Bertrand STRICKER,
pasteur ECAAL retraité, Saverne
Il nous faut redécouvrir le sens et le rôle de la loi
Redécouvrir le sens de la Loi
1.1.- Le constat fondamental :
Nous nous interrogeons comment nous devons célébrer le 500ème anniversaire de la Réforme. De nombreuses suggestions sont faites et de multiples projets qui ne manquent pas d’intérêt, s’élaborent. Mais avant toute chose n’est-il pas urgent que nous entendions d’une manière renouvelée l’affirmation centrale que Martin Luther énonce dans la première de ses 95 Thèses ?
« En disant « repentez-vous ! », notre Seigneur et Maître Jésus-Christ a voulu que notre vie entière fût repentance…Et cette repentance dure jusqu’à l’entrée du Royaume des Cieux ».
L’appel à la repentance est au cœur du message de Jean-Baptiste. Par elle Dieu lui a demandé de « préparer le chemin du Seigneur ». Elle est au cœur du message de Jésus lui-même. Elle est la condition pour « entrer dans le Royaume de Dieu ». Sans la repentance nous ne pouvons saisir le prix de la grâce, nous en consoler et nous en réjouir. Cela ne signifie pas que nous devons faire pression sur les fidèles pour qu’ils se repentent et se convertissent. Ce serait succomber à une certaine forme de moralisme et de légalisme, Ce serait céder à la tentation de faire de l’action psychologique et à la limite de manipuler nos auditeurs. Il s’agit bien plus de permettre à nos fidèles de redécouvrir le sens de la Loi, car c’est elle qui a pour effet de produire la repentance dans le cœur de l’homme. « Elle est le pédagogue qui mène à Christ » nous dit l’apôtre Paul (Galates 3,24). Ce pédagogue nous ne savons plus l’écouter, ni le comprendre ou plus précisément nous ne savons pas traduire en termes actuels son enseignement. Au sein de l’Eglise la Loi est de nos jours trop souvent négligée ; elle est relativisée ; elle est oubliée et même ignorée.
En effet, l’apôtre Paul qui affirme d’une part dans l’épître aux Galates « C’est par la loi que je suis mort à la loi » (Galates 2,19), déclare d’autre part dans l’épitre aux Romains : « Ce n’ai connu le péché que par la loi » (Romains 7,7; cf. tout le passage sur le rôle de la loi aux versets 7 à 12 !)
1.2.- Une évolution inquiétante de notre piété, de la pratique de notre foi :
1.2.1.- Dans nos Eglises Luthériennes, jusqu’au milieu du 20ième siècle, on est convaincu que toute Sainte-Cène devait être précédée d’un temps de « préparation comportant un examen de conscience établi à partir du sommaire de la loi et reprenant chacun des commandements du Décalogue » (Liturgie de l’Eglise Evangélique Luthérienne de France 1965) ; cf. aussi la dernière liturgie publiée en allemand dans le cadre de notre Eglise d’Alsace et de Lorraine, celle de Karl Maurer où le « Beichtgottesdienst » a toute sa place. Mais, considérant qu’il était erroné et faussement culpabilisant d’associer aussi étroitement confession des péchés et Sainte-Cène, on a peu à peu renoncé à cette pratique et abandonné en fait toute forme de « culte de repentance » en tant que telle (« Beichtgottesdienst »)
2.2.2.- La repentance s’exprimait aussi par la manière dont était vécu et pratiqué le Vendredi-Saint. Pour les mêmes raisons que nous venons de citer, elle ne tient plus une place particulière dans nos cultes de ce jour tant au niveau de la liturgie que de la prédication.
2.2.3.- Le désir de donner la première place à Pâques, à l’affirmation de la résurrection (à l’instar d’une certaine théologie en vogue de nos jours !) a eu pour effet de minorer, voire de négliger consciemment ou inconsciemment la célébration du Vendredi-Saint en tant que telle. Certes la résurrection est la pierre d’angle de notre foi. « Si Christ n’est pas ressuscité, votre foi est vaine… », affirme l’apôtre Paul (1 Corinthiens 15,17), mais ce même apôtre déclare aussi avec autant de force, comme nous l’avons déjà souligné: « Je n’ai connu le péché que par la loi » (Romains 7,7). « Aujourd’hui les gens veulent ressusciter sans mourir. Ce qui est une aberration par rapport à la foi chrétienne» souligne à juste titre le pasteur Philipe Rousseaux.
N’oublions pas que Pâques a un double fondement :
a) Pâques repose sur le témoignage des apôtres, sur la proclamation que « le Christ est ressuscité, qu’il est vraiment ressuscité ! Alléluia ! »
b) Pâques ne devient une réalité vivante dans le cœur du croyant que dans la mesure où par le Christ il meurt au péché et vit d’une vie nouvelle, donc dans la mesure où il vit dans un esprit de repentance et de foi au pardon.
Si l’Eglise n’appelle pas ses fidèles à cette repentance, sa proclamation de la résurrection n’est qu’une vaine gesticulation incantatoire !
2.1.4.- A partir d’une certaine conception de la grâce nous avons refoulé toute idée d’un jugement et l’interprétation lénifiante actuelle de l’Apocalypse est stupéfiante ! Savons-nous encore dire le jugement que la Parole de Dieu prononce sur nos vies ?
2.2.5.- Il faut s’interroger sur la place que les dix commandements ont aujourd’hui dans notre enseignement catéchétique par rapport à l’importance que leur donnait Martin Luther aussi bien dans le Petit que dans le Grand Catéchisme, et également au regard de la pratique qui existait dans le cadre de nos catéchismes paroissiaux jusqu’à une date toute récente. Le pasteur consacrait jadis au minimum deux à trois leçons à l’explication de chaque commandement. Ces derniers temps la situation a encore empiré pour une simple raison d’ordre pratique : comme on n’arrive souvent à rassembler les enfants qu’une fois tous les 15 jours ou une fois par mois, il n’est plus possible, par manque de temps, de mener avec eux une réflexion approfondie sur chacun des commandements.
2.2.5.- Dans nos Eglises Protestantes il était également d’usage de prêcher sur les dix commandements. Martin Luther l’a fait très souvent. Dans notre Eglise cette pratique avait surtout sa place dans les services de préparation à la Saine-Cène et dans le cadre de la « Christenlehre », ces cultes spéciaux qui avaient lieu tous les dimanches en tout début d’après-midi et auxquels tous les jeunes étaient tenus d’assister jusqu’à l’âge de 18 ou 21 ans ou même jusqu’au mariage. On sait aussi que les pasteurs qui furent à l’origine du Réveil Luthérien de la deuxième moitié du 19ième siècle prêchaient souvent sur les 10 commandements.
2.2.6. Il est caractéristique de cette évolution générale de notre piété qu’il existe par exemple beaucoup d’études et d’exégèse du Notre Père, mais à ma connaissance il n’y a plus eu d’étude théologique et spirituelle des dix commandements en français depuis l’excellent livre d’Alphonse Maillot qui date de 1976 : « Le Décalogue, une morale pour notre temps » (un commentaire nullement moralisant contrairement à ce que le sous-titre peut laisser croire ,exemple flagrant de l’évolution qui s’est faite quant à notre compréhension de « la morale » et de la connotation négative qu’elle a prise !!)
Il ne s’agit bien évidemment pas de restaurer ces pratiques anciennes que nous venons d’énumérer sous 2.2., mais de redonner dans notre vie ecclésiale toute sa place à la Loi sous une forme renouvelée.
3. Restaurer le sens de la Loi
3.1. – Distinguer entre les valeurs chrétiennes et celles incarnées par les Droits de l’Homme. A écouter certains discours ou prises de positions de l’Eglise ou encore certaines prédications on a l’impression que la Loi au sens biblique du terme se réduit à l’observation de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. La Loi au sens biblique du terme est toute autre chose que cette charte diluée dans la généralité, abstraite et anonyme. Elle est une interpellation que Dieu m’adresse personnellement et à laquelle il me demande de répondre personnellement. Et par son contenu et ses exigences la Loi est plus et autre chose que les Droits de l’Homme. .
3.2.- Distinguer entre moralisme et une saine et juste affirmation de la Loi. Il existe, en effet, aujourd’hui très souvent une regrettable confusion entre les deux et, de peur d’être taxés de « moralisateurs » nous évitons dans nos prédications de développer les exhortations éthiques contenues dans les textes scripturaires. On vide l’enfant avec le bain !
3.3.- Lever le malentendu que crée si facilement l’affirmation de « l’amour inconditionnel de Dieu ». De nos jours cette expression fait florès dans nos prédications et il faut se demander si cette affirmation ne risque pas de devenir l’annonce d’un Evangile bien léger, bien « light et soft» comme on aime dire de nos jours ? N’y- a-t-il vraiment aucune condition à l‘amour de Dieu ? Ne donnons-nous pas l’impression qu’aux yeux de Dieu, comme on dit, « tout le monde est beau et tout le monde est gentil » ? Non, il y a une condition c’est tout simplement, en langage classique, la repentance et celle-ci doit s’exprimer de l’une ou l’autre manière dans nos sermons pour qu’ils soient l’annonce de l’Evangile dans sa plénitude.
3.4.- Reconnaître que la Loi est intrinsèquement bonne. Elle est « le bien et la vie» (Deutéronome 31,15-16) Elle est le chemin et la condition de la liberté…cf. le début des dix commandements : « Je suis le Seigneur ton Dieu qui t’ai fait sortir d’Egypte, de la demeure de l’esclavage » ! Certes nous pouvons en pervertir l’usage, en faire une observance hypocrite et asservissante, bref un usage légaliste et moralisateur.
3.4.- Retrouver l’émerveillement devant la beauté, la justesse et la vérité de la Loi tel qu’il s’exprime dans tant de psaumes de la Bible jusqu’à atteindre son summum dans les 176 versets du psaume 119 ! Où est ce désir, voire ce plaisir de « méditer la loi jour et nuit » qui s’exprime dans nombre de ces mêmes psaumes ? Ne voyons-nous donc plus, ne comprenons-nous plus combien la Loi est « sainte, juste et bonne » (Romains 7, 12) ? L’apôtre Paul aurait-il pu souligner davantage le rôle éminemment positif et essentiel de la loi dans la démarche chrétienne, loin de tout légalisme ? Nous, pasteurs, ne devons-nous pas nous laisser secouer par les interpellations véhémentes de Martin Luther dans son introduction au Grand Catéchisme, reprochant aux pasteurs de l’époque leur manque de zèle pour étudier et approfondir les commandements?
3.5.- Redonner toute sa place à la Loi dans notre enseignement catéchétique.
Suite à la sécularisation il s’est opéré un divorce entre l’éthique chrétienne et les valeurs qui dominent notre société. Il suffit de se mettre à l’écoute des enfants fréquentant le catéchisme pour se rendre compte combien ils vivent aujourd’hui dans un milieu qui prône des valeurs se situant à cent lieues de celles de la Bible. Ce constat d’une déchristianisation galopante, voire d’une paganisation de notre société, rend nécessaire de donner dans notre enseignement catéchétique toute sa place à la Loi comme pédagogue conduisant à Jésus-Christ et de ne pas conférer à celle-ci qu’une fonction purement parénétique comme le préconisent d’éminents théologiens aujourd’hui. Plus précisément c’est tout l’Ancien Testament qui veut préparer nos cœurs à accueillir la personne du Christ.
3.5.- Discerner le rôle de la Loi pour la vie en société.
Tout le monde se désole que tant de nos jeunes n’aient plus de repères et que dans notre société il y a une perte du sens moral. Les psychologues et les psychanalystes nous expliquent que c’est « l’autorité de la loi » qui structure en nous ce que Freud appelle le « ça », ce chaos où bouillonnent nos pulsions, que c’est la Loi qui fait de nous des humains ! Il faut dès lors se poser la question : nous, chrétiens, ne sommes-nous plus conscients du cadeau si juste, si bon, si vital que Dieu nous fait par le don de la Loi, que c’est bien d’elle que le monde a besoin pour évoluer vers moins de violence, plus de justice, plus de démocratie et plus d’humanité ? La Loi ne sauve pas l’homme, elle ne le peut pas, mais elle l’humanise! En ces temps où l’on constate une augmentation inquiétante des incivilités, une déshumanisation grandissante de notre société, il nous faut redécouvrir la valeur sécurisante de l‘interdit, le rôle structurant essentiel de l’autorité et de la Loi en vue d’un meilleur vivre ensemble en société On ne peut que s’étonner que les Eglises demeurent si indifférentes au débat sur la réhabilitation de la morale à l’Ecole !
Oui, je rêve d’une Eglise qui appelle à « une réforme deutéronomique » à l’instar de celle qui eut lieu en Israël du temps du roi Josias, une réforme qui permette au peuple de Dieu de redécouvrir le sens et la portée de la Loi, comme un chemin de vie et de liberté.
Je prie Dieu de nous donner un nouveau Martin Luther qui sache formuler pour notre temps, d’une manière simple et claire, les affirmations essentielles de la Loi.
« Vois, je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bien, la mort et le mal. Car je te prescris aujourd’hui d’aimer l’Eternel, ton Dieu, de marcher dans ses voies, et d’observer ses commandements, ses lois et ses ordonnances, afin que tu vives…et que l’Eternel, ton Dieu, te bénisse… (Deutéronome 30, 15-16).