont employés comme tels dans les liturgies réformée de 1963 et luthérienne de 1966, bases officielles du culte de bénédiction nuptiale).

        Genèse 1 dit : « Dieu créa l’homme à son image », comme une généralité asexuée, puis : « Il les créa homme et femme », particulièrement. Tout de suite une question : qui porte l’image de Dieu, l’homme ou la femme ? La réponse est : l’homme est une demi-image, la femme est l’autre demi-image, chacun a ses traits particuliers, mâle et femelle, qui empêchent qu’on les confonde. L’image entière sera réalisée par le couple, qui reconstitue l’image initiale. Mais pas n’importe comment : selon une décision de Dieu (= institutio, en latin : ordre donné), qui « les bénit et leur dit : multipliez,… » Ici le mariage est fondé, avec une « berakah », une bénédiction qui crée le couple, qui devient lui-même une institution (institutio : chose fondée à partir d’un ordre initial), et avec un ordre : procréez, qui crée une nouvelle institution : la famille. De nouvelles demi-images en naîtront, les enfants masculins et féminins, qui recomposeront avec une autre demi-image un nouveau couple, et ainsi de suite indéfiniment. Cette union créée entre deux demi-images qui en deviennent une est indissoluble.

        Ensuite, Jésus cite Genèse 2, où la femme est la moitié prise de l’homme, « de son côté ». Cette division de l’homme initial, sexuellement indifférencié, en mâle et femelle, conduit à la nécessité de recomposer cet être initial, par la constitution du couple : « C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et les deux formeront une seule chair. » Les deux textes disent fondamentalement la même chose, c’est pourquoi Jésus les associe.

        Le couple est l’unité de base, pas l’individu, qui est une demi-image. C’est pour cela que cette union est indissoluble. Si « l’homme dissocie le couple », il détruit une union voulue par Dieu et par ce couple bien entendu-, et il ne peut en résulter que des morceaux brisés. On ne peut plus revenir à l’état antérieur sans casse : l’assemblage craque ailleurs qu’à la ligne de collage.

        Pourquoi Jésus accepte-t-il qu’on « répudie pour cause d’infidélité », selon les termes de Matthieu 19/9 ? Parce que l’infidèle brise l’union créée par Dieu. La casse est donc faite et le lien marital rompu. On est amené à constater le divorce, et à accepter qu’il existe. Mais Jésus n’excuse pas l’infidèle. Il est clair que le 6e commandement reste, et que Jésus n’autorise que la victime à répudier son conjoint. 

        C’est sur cette base que le protestantisme fonde sa théologie : d’une part, le divorce est une rupture de l’ordre de Dieu, d’autre part, le remariage ne peut être refusé par principe. La victime de l’infidélité pourra logiquement se remarier. Mais qu’en est-il de l’infidèle ? Il faudra faire avec lui, ou elle, un travail pastoral de réconciliation avec Dieu et avec les frères. Dans les deux cas, on ne peut faire l’économie d’une pastorale, dans la vérité et dans la miséricorde, si on veut dépasser cassures et traumatismes, et permettre le départ serein d’une nouvelle union. Car le légalisme catholique, souvent hypocrite, n’est pas la solution. Mais le fréquent laisser-aller protestant actuel non plus.

B.    Il est difficile de se faire comprendre actuellement, car la réflexion théologique des gens, pasteurs compris, n’est plus basée sur la Bible et la théologie elle-même, mais sur les réactions personnelles, du coup subjectives, des personnes individuelles. De fait, on a quitté le terrain objectif du texte biblique et des paroles du Christ, fondateurs de l’Eglise de la Réforme, et de la théologie biblique, dogmatique et pratique qui en découle, pour le terrain individuel et subjectif. La base de réflexion est le total des pensées individuelles qui s’impose comme une masse de réflexion, mais qui n’est pas pour autant objective, ni normative dans une Eglise protestante.

        C’est ce type de pensée qui fait dire à Rognon : 1. que l’indissolubilité du mariage est une abstraction, 2. qu’une éthique protestante ne peut pas être fondée là-dessus. Or là on quitte le terrain protestant ! L’indissolubilité est un problème concret, sinon pourquoi nous bassiner avec les problèmes du divorce ? Si l’indissolubilité est un faux problème, il n’y a plus de mariage chrétien, ni de divorce !

1.   J’ai relevé que l’article parlait bien du mariage et de son indissolubilité, mais ne dit pas pourquoi Jésus affirme celle-ci.

        En revanche, l’article dit que « le mariage n’est pas indissoluble parce qu’il n’est pas un sacrement ». Question : qu’est-ce que l’indissolubilité d’un sacrement ? Ce concept a-t-il un sens ? On parle de la permanence d’un sacrement : le baptême est « indélébile », et reste valide malgré l’apostasie ou la conversion à une autre religion. Mais si je rejette mon baptême, il est dissolu pratiquement et ne reste qu’une coque vide. Le sacrement du baptême est donc dissoluble, même s’il reste indélébile. Peut-on appliquer ce raisonnement au mariage ? Cela signifierait : 1. le mariage est indélébile, et ses effets subsistent après le divorce : par exemple les enfants légitimes ne deviennent pas illégitimes. 2. Mais il restera dissoluble par un divorce. Son caractère indélébile ne le rend pas indissoluble. La comparaison du mariage avec le sacrement ne me paraît pas pertinente.

        J’en ai parlé avec plusieurs personnes, dont des théologiens, et un curé catholique, qui m’ont tous répondu qu’il s’agit de deux questions différentes : l’une relève de la théologie des sacrements, ici avec allusion aux thèses catholiques romaines. L’autre relève de celle du mariage, avec fondement dans l’Ancien Testament où il est créé par Dieu, et confirmation par Jésus dans le N.T., et par les apôtres : I Cor 7/10-11 

       Le raisonnement de Rognon est alors : 1. le mariage est peut-être bien indissoluble  2. On a trouvé la parade : il n’est pas un sacrement ! Que j’ai frappé le bon clou apparaît dans la réponse de Rognon : il balaie le problème en le niant. « Indissolubilité et remariage des divorcés sont une abstraction !

2.Le mariage a deux fondements : l’amour et la raison. Il suppose l’amour du couple (du moins dans le Nouveau Testament : cf I Cor 7/9, Eph 5/25-33) et l’amour des enfants qui en naissent, dans une famille. Cela est mis en ordre par la raison (on parle classiquement de l’ordre du mariage) et par les deux commandements qui formulent cette mise en ordre : Tu ne commettras pas d’adultère, Exode 20/14, et : Tu ne commettras pas l’inceste, Lévitique 18/6-18. Le corollaire est la fidélité, et celle-ci ne peut être temporaire, au gré des humeurs. Dans la Bible, la fidélité est présentée comme un attribut de Dieu, dont l’imitation s’impose à l’homme : « Soyez saints comme je suis saint, moi l’Eternel, votre Dieu. » La fidélité suppose un engagement, une promesse, c’est-à-dire une loi que le sujet s’impose librement, mais qui devient alors une loi objective car elle s’impose à lui. De là naît l’indissolubilité, comme volonté de garder pérenne cet engagement et cette loi. C’est le fondement subjectif. Qui va à la rencontre du fondement objectif, qui vient de l’institution de Dieu ; celle-ci aussi est d’abord subjective en Dieu.

        En effet, le mot latin « instituere » qu’on emploie là, a 3 sens : 1. décider de faire quelque chose : suppose qu’on a d’abord pensé, ce qui est la prise de conscience. 2. mettre en œuvre = instituer : c’est l’action, dans laquelle la volonté est mise en œuvre. 3. la chose instituée devient une chose extérieure au concepteur et décideur, une « res per se». La volonté humaine rencontre celle de Dieu : d’origine subjective, elles deviennent objectives et fondent la fidélité, partant l’indissolubilité de principe.

        Dans la pratique, il faut rendre justice à ces deux dimensions : celle du sentiment et de tout ce qu’il induit : bonheur, malheur, souffrance ; et celle de la raison et de la volonté de Dieu, exprimée dans le concept de loi : Torah : ce qui distingue, Nomos : ce qu’on pose, Lex : ce qu’on dit.

3. J’ai relevé aussi la nécessité d’une pastorale basée sur la compréhension des problèmes des gens, sur l’amour des personnes auxquelles on a à faire, la miséricorde envers les faiblesses et le pardon des fautes. A la fois envers la victime de l’infidélité qu’envers l’infidèle. Là aussi surgit une question : il est évident que si la rupture du lien conjugal n’est plus une faute, il n’y a plus ni fautiif ni victime, et il n’y a pas lieu d’aller plus loin. La dissolution du mariage est alors un acte sans importance, tout juste bon à être enregistré par le notaire, comme le veulent certains aujourd’hui. Dans ce cas comprendre, être miséricordieux n’a aucune importance, puisqu’il ne s’agira que de problèmes contingents et personnels d’un homme et d’une femme. Mais là on en dehors de l’Eglise.

        J’ai célébré environ 300 mariages, sinon plus, durant mon ministère. Cela représente beaucoup de travail de préparation. La procédure ancienne de remariage des divorcés, malheureusement abandonnée depuis des années, prévoyait : étude du cas avec les futurs époux, étude avec eux du jugement de divorce du futur conjoint concerné, mise en place d’un processus de réconciliation avec soi-même et avec Dieu, voir si les causes qui avaient conduit au divorce n’allaient pas se répéter : mépris du conjoint, pathologie mentale et psychologique, etc… Ensuite de quoi, il fallait faire un rapport par écrit pour le président de Consistoire, l’inspecteur et la Commission des mariages du Directoire. On ne pouvait pas être flou. Tous les aspects devaient être étudiés.

        Mon premier constat : la grande reconnaissance des couples, pris au sérieux par tous ces aspects. Mon deuxième constat : très peu de divorces chez ces divorcés remariés. Je ne sais pas si mon travail pastoral a joué un rôle. Cela nécessiterait une enquête dont je n’ai pas les moyens.

4.  Conclusion : tout cela est un peu plus compliqué qu’il y paraît à beaucoup. La pastorale du mariage suppose : 1 : que le mariage fait partie du projet de Dieu pour l’homme. 2. pour le pasteur comme pour les mariés une connaissance technique des choses, biblique et théologique, sociologique aussi et juridique. 2. pour le pasteur comme pour les mariés une pratique humaine et adaptée, basée sur cette connaissance claire des choses.

        Le danger que je sens dans toutes ces prises de position peu fondées est que notre pratique, là comme dans d’autres choses, est basée plus sur le confort mental que sur la rigueur des choses. Et qu’on trouve toujours des arguments, plutôt spécieux, pour justifier cet état des choses.