99 LE DISCIPLE QUE JESUS AIMAIT
Chers collègues,
Je vous salue cordialement au début de cette année 2015, après plusieurs mois de silence, dus aux diverses activités mange-temps d’un retraité. Bonjour donc.
J’ai pensé vous communiquer une étude remontant à 2013, sur un sujet à la fois d’actualité et en attente de décision. Nos Eglises ayant repoussé à plus tard une décision concernant l’homosexualité, en particulier celle des ministres, le débat reste ouvert.
Il s’agit de la revendication de certains concernant le passage johannique sur « le disciple que Jésus aimait. » Ce texte de Jean est souvent revendiqué par les tenants de l’homosexualité. Il m’a paru intéressant de faire l’exégèse de cette expression chez Jean, pour montrer que ces textes ne peuvent être employés dans ce sens.
Recevez mes cordiales salutations. Yves Kéler 16.2.2015
« LE DISCIPLE QUE JESUS AIMAIT »
Yves Kéler, 2013
Etude du vocabulaire grec et latin de divers textes contenant le mot « aimer » en français.
Si on veut comprendre l’expression « le disciple que Jésus aimait », il faut d’abord analyser les originaux de ce mot et leur signification.
J’ai choisi un certain nombre de textes représentatifs, dans l’A.T. et le N.T. et les ai placés côte à côte pour montrer que ce qui est traduit par « aimer » est plus varié dans les textes bibliques, et a donc des sens différents.
J’ai pris trois textes de référence :
1. la LXX pour le grec, car elle était employée longtemps en Occident, avant d’être remplacée par la Vulgate. La LXX a façonné les esprits, et Jérôme s’en est inspiré.
2. la Vulgate de Jérôme pour le latin, qui résulte partiellement de la fusion de la Vetus itala du 2e Siècle avec les traductions propres de Jérôme, qui sont les plus importantes.
On est donc dans le même milieu culturel, linguistiquement à cause du voisinage des deux textes pendant un long temps, et théologiquement parce qu’on se trouve dans l’Eglise antique.
3. la Bible de Luther pour l’allemand, en tant que texte de base de la Réforme au XVIe siècle, et commentaire aux textes hébreux, grec et latin. Les choix exégétiques de Luther ont été discutés dans la commission de traduction qu’il conduisit pendant des années, avant 1534, date de la première édition complète. Les choix des mots de Luther sont le résultat d’une mûre réflexion.
En prenant ces trois références solides, je veux éviter l’opinion : « Les textes bibliques, on peut leur faire dire ce qu’on veut en fonction des lunettes qu’on a sur le nez. »
Ci-dessous, par l’étude des textes bibliques, je montre qu’il n’est pas possible d’employer l’appellation « le disciple que Jésus aimait » comme un argument en faveur d’une éventuelle homosexualité de Jésus.
A. 1. Analyse des textes bibliques concernant les textes traduits par « aimer » en
français
Citations : LXX, Vulgate, Luther
LXX Vulgate
grec latin
Luther
allemand
A.T.
Juges 16/4 : Samson aima une femme (Dalila) êgapêsé amavit
gewann eine Frau lieb
I Samuel 1/5 : Il (Elkana) aima Anne egnô tèn Annan cognovit
erkannte
I Rois 11/1 : Le roi Salomon aima beaucoup de femmes èn philogunès amavit mulieres
liebte viele Frauen
II Chron 11/21 : Roboam aima Maaka êgapêsé pleiôn amavit plus
liebte mehr
Cant. des C. 6/3 Mon bien-aimé est à moi et je suis à mon b. adelphinos dilectus
Dans l’A.T., le mot « agapaô » peut contenir une dimension sexuelle, mais ne se superpose pas avec « aimer » au sens de « faire l’amour », c’est-à-dire avoir une relation sexuelle. Pour cela il y a « connaître – gignosko et cognoscere. » Aimer comme amateur sera exprimé par « philogunès », un amateur de femmes. Bien entendu la sexualité entre dans le sens du mot.
N.T. Synoptiques
Matth 10/37 : qui aime plus fort père et mère ho philôn qui amat
Matth 19/19 : aime ton prochain tima ton plèsion
aime ton père tima honora
Matth 22/37 : aime ton Dieu …ton prochain agapêsèis diliges
Luc 7/47 : elle a beaucoup aimé êgapêsen polu dilixit multum
Ici, ce qui est traduit en français par « aimer » représente deux mots différents, qui sont « philein » et « agapân. » « Aimer son prochain et ses parents » est exprimé par « timein » qui a le sens de « craindre, respecter » et relève du commandement plus que du sentiment.
N.T. Jean
Résurrection de Lazare
Jean 11/5 : celui que tu aimes (Lazare) hon phileis amas
Jean 11/5 : Jésus aimait Lazare et Marthe et Marie êgapa diligebat
Jean 11/11 : notre ami Lazare dort ho philos êmôn amicus noster
On voit que ces verbes ou mots n’expriment que de l’affection et n’ont pas de contenu sexuel. « Phileis » est traduit par « amas », et en retour « êgapa » l’est par « diligebat. »
Jean 12/25 : celui qui aime sa vie plus que moi ho philôn qui amat
Discours d’adieu
Jean 13/1 : comme il avait aimé les siens, agapêsas cum dilexisset
il les aima jusqu’à la fin êgapêsen dilexit
Jean 14/15 : si vous m’aimez, gardez mes commandts. Ei agapate me si diligetis me
Jean 14/21 : qui aime le commts. de Dieu, celui-là m’a. ho agapôn me diligit me
Jean 14/23 : si quelq’un m’aime hean tis agapa me diligit me
Jean 14/28 : si vous m’aimez ei agapate me si diligeteris me
Passion – résurrection – apparition : le disciple préféré
Jean 18/15ss l’autre disciple allos mathêtês alius discipulus
Jean 13/23 Cène le disciple que Jésus aimait hon êgapa dilexit liebhatte
Jean 19/26 la Croix sa mère et le disciple qu’il aimait hon êgapa diligebat «
Jean 20/2 Tombeau vide l’autre disciple que Jésus aimait hon éphilei amabat «
Jean 21/7 Apparition le disciple que Jésus aimait hon êgapa diligebat «
Jean 21/20 « « le disciple que Jésus aimait hon êgapa diligebat «
Dans ce groupe de textes, tous les « êgapa » sont traduits chez Jérôme par « diligo », 3 fois à l’imparfait, une fois au parfait. En revanche « hon Iêsous ephilei » est traduit par « amabat », qui ne peut alors signifier que « aimer d’amitié. » L’amitié peut donc se traduire par le verbe « amo », ce qui est logique puisque la latin « amicitia » est bien construit sur « amo. » Les dictionnaires latins font remarquer que diligo signifie aimer et préférer, pour des raison rationnelles. Benoist-Goeltzer dit : « Apprécier : d’où aimer (par choix), avoir des égards pour. » Luther traduit les 5 occurrences par « Der Jünger den Jesus liebhatte – le disciple que Jésus aimait bien », et non « liebte », qui a une connotation sexuelle. Il est clair que dans ce groupe de passages, le mot « agapaô » a le sens de « préférer, aimer davantage », de même qu’à l’inverse « philein » est traduit par « amo. » Aucun de ces emplois n’a de connotation sexuelle.
2. Qui est « le disciple que Jésus aimait », et pourquoi cette appellation ?
a. Il est intéressant de constater que l’expression « le disciple que Jésus aimait » n’apparaît que dans les récits de la Passion et seulement chez Jean : à la Cène, sous la croix, au tombeau vide, deux fois à l’apparition de Jésus au lac, dans un chapitre ajouté. Dans deux autres récits, celui des 2 disciples dans la cour du grand-prêtre et celui de la résurrection, on parle de « l’autre disciple » à côté de Pierre. S’agit-il du même personnage ? C’est probable, puisque dans 20/2, au tombeau vide, il est appelé « l’autre disciple que Jésus aimait. » Y aurait-il un auteur différent dans ce cycle de la Passion ? Ou une source différente ? Il faudrait étudier quelques commentaires sur ce point.
L’auteur de l’évangile de Jean s’attribue dès le début une importance particulière, puisqu’il se présente comme un des deux disciples de Jean qui voient arriver Jésus à Béthanie du Jourdain et comme étant le premier des deux disciples de Jean qui ont suivi Jésus, suivis de Pierre, Philippe et Nathanaël. L’auteur, si c’est Jean, se considère donc comme le premier des 5 premiers disciples de Jésus. Mais si c’est bien Jean, ce récit est en contradiction flagrante avec les synoptiques, qui placent l’appel de Jean et de son frère Jacques au lac de Tibériade. Dans leurs récits, les deux premiers appelés sont Pierre et André, le 3e et le 4e sont Jacques et Jean.
Mais l’auteur de Jean n’emploie pas ces deux expressions durant tout le ministère de Jésus. Pourquoi apparaissent-elles dans les récits de la Passion ? On ne le sait pas. Et pourquoi est-il appelé ainsi « le disciple préféré de Jésus ? » Est-ce du fait qu’il serait le premier disciple ? D’ailleurs l’appelait-on ainsi chez les autres disciples, ou bien s’attribue-t-il ce titre ? Aucun des Synoptiques ne dit que Jésus avait un disciple préféré. L’auteur de l’évangile de Jean revendique la véracité de ses dires dont il se dit avoir été témoin : 21/24 : « C’est ce disciple qui rend témoignage… », peut-être contre les Synoptiques. Il est évident que l’historiographe de Jean s’écarte des Synoptiques. Il le fait d’ailleurs fréquemment, corrigeant souvent ces derniers.
Autre point : jamais il n’est dit « le disciple qui aimait Jésus. » Cette préférence ou affection particulière s’adressait du Christ à un de ses disciples, et semble-t-il, est pensée dans cette direction. La réciprocité, qui pourrait faire croire à un sentiment amoureux, n’est pas signalée. Dans Jean 21/15, Jésus demande à Pierre : « Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu plus que ceux-ci (m’aiment) ? » Le grec dit : « agapâs me », le latin « diligis. » Encore une fois Jérôme traduit « agapân » par « diligere », montrant que ce verbe n’a aucune consonance érotique quelconque. De plus la question suppose que tous les disciples aiment Jésus. Et que le disciple bien-aimé entrait dans la même catégorie que les autres.
b. Autre constat intéressant : les disciples sont peu nommés dans la 1e partie de l’évangile ch 1-12, après les 5 vocations du ch. 2. Seuls Philippe, à la multiplication des pains Jn 6/5, et Thomas, à la résurrection de Lazare Jn 11/16 le sont. En revanche, dans la 2e partie ch. 12 – 21, leurs noms apparaissent fréquemment. Judas dans la Cène Jn 13/2 et 31, Thomas, dans la 2e apparition du Christ Jn 20/24. dans l’apparition à Tibériade, sont cités Simon Pierre, Thomas, Nathanaël, Jean et Jacques et « deux autres disciples » non précisés.
Mais ce qui frappe, c’est le continuel voisinage de Pierre et du « disciple que Jésus aimait », ou de « l’autre disciple », s’il s’agit du même.
Cène : Pierre 13/24 « le d. q. J. a. » 13/24-25
Pierre 13/36 « «
Arrestation : Pierre 18/10 « «
Cour : Pierre 18/15 « l’autre disciple » 18/15
Résurrection Pierre 20/2ss « l’autre disciple » 20/2
Apparition Pierre 21/2ss « le d.q. J. a. » 21/7ss
Une réponse peut-être proposée. Il semble que dans les communautés chrétiennes le jeu des préférences pour tel ou tel apôtre ait été fréquent. Paul s’en fait l’écho à Corinthe (I Cor 3/4-5), pour Paul et Apollos, et l’épître aux Galates parle clairement de la rivalité de Pierre et de Paul au Concile de Jérusalem Galates 1/18. A l’époque des pères apostoliques, diverses communautés se réclamaient d’apôtres qui les auraient créées : Marc pour Alexandrie, André pour Patras.
On peut très bien imaginer un tel conflit entre des églises se réclamant de Pierre et de Jean. Les partisans de Jean auraient écrit leur évangile pour montrer que les deux apôtres sont à égalité. Ils sont ensemble dans tous les moments fondateurs, du baptême de Jésus à son ascension, comme Joseph Barsabbas et Mathias dans Actes 1/23.
Mais Jean a toujours un pas d’avance : il est le premier disciple, il est l’intermédiaire entre Pierre et Jésus à table : sans lui, Pierre ne saurait pas, en revanche c’est Pierre qui avait posé la question. Dans la cour du grand-prêtre, Pierre n’aurait pas pu entrer sans Jean qui connaissait le grand-prêtre. Sous la croix, Jean est seul pour prendre Marie en charge, alors que Pierre avait renié le Christ. A l’apparition au lac, Jean reconnaît le premier Jésus, mais Jésus confie ses brebis à Pierre.
Les deux disciples sont donc à égalité, et leur rivalité n’est pas une inimitié, mais plutôt une source d’émulation pour tous. L’auteur de l’Evangile de Jean remet les choses en place entre Pierre et Jean, dans l’intérêt de l’unité de l’Eglise.
Qui est alors le « disciple que Jésus aimait ?»
Aucun texte ne peut affirmer qu’il s’agit de Jean, mais par élimination la tradition a très tôt dit que c’est Jean. Par ailleurs, ce disciple est-il l’auteur de l’évangile ? La mention finale de Jean le laisse supposer, mais on ne peut l’affirmer. L’auteur a probablement voulu laisser la question ouverte.
Epîtres
Terminons notre analyse des textes par certains passages des épîtres :
La table domestique
Ephésiens 5/25 : maris, aimez vos femmes agapate diligite
tas gunaikas uxores
Ephésiens 5/28 : que les hommes aiment leurs femmes hoi andres agapân diligere
Ephésiens 5/33 : que chacun aime sa femme hekastos agapatô diligat
Le vocabulaire employé par Paul est le classique « agapaô », dont la connotation est plus sentimentale ou amicale que sexuelle. C’est pourquoi Jérôme traduit les 4 occurrences par « amo. »
Ajoutons la citation des textes des Juifs :
Le Talmud et les écrits des Juifs
Les Juifs ont écrit des textes contre Jésus, relativement peu, dit-on, qui apparaissent dans quelques livres juifs. Ils l’accusent de ce qui apparaît déjà dans les évangiles : de se prendre pour Dieu, en particulier parce qu’il pardonne les péchés, ou le Messie, ce qui est impossible, le monde n’ayant pas changé après sa mort. Les juifs ne reconnaissent pas la résurrection du Christ, ni son Ascension.
Mais parmi toutes ces accusations ou reproches faites contre Jésus, nulle part il n’est fait mention d’une quelconque forme d’homosexualité chez Jésus. Les Juifs étaient tout de même bien renseignés. S’ils avaient pu exploiter un tel argument contre Jésus, il est évident qu’ils l’auraient fait, car cela était très grave à cette époque.
B. Conclusion
En considérant ces textes différents, dans lesquels le mot « aimer » est employé en français, on constate :
1. que ce mot traduit essentiellement deux mots : « Agapaô-amare, philô-diligere », et qu’il couvre un large champ sémantique, allant de la simple amitié, de l’amitié profonde, jusqu’à l’amour entre deux êtres, en particulier homme et femme. Même dans le dernier cas, le sens de « faire l’amour » n’est pas indiqué.
2. que la connotation sexuelle n’est pas forcément présente, mais qu’elle peut l’être. Le contexte et le bon sens indiqueront dans quel cas il faut traduire ainsi. Dans l’A.T, la relation sexuelle est caractérisée par le mot « connaître. » Dans la plupart des autres cas, ces mots désignent l’affection, entre homme et femme et entre hommes ou femmes, et rejoignent ainsi l’amitié et la préférence, que Jérôme traduit par « diligere. »
3. concernant le Christ, le mot va à l’évidence dans le sens de l’amitié et de la préférence, sans plus.
4. on ne peut donc pas revendiquer l’expression « le disciple que Jean aimait » dans un sens autre que l’amitié.
Yves Kéler, 7.12.2013
TEXTES ENVOYES PAR Jürgen GRAULING, le 26.2.2015
DOCUMENT 1
Assemblée de l’Union/UEPAL
Une résolution de bon sens mais trop frileuse, une synthèse bâclée et les orientations d’un président déplacées
De Jürgen Grauling
« Pas mûrs pour décider » titraient les Dernières Nouvelles d’Alsace* en citant les propos de C. Albecker, résumant ainsi les débats de l’Assemblée de l’Union des 28 et 29 juin 2014 concernant une éventuelle bénédiction des couples mariés de même sexe. Personnellement, j’approuve ce constat ainsi que la résolution de surseoir à une décision sur le fond de la question pendant quelques années. Si je considère qu’une liberté d’appréciation donnée aux paroisses et pasteurs aurait été la décision la plus juste – parce que les positions déjà présentées dans le document préparatoire de l’UEPAL ont toutes les deux une légitimité forte dans le protestantisme luthéro-réformé actuel ! -, je pense aussi qu’il est sage de ne pas brusquer une évolution majeure dans notre pastorale et symboliquement forte au niveau liturgique.
La décision n’est pas mûre et le sursis provisoire est de bon sens. Il faut se réjouir, au contraire, de l’évolution des mentalités qui s’est traduite par une forte participation des paroisses à la consultation ecclésiale (107 retours collectifs contre 18 en 2003) avec des résultats très encourageants (52% favorables, 24% défavorabes à une forme de bénédiction contre 75% défavorables en 2003 !). Réforme, dans son édition du 3 juillet, fait état de débats internes d’une grande qualité au sein de l’Assemblée de l’Union, ce qui laisse augurer une culture de dialogue renforcée grâce à la question de l’accueil des personnes LGBT. Les membres de l’Assemblée de l’Union ont, quant à eux, montré un partage assez net et équilibré entre défenseurs et pourfendeurs de la bénédiction (44% vs 49%).
Néanmoins, je tiens à exprimer trois regrets majeurs concernant les événements de cette réunion au sommet de l’UEPAL : la résolution finale est frileuse, la synthèse des débats antérieurs bâclée et l’allocution initiale du président dans cette forme déplacée !
Une résolution finale trop frileuse
La résolution adoptée par l’Assemblée a le mérite d’exprimer plusieurs points positifs :
1) Elle réaffirme et renforce l’accueil inconditionnel des personnes LGBT et appelle les lieux d’Eglise à lutter contre les discriminations, notamment homophobes !
2) Elle acte explicitement l’accueil et l’accompagnement des couples mariés de même sexe.
3) Elle affirme que la lecture des Ecritures appelle l’interprétation et qu’elle « ne permet pas, à elle seule, de tirer d’emblée une conclusion qui fasse consensus sur la question de la bénédiction pour couples mariés de même sexe ». Ceci pourrait paraître comme une évidence, car ce principe est appliqué à bien d’autres questions depuis fort longtemps, mais en matière d’homosexualité on avait la fâcheuse tendance d’adopter une lecture littérale des textes concernés.
Toutefois, quelques omissions, des formulations imprécises et la remise en question de la loi sur le mariage pour tous ternissent le tableau, à mon point de vue. J’aurais attendu que l’Assemblée de l’Union donne plus de corps à l’accueil inconditionnel attendu des paroisses. Celui-ci est prôné depuis 2004, mais faute de contenu concret il est largement inappliqué. N’aurait-on pas pu exprimer le voeu qu’une commission particulière veille à l’application de cet accueil et accompagnement des couples de même sexe, pourquoi pas jusque dans les travaux de la pastorale conjugale et familiale. J’aurais même espéré la création d’un observatoire de la condition des personnes LGBT au sein de l’UEPAL ! Enfin, et c’est malheureusement un classique dans les déclarations d’Eglises – qui en dit long ! – à l’image de celle de la FPF en octobre 2012, je déplore fortement que l’on ne prenne pas directement en compte les personnes concernées. Une petite phrase aurait pu réparer cet oubli : « Nous regrettons de ne pas pouvoir apporter de réponse immédiate aux demandes de bénédiction qui seraient formulées par des couples mariés de même sexe. Nous les prions de bien vouloir comprendre que notre Union d’Eglises a besoin de temps pour mûrir sa décision sur cette question. »
Ensuite, le troisième paragraphe qui exprime une ambivalence prête à confusion. Que signifie donc la mention : « Une bénédiction de personnes mariées est toujours une bénédiction d’un projet de vie de couple. » Signifie-t-elle, comme l’ont pensé certains commentateurs, que les couples de même sexe, à la différence des couples hétérosexuels, n’ont pas de projet de vie couple ? Pour moi, cette phrase bat simplement en brèche l’argument réducteur qui disait qu’on ne peut pas refuser une bénédiction à des individus. La phrase affirmerait donc au contraire qu’il s’agit bien de projets de vie de couples sur lesquels on prononcerait la bénédiction, si une liturgie pour les couples de même sexe était adoptée.
Etait-il nécessaire de railler le législateur sur la loi du mariage pour tous ? J’aurais préféré que l’Assemblée énonce un regret, tout en actant l’état de fait : « Nombre parmi nous auraient préféré que le législateur maintienne une distinction symbolique entre mariage classique et l’union de personnes de même sexe. A présent, il nous appartient de clarifier de quelle manière accueillir les couples mariés de même sexe. »
Dernier regret concernant la résolution : j’aurais aimé que l’Assemblée se donne une date butoir à laquelle elle serait saisie à nouveau sur cette question. La formulation adoptée (« un délai de trois avant d’envisager de reprendre la question ») reporte à une nouvelle délibération, sans se donner de délai impératif.
Une synthèse bâclée
A plusieurs reprises, le président de l’UEPAL a laissé entendre aux pasteurs que la consultation n’était en aucun cas un référendum. Il ne s’agirait donc pas de multiplier les prises de positions et les signatures, mais de prendre en compte le fond des argumentations. A la lecture de la synthèse présentée à l’Assemblée de l’Union présentée par Bettina Schaller et Karsten Lehmkühler, nous sommes obligés de déchanter ! Seuls les chiffrages en ressortent clairement, et l’argumentation est plus ou moins escamotée ! Il ne suffit pas de résumer la teneur générale des 107 contributions collectives et 58 individuelles, il aurait fallu donner un aperçu détaillé de la profondeur des argumentations, afin que les membres de l’Assemblée de l’Union aient pu se faire une opinion documentée. Il est à espérer que ceux-ci aient eu accès directement à certaines prises de position favorables et défavorables et aient pu consulter le débat public sur www.facebook.com/benedictionUEPAL. Pourquoi, s’il ne s’agissait pas d’un référendum, faire le pourcentage des contributions individuelles ? Pourquoi mettre en exergue soeur Danielle des diaconesses, en quoi serait-elle plus représentative que René Lamey, membre de la commission conjugale et familiale, non cité, dont la position représente pourtant sans doute 66% des pasteurs ? A mon avis, n’aurait pas dû se contenter d’un relevé trop succint des arguments en présence (partie III, page 4) en estimant que l’essentiel aurait été dit dans le document préparatoire. Plusieurs article ont justement contesté plusieurs aspects dudit document, comme ce qui est entendu sous le terme d’anthropologie biblique, la présentation des textes bibliques ou encore la compréhension scientifique de l’homosexualité.
Les orientations d’un président déplacées
Enfin, je reviens sur le discours tenu par le président de l’UEPAL en inauguration à la réunion de l’Assemblée de l’Union. Au lieu d’introduire les débats internes et de se contenter de voeux pour des échanges respectueux, le président se livre à une réelle synthèse où il exprime une version des choses très orientée. C’est pour le moins surprenant, pour une Assemblée qui a décidé de se doter pour la première fois de deux modérateurs afin d’assurer une parfaite neutralité dans la conduite des débats !
A mon point de vue, toute la seconde partie des réflexions concernant la bénédiction (page 3, second paragraphe jusqu’à la fin de la page 4) est déplacée, puisqu’objet du débat. Que ce soit les allusions à la fidélité biblique, à la grâce à bon marché de Bonhoeffer et la déclaration de Barmen, les dissertations sur le respect des petits ou sur la compréhension de la communion en Eglise ou entre Eglises ou l’affirmation gratuite qu’il faudra obligatoirement distinguer couples de même sexe et couples de sexe opposé, je m’inscris en faux. Non, l’adoption d’une bénédiction pour les couples de même sexe ne menace pas fondamentalement le principe réformateur du Sola Scriptura, et oui, elle implique l’exigence de l’amour-agapè dans la vie de couple. Mais j’ai déjà traité plus amplement de ces questions dans « Réponse rapide à un théologien ».
Contrairement à M. Albecker, je considère que les « petits » ou « faibles », au sens de l’apôtre Paul (et non au sens littéral), qu’il faut respecter dans le débat, ce ne sont pas uniquement les indécis et les croyants biblicistes. Il nous faut aussi prendre particulièrement soin des personnes LGBT qui sont régulièrement montrées du doigt (et notamment à travers la tenue de ce débat !) et les personnes qui regardent de loin le positionnement de l’Eglise, les fameux « distanciés » qui risquent d’être une fois de plus rebutés par un positionnement trop frileux de l’Eglise, qu’ils jugeraient à tort ou à raison en contradiction avec le message d’amour du christianisme.
Enfin, le président cite les autres Eglises de la Fédération Protestante de France qui demandaient aux Eglises luthéro-réformées de leur laisser un peu de temps. Si je tiens beaucoup à l’oecuménisme, aussi avec l’Eglise catholique romaine, je ne pense pas que cela devrait nous influencer particulièrement freiner dans notre ouverture envers les personnes LGBT. Si nous considérons que celle-ci fait partie de notre témoignage évangélique, nous devons prendre position et la défendre dans les relations inter-ecclésiales, comme nous l’avons fait en son temps pour le ministère féminin.** Un certain nombre d’Eglises membres de la FPF n’hésitent pas non plus à afficher leur couleur, quand il s’agit de défendre une morale rigoriste qu’elles croyent conforme au message biblique. La raison d’être de l’EPUdF et de l’UEPAL n’est pas, selon moi, de rivaliser avec les Eglises évangéliques et pentecôtistes, mais de se profiler résolument dans une interprétation conséquente de la Bible à partir de la grâce en Jésus-Christ et du triple commandement de l’amour (Dieu au-delà de tout, puis le prochain comme soi-même).
En résumé, je l’opinion du président aurait été bienvenue pendant le débat, mais en aucun cas elle ne pouvait prétendre à exprimer une sorte de « consensus préalable », telle qu’elle a été présentée.
* édition du 1er juillet 2014
** Peut-être a-t-on rappelé dans les instances de la FPF que ce sont nombre de délégués alsaco-mosellans qui avaient poussé le Conseil de la FPF à prendre une position réservée dans le débat sur le mariage pour tous, le 13 octobre 2012. Un comble, quand on y pense : les deux Eglises luthéro-réformées de France venaient de se doter de commissions ad hoc sur la question et entraient en dialogue interne. Par conséquent, elle auraient dû pousser la FPF où elles ont une voix prépondérante à la neutralité !
DOCUMENT 2
« Au-delà de nos désaccords profonds … »
Déclaration en vue de l’Assemblée de l’Union
A l’approche de l’Assemblée de l’UEPAL des 28 et 29 juin 2014, Stéphane Kakouridis et Jürgen Grauling, l’un
s’étant fortement positionné contre, l’autre fortement pour l’instauration d’une bénédiction des couples
mariés de même sexe, font la déclaration commune suivante :
Ensemble, nous confessons notre commune appartenance au Christ et notre commune référence aux
Ecritures qui lui rendent témoignage.
Cependant, nous sommes conscients de notre opposition quant à notre rapport à la Bible, à notre
herméneutique, à notre anthropologie et à notre compréhension de l’homosexualité.
v L’un prend au sérieux la condamnation unanime des textes vétéro- et néotestamentaires à l’égard
de ce qui peut s’apparenter à l’homosexualité ; celle-ci s’inscrit selon lui sous les signes de la
confusion et de la rupture avec le bon ordonnancement de la création. Il considère que vouloir
dépasser les données bibliques pour bénir des couples mariés de même sexe, c’est porter un coup
sérieux au principe réformateur du Sola Scriptura : la Bible ne fait plus alors « coupure » et les
croyants sont livrés à la toute-puissance de leurs désirs et de leurs idéaux, ainsi qu’au relativisme.
v L’autre insiste sur l’accueil inconditionnel rencontré dans l’attitude du Christ envers ses
contemporains, sur la primauté du commandement d’amour envers Dieu, le prochain et soi-même
en matière d’éthique et sur la contextualité historique et culturelle du rejet biblique de
l’homosexualité, d’une part, et sur le fait que l’homosexualité est à envisager comme une donnée
ontologique minoritaire à part entière, d’autre part.
Au-delà de nos désaccords profonds, nous vivons cette tension comme une source d’interpellation mutuelle
et un encouragement au dialogue.
v L’un est rendu attentif par les partisans de la « bénédiction pour tous » d’une part à l’importance de
trouver dans l’Evangile des impulsions qui nous poussent à inventer constamment des façons
audacieuses de témoigner de l’amour de Dieu, et d’autre part de la nécessité de respecter et
d’accueillir les personnes LGBT.
v L’autre se dit interpellé par le souci sincère des opposants à la bénédiction des couples de même
sexe de vivre en conformité la volonté divine telle qu’ils comprennent. Il retient également leur
avertissement de ne pas diluer la responsabilité qu’implique l’amour de Dieu : celui-ci ne saurait
mener à un relativisme éthique qui suivrait simplement toutes les évolutions sociétales, sans
distance critique.
Nous constatons les réactions vives suscitées de part et d’autre par le débat et le fait que la réflexion qui a
été engagée est récente. Dans le contexte actuel, nous nous demandons s’il ne vaudrait pas mieux éviter de
prendre une décision précipitée – quelle qu’en soit la nature – sans pour autant la reporter indéfiniment.
Ensemble, nous pensons que l’UEPAL devrait :
encourager nos paroisses et lieux d’Eglises à refuser tout rejet dans les paroles et les actes des
personnes LGBT ;
réfléchir dès maintenant à une mise en oeuvre concrète de leur accueil inconditionnel préconisé en
2004.
Le 19 juin 2014,
Stéphane Kakouridis, pasteur à Saint-Nicolas/Strasbourg
Jürgen Grauling, pasteur à Sélestat
DOCUMENT 3
A Matthieu ARNOLD
Sélestat, 23 mai 2014
Cher Matthieu,
J’ai en souvenir un échange de courriels surréaliste, dans lequel le professeur que tu es ne daignait
répondre que par monosyllabes à quelques interpellations rapidement formulées concernant la
bénédiction des couples de même sexe, comme si la question était entendue d’avance et ne valait
même pas la peine d’être discutée. Aussi suis-je heureux de voir que tu as pris la peine d’expliquer ta
pensée en treize (!) pages, ce qui montre qu’on ne peut prendre le sujet à la légère !
Toutefois, comme tu le pressentais, tes « considérations » peinent à me convaincre, et ce n’est
sûrement pas l’absence de notes de bas de page savantes qui en est la cause. Aucun de tes
arguments bibliques, théologiques, historiques ou pragmatiques n’est décisif ; au contraire, j’ai
l’impression que malgré tout le sérieux dont tu es capable, cette position de condamnation de
l’homosexualité (car c’est bien de cela qu’il s’agit dans ton écrit et non seulement de refus de
bénédiction) n’a pas de réel fondement rationnel.
Tes considérations bibliques et théologiques
Je ne suis pas loin de convenir avec toi que les rares versets bibliques concernant l’homosexualité,
tant dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament (avec toutes les précautions d’emploi concernant
ce terme datant du 19ème siècle et les réalités qu’il recouvre à l’époque biblique), la condamnent
unanimement. Et alors, ai-je envie de dire !
Le fait que les allusions sont rares, que les textes du Nouveau Testament ne la nomment que dans
des catalogues de vices, sans considérer un instant de quoi il s’agit exactement me font dire que ces
versets-là ne sont pas cruciaux. Ce n’est pas parce que Paul et ses successeurs connaissaient le
phénomène dans le monde environnant, qu’ils le comprenaient mieux. Au contraire, d’autant plus ils
se sont ralliés aux préjugés judaïques traditionnels de leur temps qui prônaient la séparation entre ce
qui est « pur » et ce qui est païen. Il importe aujourd’hui de démontrer en quoi un comportement
particulier correspond au péché au sens large : la séparation d’avec Dieu ou d’avec son prochain.
Dans le cas de l’homosexualité, en quoi le fait de vivre une relation stable et épanouissante avec une
personne de même sexe empêche-t-il d’avoir une relation authentique et profonde avec Dieu ? Il me
semble que tu ne tentes même pas d’y répondre.
Alors que dire du point Godwin, quand tu compares la relativisation de données patriarcales avec la
relecture biblique nazie ? Et en plus, tu insistes lourdement. J’ai peine à croire que ce soit l’historien
qui parle.
Bien sûr qu’il nous faut tenir compte du contexte historique et culturel dans lequel la Bible est écrite.
La révélation est incarnation et accepte donc l’imperfection. Je ne peux pas attendre que les textes
bibliques prônent l’égalité entre femmes et hommes. Même si Jésus démontre une attitude
particulièrement prévenante envers les femmes, que sous certaines conditions des femmes avaient
droit à la parole : tous les écrits sont unanimes, il y a une hiérarchie entre hommes et femmes (la
relation mari/femme égale Christ-chef/église, Ephésiens). Ceci est pour moi une donnée clairement
culturelle et contingente et nullement due à une « métaphysique des sexes » voulue par le Créateur.
De même, Ancien et Nouveau Testament sont unanimes : l’esclavage y est toléré et réglementé, mais
nulle part remis en question. Ce sont les valeurs d’amour du prochain qui nous font rejeter
l’esclavage comme contraire au christianisme aujourd’hui !
C’est qu’en matière d’éthique il nous faut aller plus loin qu’une pêche à la ligne aux versets bibliques.
Oui, « Dieu donne (Evangile) et ordonne (Loi) » ! Mais, les considérations éthiques doivent se baser
sur des principes beaucoup plus généraux qui peuvent se décliner différemment selon les époques et
les cultures. Et je ne nomme rapidement que deux de ces principes centraux : le triple
commandement de l’amour (aimer Dieu de toute sa force, soi-même et le prochain autant que soimême)
qui contient « toute la Torah et les prophètes » et la liberté responsable prônée par Paul :
« Tout m’est permis, mais tout n’est pas utile ! » (En 1 Corinthiens 10, il relativise ainsi le principe
impératif, pourtant décidé par le « premier concile de Jérusalem » en Actes 15, de s’abstenir des
viandes sacrifiées aux idoles !). Je pense que l’invocation de Galates 3/27s (ni juif, ni grec, ni homme,
ni femme, ni esclave, ni maître) est de cet ordre là !
Tes considérations historiques
Terrain glissant ! Ici, tu es le spécialiste. Et pourtant !
Mes courtes explications sur l’Ethique devraient suffire pour montrer qu’il ne s’agit pas
d’abandonner l’exigence de la Loi et de l’Evangile. Au contraire, cette attitude est d’autant plus
exigeante qu’elle ne peut pas se baser simplement sur la lettre de lois écrites, mais qu’elle doit
s’interroger en permanence et avec sincérité sur le sens profond de la responsabilité vis-à-vis de Dieu
et du prochain. Elle ne mène pas à une morale complètement aléatoire et je ne la sens en rien
concernée par la citation de la déclaration de Barmen (encore le point Godwin). Je vois même
Bonhoeffer appliquer cette attitude exigeante quand il se résout – malgré les interdictions claires et
unanimes du meurtre dans la Bible – à participer au complot contre Hitler.
Luther et le mariage. Là, je pourrais te retourner le compliment : ne lui faisons pas dire, ce qu’il n’a
pas dit. S’il loue le mariage, c’est avant tout parce qu’il conteste vigoureusement les bienfaits et la
sainteté du célibat tant encensés dans l’Eglise de l’époque. Ce qu’il dit des bienfaits du mariage
s’appliquerait, selon moi, également à un couple homosexuel. Mais l’union entre un homme et une
femme en opposition à une union de personnes de même sexe n’était pas son sujet. Je te l’accorde, il
y aurait été opposé s’il avait eu à écrire sur le sujet, mais on lui connaît aussi des propos antisémites
qui nous font honte, aujourd’hui.
Enfin, bien évidemment que Luther et les Réformes précoces tenaient énormément à la lettre des
Ecritures. En ce temps de la Renaissance, les sciences indépendantes de la théologie n’étaient qu’à
leurs balbutiements ! Nous ne pouvons pas faire comme si les Lumières n’avaient pas eu lieu entre
temps. Il nous faut prendre en compte des résultats scientifiques, quand ils éclairent d’un jour
nouveau les textes bibliques. Ne répétons pas les erreurs de l’Eglise qui poursuivit Galilée, parce que
ses affirmations contredisaient soi-disant la lettre de la Bible !
Ce que j’attendrais à ce sujet des théologiens universitaires européens, à l’approche du 500enaire de
la Réforme, c’est de réfléchir à frais nouveaux au principe du Sola Scriptura. Je ne crois pas qu’il soit
caduc, mais je suis convaincu que nous ne pouvons plus le comprendre tout à fait comme à l’époque
des Réformateurs.
Tes considérations ecclésiales et pratiques
Contrairement à ce que tu penses, je trouve que c’est l’argument le plus percutant que tu proposes.
Même si je suis convaincu que vous avez tort sur le fond, toi et les opposants à la bénédiction des
couples de même sexe, je conviens aujourd’hui avec toi qu’une prise de décision est prématurée, à
cause des réticences très fortes et un débat concret trop récent. Je crois qu’il faudra la reporter avec
une date pas trop lointaine, mais tout en continuant la réflexion et la discussion et en réfléchissant à
des mises en oeuvre concrètes de ce fameux accueil inconditionnel prôné en 2004 ! Mais je suis sans
doute le seul parmi les tenants de la bénédiction à penser cela, d’autres n’entendent pas faire
attendre plus longtemps les couples concernés, ce que je comprends bien évidemment.
Enfin, une réflexion totalement absente
Malgré un petit bout de phrase en introduction par laquelle tu demandes pardon aux personnes
homosexuelles, si tes propos devaient les heurter, il n’y a dans tes explications pas le moindre effort
d’essayer de prendre en compte la réalité des minorités sexuelles. Au contraire, pour toi l’expérience
des personnes homosexuelles semble être une quantité négligeable devant l’orthodoxie « biblique ».
Non, une « situation particulière » n’est pas à transformer automatiquement en norme éthique, mais
il faut l’examiner avec soin et non la mettre de côté de manière lapidaire. Aussi ai-je l’impression
d’entendre un certain mépris suinter de ton document, quand tu dénonces le « matraquage » et la
« propagande » des médias qui font figurer dans chaque série un couple homosexuel, la
« destruction de la famille » à travers le vote de la loi sur le « mariage pour tous ». La théorie du
complot du « lobby gay » n’est pas très loin dans tes propos, et ce n’est là qu’une manière de
disqualifier un ennemi imaginaire. Et si les médias et la loi prenaient tout juste un peu mieux en
compte une réalité trop peu connue, jusqu’ici ?
Or, nous n’avons plus le droit de passer à côté des études récentes qui établissent clairement que
l’homosexualité n’est ni une maladie, ni un crime, mais un état de fait qui s’impose à l’individu sans
qu’il l’ait choisi ! Et sans vouloir idéaliser les couples de même sexe en les opposant aux couples
hétérosexuels aux relations parfois aussi défaillantes, nous ne pouvons pas passer à côté des
expériences de partenaires de même sexe aimants avec une vie commune pour certains de 20, 30 ou
40 ans !
Avec mes salutations fraternelles !
Jürgen Grauling
DOCUMENT 4
Petit retour sur les évidences bibliques et le flou scientifique
à propos de l’homosexualité, de Pierre Thierry
15 avril 2014, 03:51
Cet article a été publié sur la page personnelle de l’auteur, mais a été relayé sur UEPAL en
débat. Pierre Thierry est étudiant en théologie protestante.
Introduction
Ce court texte constitue une série d’interrogations que soulève la lecture du dossier qu’a
constitué l’UEPAL pour faciliter le débat sur la bénédiction des couples mariés de même
sexe.
Ces interrogations portent sur la présentation des données scientifiques et bibliques que fait
le dossier, présentation qui semble être très loin d’être impartiale. Si tel est le cas, au lieu
d’être un dossier préparatoire au débat, le dossier de l’UEPAL pourrait malheureusement
être un dossier préparatoire au refus de la bénédiction.
C’est mon espoir que le présent texte et une réponse qui lui serait adressée pourraient,
conjointement, éviter cet écueil.
II.A. Les textes bibliques
II.A.1. Ancien Testament
Genèse 1
Le dossier interprète ici l’opposition homme/femme comme une affirmation fondamentale
de la dualité entre masculin et féminin dans l’anthropologie biblique, en omettant
complètement la possibilité que cette formulation soit simplement un mérisme, pourtant
courant d’emploi dans les textes bibliques.
Le chapitre démarre par « Commencement de la création par Dieu du ciel et de la terre. » Ici,
l’expression « le ciel et la terre » est un mérisme qui signifie « tout l’univers » dans nos
termes plus modernes. Il ne veut pas dire que l’important serait l’opposition entre ciel et
terre, comme si la mer n’était pas importante dans le monde, ou si l’espace au-delà des
cieux n’existait pas, ou s’il n’y avait pas des myriades de lieux où la frontière entre ciel, terre
et mer est floue, comme les marais, les plages ou la cime des plus grand arbres.
De la même manière, « homme et femme il les créa » ne veut pas forcément dire que la
complémentarité homme/femme est un élément fondamental de la définition de l’être
humain. Ni qu’il n’y a pas des êtres humains qui ne sont pas tout à fait mâles ou tout à fait
femelles (comme les personnes transsexuelles ou intersexuées). Cela peut tout simplement
dire « il créa toute l’humanité ».
Au minimum, il s’agirait de ne pas présenter cette anthropologie basée sur la dualité
homme/femme comme une évidence absolue ou un fondement essentiel de la Bible, mais
comme une théorie parmi d’autres.
Genèse 19
Le dossier conclut par le caractère « réel » de l’homosexualité dans l’intention de viol
collectif des habitants de Sodome, au motif que ceux-ci refusent les jeunes filles de Loth.
Tout d’abord, cette argumentation présuppose des données qui sont absentes du texte: les
agresseurs ne précisent pas quels sont les motifs de leur insistance, qu’on peut parfaitement
envisager être due au fait que les visiteurs sont étrangers, ou tout simplement nouveaux.
Ensuite, c’est surtout ignorer toutes les données scientifiques sur la nature du viol et plus
particulièrement du viol collectif, que beaucoup qualifient non pas d’acte sexuel mais d’acte
de domination ou de puissance.
Groth, par exemple, distingue trois types de violeurs. Les violeurs colériques (anger rapist)
utilisent le viol, qu’il commettent impulsivement et avec beaucoup de violence, pour ventiler
des frustrations qu’ils ne savent pas contrôler. Les violeurs dominateurs (power rapist), eux,
usent de toutes les techniques, psychologiques aussi bien que physiques, pour exploiter les
vulnérabilités de leurs victimes, souvent de manière répétée. Les violeurs sadiques (sadistic
rapist), enfin, ont un rapport érotique à la violence. L’attirance pour la victime n’est un
facteur majeur dans aucune de ces trois typologies.
De plus, les instances de viols d’hommes par des hommes qui s’identifient comme
hétérosexuels sont largement documentées, d’une part comme pratiques punitives ou
initiatiques dans des milieux hyper-virilisés (militaires, pompiers), d’autre part dans les
milieux carcéraux.
A ce titre, le caractère homosexuel des actes voulus par les habitants de Sodome n’est
absolument pas prouvé. Il s’agit là d’une violence sexuelle, qui n’a pas nécessairement de
rapport direct avec la question de l’orientation sexuelle.
Juges 19
Ici, le dossier est tout simplement incohérent avec sa propre argumentation, puisque ce qui
servait à affirmer le caractère homosexuel des actes à propos de Gn 19 devrait alors le
disqualifier ici, où les agresseurs se rabattent sur une femme quand leur victime masculine
leur est refusée.
2 Samuel 1
Le dossier semble ici partial envers un rejet de la thèse de la relation homosexuelle. Il
mentionne bien le parallèle avec Gilgamesh et Enkidu et pourrait finir sur le fait que le texte
peut tout aussi bien être interprété dans le sens d’une relation avec une composante
sexuelle que d’une profonde amitié. Pourtant, il insiste uniquement sur cette dernière.
II.A.2. Nouveau Testament
Matthieu 19
Le dossier semble dire que la mention par Jésus du couple homme/femme confirme la
volonté divine d’un couple exclusivement hétérosexuel. Pourtant, Jésus répond ici à une
problématique spécifique au mariage chez les juifs, qui n’est envisagé à son époque que de
manière hétérosexuelle.
La restriction de la question provient du milieu culturel où celle-ci est posée et ne permet
pas de tirer des conclusions sur la volonté divine. Les juifs du 1er siècle justifient
vraisemblablement leur conception hétérosexuelle du mariage par leur propre
anthropologie biblique. Valider cette anthropologie par ses conséquences serait un
argument circulaire.
L’apôtre Paul
Le dossier mentionne, de manière générale, l’opposition de Paul à l’homosexualité. Tout
d’abord, jamais Paul ne parle d’homosexualité, de gays ou de lesbiennes dans ces termes.
Cette affirmation présuppose donc que les termes qu’emploie Paul désignent exactement
les réalités que nous désignons nous par les catégories LGBT.
Or cette présupposition, qui mériterait d’être explicitée et discutée, est largement battue en
brèche par les sciences historiques. En effet, dans le monde romain antique, les relations
sexuelles entre hommes, largement acceptées, sont encadrées par une dualité
pénétrant/pénétré qui est chargée de sens, avec des connotations positives et négatives
respectivement, en termes sociaux. En fait, loin des réalités LGBT de notre époque, les
relations sexuelles entre hommes dans l’empire romain se rapprochent probablement plus
des conceptions de l’homosexualité carcérale de notre époque.
Romains 1
Encore une fois, le dossier, sans le justifier, sous-entend une parfaite adéquation entre,
d’une part, des «rapports contre nature» entre femmes ou entre hommes et, d’autre part,
l’homosexualité moderne.
Or, sans même compter le fait que certains auteurs comprennent Rm 2,1 comme le signe
que Paul ne fait pas siennes les accusations qu’il expose en Rm 1,18−32, de nombreux
auteurs débattent encore de ce que constitue exactement des rapports contre nature dans
ce passage, certains les mettant en lien avec l’idolâtrie et la prostitution sacrée, notamment.
De plus, si Paul dénonce ici les relations homosexuelles de l’empire romain, son accusation
est au mieux pertinente dans nos milieux carcéraux, mais pas dans les débats relatifs aux
personnes LGBT.
Il est également important de noter que ce passage est le seul dans toute la Bible à
mentionner des relations entre femmes. C’est un indice supplémentaire et conséquent que
les textes bibliques ici mentionnés ne s’appliquent pas aux réalités LGBT mais à une toute
autre catégorie de réalités sexuelles.
1 Corinthiens 6
Ici, le dossier parle de la distinction entre μαλακοι et αρσενοκοιται et de la possible
association aux notions d’actif et de passif, sans pour autant soulever la question de leur
adéquation avec ces notions contemporaines.
Si aujourd’hui il est courant de désigner par actif un homosexuel qui pénètre son partenaire
et par passif celui qui est pénétré, sachant que ces catégories sont non seulement une
question de choix mais peuvent être absentes dans un couple, une même personne étant
tour à tour pénétré et pénétrant, il convient de rappeler que dans l’empire romain, les
catégories de pénétrant et de pénétré sont assignées socialement, le pénétrant étant
socialement supérieur et le pénétré dans une situation de soumission, sociale et sexuelle.
On peut probablement tous être d’accord que des relations sexuelles qui sont l’expression
d’une domination sociale imposée ne participent pas d’une vie sanctifiée et dirigée vers le
Royaume. De telles relations existent d’ailleurs toujours dans notre société et doivent encore
être combattues, notamment partout où une personne abuse d’une position d’autorité et de
puissance pour imposer ses désirs à une autre. Étant donné la nature encore profondément
patriarcale de notre société, ces relations déséquilibrées sont d’ailleurs très majoritairement
le fait d’un homme et subies par une femme.
1 Timothée
Dans la liste des péchés ici donnés, on notera que αρσενοκοιται se situe au milieu de termes
dénotant également des relations complètement déséquilibrées, ici prostitués (πορνοι) et
marchands d’esclaves.
II.A.3. Sur la bénédiction
Genèse 1
Ici comme en Genèse 5, encore une fois, jamais le dossier ne remet en question une lecture
de l’expression mâle et femelle comme l’expression d’une dualité fondamentale ni ne
présente d’alternative (comme la possibilité évoquée précédemment d’un mérisme).
Doit-on rappeler que cette lecture exclut de la bénédiction divine tous les êtres humains qui
échappent à cette dualité ? Quid des personnes ayant un génome XXY, quid des 0,2%
d’enfants qui naissent en présentant des organes sexuels comportant des caractéristiques à
la fois mâles et femelles ? De par le monde, cela correspondant à plus de 700 naissances
chaque jour, plus de 26 000 chaque année. Si l’être humain est soit mâle, soit femelle, que
sont les êtres qui ne sont ni tout à fait l’un ni tout à fait l’autre ?
Genèse 12
Si la bénédiction d’Abram est emblématique, surtout quand le Seigneur lui promet une
grande descendance, il serait intéressant de questionner le fait que ce patriarche a vécu une
sexualité et une vie matrimoniale que nos églises condamneraient aujourd’hui.
En effet, dans cette « anthropologie biblique » que mentionne le dossier à plusieurs reprises,
les schémas aussi bien familiaux que sexuels sont très divers. Abraham, par exemple, vit un
couple monogame avec une sexualité en dehors du couple, avec une forme non technique
de gestation pour autrui (relation sexuelle avec une servante suivie d’un accouchement sur
les genoux de son épouse). Son petit-fils Jacob, lui, reproduira le même schéma sexuel de
gestation pour autrui, à plusieurs reprises, mais dans le cadre d’une union polygame.
Si nous pouvons choisir quelles portions d’une anthropologie supposément biblique sont
normatives, quelle autorité normative conservent ces portions ?
II.D.1/2. L’homosexualité n’est pas une maladie
Le dossier fait ici preuve d’une circonspection telle qu’elle semble relever d’un parti pris.
Tout d’abord, dire que le débat entre acquis et inné ne sera jamais tranché n’est vrai que
dans la mesure où aucune science humaine ne tranchera jamais aucun débat. Mais au-delà
de cette saine précaution méthodologique, des résultats actuellement incontestés
scientifiquement ont établi le rôle de la génétique, de l’épigénétique et de phénomènes
endocriniens in utero dans l’orientation sexuelle chez les humains.
Une partie du débat est donc définitivement tranchée, en ce qu’il est certain que
l’orientation sexuelle ne peut pas être totalement acquise et comporte une part, très
conséquente au demeurant, d’inné.
Le dossier précise ensuite que leur homosexualité est apparue à certaines personnes à leur
adolescence ou plus tard. Pourquoi ne pas mentionner ici que nombre de témoignages
d’homosexuels montrent que leur orientation sexuelle ne leur est jamais apparue mais a
toujours été une évidence comme elle l’est pour les hétérosexuels, c’est-à-dire dès leur plus
tendre enfance ?
Cette présentation extrêmement partielle, voire carrément biaisée, aussi bien des données
scientifiques que des témoignages disponibles, est de nature à laisser planer le doute sur le
caractère de choix de l’homosexualité, qui ouvre la porte de sa condamnation comme un
péché.
La thèse d’une homosexualité ou d’une bisexualité qui seraient essentiellement innées et
immuables dans la vie d’un individu, au contraire, rendent extrêmement épineux le fait de
les condamner. En effet, cela soulève la désagréable question de la raison pour Dieu de créer
des êtres humains avec inscrite dans leur chair une sexualité contraire à sa Loi.
DOCUMENT 5
Pourquoi j’aurais aimé bénéficier d’une bénédiction
instituée …, de Jean Schwach
28 avril 2014, 18:12
Ce texte reprend le commentaire à une publication sur la page. De Jean Schwach, pasteur de l’UEPAL
Quel besoin pour une bénédiction instituée ?
La question suivante m’a été posée : En quoi as-tu besoin de l’institution pour aimer et être fidèle ? Je vais
essayer d’y répondre, car à travers cette question, j’avance moi-même.
C’est vrai, je n’ai pas besoin d’elle pour vivre une relation amoureuse et conjugale et je dirai « Dieu merci
» ! J’étais engagé durant 11 ans avec une personne, sans que l’église-institution ne nous ait bénis ! Je
rajouterai cependant que ce fut un grand regret personnel. En tant que pasteur, je donne la bénédiction
aux couples qui viennent la demander, et moi, je n’y ai pas droit ? Ma tristesse ne venait pas d’un droit
qu’on me refuse, mais simplement d’un rite auquel je n’avais pas accès. Je crois avoir compris que l’auteur
de la question pouvait se passer de la bénédiction nuptiale en général et qu’il la remet aussi en question
pour les couples hétérosexuels. Donc il pourrait la poser de la même façon à tous les couples, ce qu’il fait
sans doute dans ses entretiens de mariage.
Pour moi, on n’a pas besoin d’une bénédiction de l’institution, tout comme on n’a pas besoin de lire la
Bible et d’aller au culte ou de prier pour être chrétien, et être aimé de Dieu. Beaucoup de chrétiens
enregistrés sur nos fichiers paroissiaux ne vont ni à l’église, ne prient pas, ne lisent pas la Bible. Mais qui
suis-je pour lui dire qu’ils ne sont pas chrétiens, voire que Dieu ne les aime pas ? J’avais dans une paroisse
précédente un homme (non baptisé) qui venait tous les dimanches à l’église, qui communiait à la sainte
cène, qui participait à toutes les rencontres spirituelles de la paroisse (groupe de prière, études bibliques),
mais ne voyait pas pourquoi il fallait être baptisé. J’ai longuement discuté avec lui pour lui faire admettre
que ce serait un plus pour lui, au niveau de son engagement officiel dans la paroisse, de l’église, de sa foi
…
Au-delà du besoin, un surplus de sens et de réconfort
On peut donc dire de tout rite qu’on n’en a pas besoin ! Mais je crois que c’est un plus ! Les sacrements,
tout comme la bénédiction sont un plus pour nos vies, un soutien, une aide, un réconfort, mais aussi un
témoignage. Personne ne contestera que la vie de couple ne soit pas facile à vivre dans notre société
contemporaine. Bien sûr le rite de la bénédiction n’est en aucun cas « magique », mais je crois qu’il peut
être une aide, un soutien, … justement une bénédiction pour celui qui la reçoit et y croit. Dans un autre
domaine, je reprendrais l’exemple de Luther, qui dans les moments de grands doutes et de luttes et pour
résister à la tentation d’abandonner la foi s’est répété « Je suis baptisé ». Et cette conscience l’a fortifié
pour continuer son combat. Le rite de la bénédiction, sans être un sacrement, ne peut-il pas aussi nous
soutenir dans notre vie conjugale pour nous rappeler notre engagement vis-à-vis du conjoint et surtout
l’engagement de Dieu à nos côtés ?
Signifier que Dieu est de et à la fête
Mais c’est aussi une fête avec les amis, la famille et le témoignage public d’un amour et d’un engagement
auquel on veut les associer. Le mariage civil peut faire office de cela. Mais dans la Bible, je ne vois aucune
fête de quelque nature que ce soit dont Dieu (et la religion) serait absent ! Et en tant que croyant, je
voudrais que tous les moments importants de ma vie soient placés sous le regard de Dieu.
Rejeter l’idée de la bénédiction, n’est-ce pas en fin de compte rejeter la vie de couple des personnes
homosexuelles ?
Enfin une dernière idée : oui, je peux vivre sans le rite de l’église ! Mais quel témoignage donne mon
institution aux homosexuels ? C’est cela qui me chagrine ! Refuser la bénédiction à des personnes, par
principe, sans tenir compte de LA personne, des personnes concrètes qui la demande, de leur histoire,
simplement par principe, cela me choque et me fait mal. L’institution leur dit : pour tous c’est oui, mais
pour vous c’est NON ! Et il n’y a qu’une seule raison au final : parce que vous vivez dans le péché !
Moi je souhaiterais que ceux qui rejettent la bénédiction des couples homosexuels puissent dire autre
chose que la condamnation, si déjà ils disent accueillir inconditionnellement les homosexuels. Qu’ils
puissent dire autre chose que « ce n’est pas le projet de Dieu », « c’est une maladie à guérir », etc…
J’attends une parole positive de ces gens-là ! Qu’ils ouvrent un chemin positif pour ces couples qu’ils
disent accueillir dans leur communauté. Mais je suis comme l’autre qui disait dans le conte : « Anne, ma
soeur Anne, ne vois-tu rien venir ? ». Je remercie Stéphane Kakouridis qui a commencé à parler dans ce
sens : accueillir cheminer avec, prier avec ces couples. Super ! Mais j’aimerais en entendre plus : prier
dans quel sens avec eux ? Les accompagner dans quel sens aussi ? Pour qu’ils changent d’orientation ou
pour qu’ils puissent s’épanouir dans leur spécificité ? C’est là que j’aimerais avoir plus de précisions.
Oui à l’idée d’un projet de Dieu pour les couples de même sexe
Concernant le « projet de Dieu » ! Admettons que le couple homo n’entre pas dans le projet de Genèse 1
(ce qu’on peut éventuellement contester). Mais pourquoi alors ne serait-il pas possible que Dieu ait un
autre projet pour ces gens-là ? Un projet à rechercher, à définir à inventer et à vivre ? Moi j’y crois
totalement, de tout mon coeur. Dieu est plus grand que Dieu ou l’idée que l’on s’en fait !!! Alléluia.
DOCUMENT 6
Le document préparatoire UEPAL laisse une insatisfaction en
moi, de Jean Schwach
11 février 2014, 23:49
Mes réactions après la lecture du « Document Préparatoire », mes réflexions plus générales concernant
la question de la bénédiction de couples de même sexe, un témoignage.
Manque de souffle
Comme m’a dit un pasteur retraité qui venait de le lire, c’est un bon document, équilibré qui défend
honnêtement les deux positions.
Oui, c’est vrai. Il se situe parfaitement dans la ligné de la tradition protestante, faisant référence
fréquemment à la Bible, mais aussi à la tradition des Réformateurs et de certains théologiens venus au
cours des siècles.
Néanmoins, il laisse une réelle insatisfaction au fond de moi.
De manière générale, il me manque du « Souffle ». Je ne trouve ce souffle ni dans l’une, ni dans l’autre
position qu’il présente. La Parole de Dieu est une Parole Vivante, qui doit rejoindre l’homme et ses
préoccupations dans sa vie concrète et qui doit l’ouvrir, l’élargir, lui ouvrir des horizons nouveaux, le
rapprocher de Dieu.
Les textes mentionnant l’homosexualité dans la Bible
Au sujet de la Bible, fallait-il, comme le document l’a fait, reprendre tous les passages où il est fait
mention de l’homosexualité ? Car mis bout à bout, avec les interprétations qui sont données, on ne peut
que condamner l’homosexualité. Ce travail exégétique a déjà été tellement de fois présenté ailleurs, et de
le reprendre ici, c’est reposer la question de l’acceptation des personnes homosexuelles dans l’Eglise,
alors que je croyais qu’il avait été dit clairement qu’elles étaient acceptées inconditionnellement. Ma
toute première réaction en terminant la lecture de ce chapitre a été, si c’est cela qu’affirme mon Eglise, je
dois sans doute la quitter, je n’y ai plus ma place. Et, même, puis-je encore être chrétien ?
D’entrée de jeu j’ai trouvé cette analyse très négative vis-à-vis des homosexuels, même si elle en atténue
ici ou là les contours.
Heureusement, que mes notions de théologie et d’exégèse, me permettent de faire face à ces réactions
épidermiques et de replacer ces textes bibliques dans leur contexte. Pour ne pas me sentir condamné par
eux, car en fait, je ne me sens pas concerné par eux. Comme il est dit dans le document, le thème de
l’homosexualité dans la Bible n’est pas un thème en soi. Il en est surtout parlé dans un contexte de
violence ou d’idolâtrie. A part le cas de David et Jonathan (si on admet une dimension homosexuelle à
cette relation), il n’est jamais question d’une relation d’amour réciproque, d’une relation respectueuse,
libre et consentante entre deux adultes. Il n’est pas question dans ces textes d’une relation engagée dans
la durée et dans la confiance. Alors, pourquoi toujours à nouveau brandir ces textes là ? Cela devient
insupportable à la longue. Brandir ces textes vis-à-vis d’un amour entre deux personnes de même sexe est
juste une incompétence totale.
L’Evangile plutôt que des versets
Par ailleurs, ne faut-il pas prendre la Bible dans son ensemble et chercher à discerner le sens général de
l’Evangile plutôt que de couper les cheveux en 4 ? Le Christ ne s’est pas exprimé sur la question des
homosexuels. Peut-on imaginer qu’il n’y en avait pas autour de lui, qu’il n’a pas été au moins une fois
confronté en direct à un gay de l’époque ? Et s’il n’en a pas parlé, n’est-ce pas une indication possible que
cette question ne l’intéresse pas en elle-même, que cette question n’a aucune importance en soi. Et à
partir de paroles fortes que nous avons de lui, du genre « les ivrognes et les prostituées devancerons les
bien-pensants religieux, dans le Royaume de Dieu », ne peut-on pas aussi lire et analyser le sens de telle
affirmation pour nous aujourd’hui, et en particulier dans le contexte de personnes exclues comme le sont
encore les homosexuels ?
Il y a dans les Evangiles, tant de paroles du Christ qui ouvrent, qui cassent les préjugés, qui brisent les
mauvaises compréhensions et interprétations, qui laissent perplexes tant de pharisiens qui croyaient être
les gardiens de la foi et de l’éthique, et même les disciples ont souvent été désorientés. Pourquoi ces
textes là ne sont-ils jamais mentionnés dans les documents ecclésiaux qui parlent de l’homosexualité ?
Je trouverai beaucoup plus juste et stimulant de partir des textes qui montrent les attitudes de Jésus par
rapport aux personnes qui dérangeaient à l’époque (l’homosexualité dérange encore et encore tant de
personnes aujourd’hui…) : sa relation aux païens qui venaient à lui pour demander des guérisons, aux
femmes, aux samaritains (ces exclus du judaïsme) mais aussi aux ivrognes et prostituées, sans oublier la
place nouvelle qu’il donne aux enfants !
C’est ainsi que je me sentirai concerné par une parole Evangélique !
Mais si on utilise les textes (de l’AT et de Paul) comme le fait le en partie le document, et 9 fois sur 10 on
les retrouve dans tous les Documents de référence, alors il faut être cohérent jusqu’au bout et être
rigoriste jusqu’au bout en condamnant le divorce, le non respect du sabbat (que signifie-t-il encore
aujourd’hui concrètement en lien avec le commandement de Dieu ?), l’idolâtrie (qui prend des formes
infiniment variées dans nos sociétés) le mensonge, l’hypocrisie, la cupidité, les femmes qui prennent la
parole dans les assemblées et qui ne sont pas voilées, etc.… Certaines communautés de type Evangélique
s’y emploient, mais y arrivent-elles vraiment ? Et si nous le faisions en UEPAL, qui pourrait prétendre être
« pur » ?
Donc, je crois que nous sommes sur une fausse piste et il faudrait une bonne fois pour toute le dire
clairement.
Quelle « symbolique » ?
Me vient ensuite l’argument toujours et encore mis en avant : le symbolique ! Le texte en parle à
nombreuses reprises : «la fonction symbolique », « l’Eglise a une fonction symbolique ». Que met-on
derrière ces termes ? Pourquoi introduire un terme de psychologie ou psychanalyse dans la discussion ?
Que signifie-t-il ? J’ai trop le sentiment que c’est un argument qu’on met en avant car il arrange ses
auteurs tout simplement. Au nom de la sacro-sainte « fonction symbolique », on réfute, condamne,
rejette, sans tenir compte du réel, de la personne, du vécu. Je ne vois pas là l’attitude du Christ dans les
Evangiles, mais plutôt celle des docteurs de loi ! Ne faudrait-il pas laisser à la psychanalyse ce qui est à la
psychanalyse et à l’Evangile ce qui est à l’Evangile ? Et surtout, ce qui est tout à fait déplorable, de
s’aventurer à « jouer » au psy, sans en avoir la moindre autorité.
Finalement, y a-t-il un autre symbole que le Christ lui-même ?
Que veux dire « accueil inconditionnel des personnes homosexuelles dans l’Eglise » si on refuse aux (très
rares) couples qui risquent de le demander, une bénédiction ? Accueillir sans donner les mêmes droits, de
quel accueil s’agit-il ? Cela revient davantage à tolérer dans le sens étroit du terme, « supporter chez
autrui ce que l’on n’approuve pas ».
La Bénédiction.
Dans l’absolu, je me demande pourquoi la bénédiction de deux personnes pose-t-elle tellement de
questions et de résistances, voire de rejet. Le document, bien qu’il en parle, ne développe pas assez le
sens de la bénédiction aujourd’hui dans l’Eglise. Y a-t-il une différence entre la bénédiction donnée à la fin
d’un culte sur une assemblée, la bénédiction individuelle en cas de maladie ou d’épreuve que le pasteur
ou tout chrétien peut donner à son prochain dans le cadre familial ou à l’hôpital, la bénédiction nuptiale
lors d’une cérémonie de mariage, la bénédiction lors de l’ordination ou installation d’un pasteur ou d’un
laïc dans des fonctions spéciales, la cérémonie des « fatigués et chargés » qui existe dans certains lieux, la
bénédiction des confirmands lors de la confirmation ?
Pour moi, spirituellement, il n’y a pas de différence. Dans toutes les occasions où j’ai été amené à donner
une bénédiction, je vis toujours le même mouvement intérieur, le même élan vers Dieu à qui je confie
ceux pour qui j’invoque la bénédiction. Pour moi, la bénédiction, c’est une prière « renforcée » en acte.
Bien sûr, elle est aussi une parole adressée à une personne ou des personnes de la part de Dieu.
Comme aumônier de prison, j’ai été amené régulièrement à célébrer des cultes en détention. Et comme
nous le faisons habituellement, j’ai béni cette assemblée à la fin de chaque culte. Sans savoir comment
cette bénédiction allait être reçue, comprise, sans me demander qui la méritait, qui était assez repentant
pour la recevoir. Je l’ai donnée inconditionnellement à tous ceux qui étaient là, sans faire de distinction.
Je n’ai jamais été ennuyé par aucune autorité ecclésiale en faisant cela.
Alors, je ne comprends pas pourquoi je ne pourrais pas bénir deux personnes qui viennent à l’église pour
remettre sous le regard de Dieu leur projet de vie, simplement parce que ce sont deux personnes de
même sexe ?
On me dira, c’est le symbole qui dérange. Bénir un couple d’homos, c’est ce que représente la symbolique
de cette relation !
Mais le symbolique c’est le Christ, et lui n’a fait acception de personne. « Je ne mettrais pas dehors celui qui vient à moi ! » (Evangile de Jean)
Cette bénédiction ne vole rien aux hétéros !
Dans le Document, j’ai à certains moments l’impression que l’argument des hétéros contre la bénédiction
de couple homo cache en fait la peur qu’on leur prenne quelque chose qui leur est réservée à eux seuls.
C’est un sentiment qu’on a souvent en discutant avec ces personnes. D’où vient-il ? Pourquoi ont-ils le
sentiment que cela va dévaloriser, voir rabaisser le mariage hétéro ? N’est pas de l’accaparement
spirituel ? De quel droit ?
La phrase p. 29 : « Une bénédiction de couples mariés de même sexe serait comprise comme un message annonçant que toutes les conjugalités se valent ».
Pourquoi cette pensée, voire cette peur ? La question posée n’est pas celle de « toutes les conjugalités » mais seulement de 2, hétéro et homo. Les tenants de la bénédiction pour un couple homo ne disentmême pas que ces deux conjugalités « se valent ». Ils veulent simplement affirmer que les deux sontpossibles, ce sont deux chemins qui existent aujourd’hui, et qu’il faut les prendre en compte. On ne peutpas ne pas les prendre en compte.
La peur que la communion des Eglises soit brisée.
C’est l’argument « choc » que je rencontre essentiellement de la part des responsables d’Eglise. Il est réel
et je le reconnais comme fondé. Oui, il y a risque. Oui, cela peut et va poser problème pour d’autres
Eglises si nous acceptons de bénir des couples de même sexe. Derrière cet argument il y a une peur réelle.
Il faut analyser cette peur en face. Il y a la peur de se priver aussi de bons paroissiens qui ne donneraient
plus leur « obole » à l’Eglise en la quittant. Il y a aussi la peur de ne plus être crédible pour certaines
Eglises, de perdre de l’influence sur elles, et donc du pouvoir ?
Est-ce vraiment une démarche spirituelle qui anime ces peurs ou sont-ce les finances et le pouvoir ?
Qu’est ce qui est premier, sauver l’institution ou affirmer le message du Christ libérateur ?
L’Eglise que je porte en moi n’est pas une Eglise qui regarde constamment en arrière, sur sa tradition et
sur la manière dont elle a compris les choses dans le passé, mais une Eglise qui va de l’avant, qui est prête
à sortir des sentiers battus quand l’Esprit l’appelle et lui fait signe. C’est ainsi que je comprends
l’engagement des Réformateurs. Bien sûr, il ne s’agit pas de faire n’importe quoi. Le discernement est
toujours à faire. Mais comment se fait-il ?
On ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres. Si c’est à partir des vieilles outres qu’on discerne, il
n’y aura pas de vin nouveau.
Ouverture et conversion
Je me demande si cette question de la bénédiction, de prime à bord une question de détail par rapport
aux questions fondamentales du salut et du sens de la mort et de la résurrection du Christ, n’est pas
finalement une porte ouverte pour un profond renouveau et changement de mentalité dans notre Eglise.
Oui, accepter la bénédiction officiellement d’un couple de personnes de même sexe demande un
changement de mentalité, une conversion assez profonde des personnes qui aura des répercussions dans
bien d’autres domaines. Je parle de répercussions spirituelles, dans le sens d’ouverture, oui, d’ouverture à
Dieu, de libération de carcans dans lesquels nous sommes encore si souvent prisonniers (les principes, la
tradition), d’air frais (et pourquoi pas d’Esprit saint) qui pourrait en jaillir sur nos communautés. Pourquoi
ne pas y voir une chance, ou plus exactement une « GRÂCE » ? Nos Eglises sont quasi vides. Quel
témoignage voulons-nous donner au monde ? Accepter de bénir des couples de même sexe, n’est-ce pas
aussi dire au monde que le Christ s’intéresse à chacun et que chacun aussi différent et spécifique soit-il a
sa place auprès de Dieu ? Non seulement le dire (ce qu’elle sait si bien faire), mais le signifier et le vivre (là
elle a parfois plus de mal).
Alors la question de la communion ecclésiale qui risque d’être mise à mal, il faut la replacer dans un
contexte plus large. La fidélité à l’Evangile et notre mission dans le monde.
L’avenir d’un couple homo dans l’UEPAL
Si la réponse de l’UEPAL est non à la question de la bénédiction, que va-t-elle dire aux couples de même
sexe qui frappent à sa porte ? Ce n’est pas en brisant le thermomètre que la température va baisser ! Ces
couples existent et existeront. On ne peut pas les ignorer. Si c’est un couple engagé dans une paroisse, il
n’y aura au bout d’un moment plus aucune différence avec tous les autres couples, dans le concret de la
vie. On ne verra pas l’un sans voir aussi derrière lui, l’autre, comme c’est le cas des couples hétéros. Et la
VIE fera que les proches ne se rendront plus compte de la différence. Mais ce couple portera toujours en
lui le refus de l’Eglise qui leur a interdit une bénédiction. C’est un peu ce qu’on voit déjà pour les couples
remariés dans l’Eglise catholique à qui on refuse un remariage religieux et la plupart du temps la
communion à l’Eucharistie. Qu’est-ce que cela apporte ?
Y a-t-il une bénédiction pour l’Eglise dans le refus ?
En conclusion
Je rajouterai que le manque de ce Document, et souvent dans ce genre de discussion dans nos Eglises
protestantes, est la référence au réel, au vécu, à l’expérience. La théologie ne résout pas tout. Nous
avons aussi une raison et un bon sens … et un coeur. Déjà le prophète de l’AT le disait : « C’est la
miséricorde que je veux, non le sacrifice ».
Pour le dire autrement, l’exégèse et pour une part la dogmatique sont toujours les deux piliers des
discussions quand on aborde un tel sujet dans les milieux protestants.
Et la théologie pratique et la pastorale ? Elles font souvent défaut.
Pour finir, une citation du Professeur Gérard Siegwalt, extraite de la conférence : « Dieu, serait-il
homophobe ? », donnée le 6 juin 2004 au FEC à Strasbourg.
L’homosexualité est un destin.
Dieu n’est pas seulement le Dieu de l’hétérosexualité. Il est le Dieu de l’hétérosexualité et de
l’homosexualité, et de toutes les situations de vie. Il est pour toutes les situations de vie, le Dieu qui en
elles, appelle à la vie, à la vie véritable. Car l’hétérosexualité n’est pas déjà elle-même la vie véritable,
mais elle est le point de départ d’une vie véritable. Quand on sait s’y ouvrir et donc y travailler. De même
pour l’homosexualité, point de départ d’une vie véritable quand on sait s’y ouvrir et y travailler. C’est le
point de départ qui est différent. La source et la fin ultime, sont, à partir d’un point de départ différent,
les mêmes.
« Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon père » dit le Christ. Qui dit en même temps de luimême
qu’il est le chemin. « Je suis le chemin ».
« Le chemin ». « Beaucoup de demeures ». Ne coupons aucunes de ces affirmations de l’autre. Le Dieu de
la vie trace un chemin, mais ce chemin est vécu par chacun dans la demeure dans laquelle l’existence le
place.
La Bible est-elle homophobe ?
Oui, formellement, ici et là, en quelques rares endroits.
Non fondamentalement lorsqu’elle est considérée dans sa substance et donc dans son coeur.
Dieu est-il homophobe ?
Oui, le Dieu du fanatisme, mais il est un Dieu pervers, non le Dieu biblique véritable.
Non, car le Dieu véritable, à savoir le Dieu d’Abraham, d’Ismaël, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de Jésus que
l’Eglise chrétienne confesse comme le Christ, est le Dieu non de l’uniformité, mais de la plénitude de la
vie. Une plénitude irréductible à toute compréhension partisane, quelle qu’elle soit.
Pour finir, on ne peut qu’émettre le voeu que dans le concert des autres monothéismes, les Eglises
chrétiennes, au nom de leur foi en Dieu et donc au nom de la vérité de l’amour se distancient clairement
de leurs discriminations passées, et parfois encore présentes vis à vis de l’homosexualité, et qu’elles
soient les porte-parole d’une attitude d’accueil vis à vis de tous les êtres humains, quelle que soit la forme
de leur sexualité. En aidant chacun, chacune, dans la condition particulière de sa vie, à croître en vue de la
réalisation de sa vocation dernière.
31.1.2014
Jean Schwach, Pasteur à Rountzenheim.
DOCUMENT 7
20 raisons qui me font dire « oui », de René Lamey
17 avril 2014, 14:12
Ce texte reproduit une intervention faite lors de la soirée-débat à Ingwiller, le 27/03/2014
Introduction
René Lamey, pasteur, thérapeute conjugal (accompagnement de couples en difficulté, quel que soit leur
orientation sexuelle), marié, père de trois enfants, et, je le précise tout de suite, vu le sujet épineux en
arrière-plan de cette soirée, je suis hétérosexuel ; je veux dire par là que je ne viens pas pour défendre
une cause ni pour vous convaincre de ce qui serait la « vérité véritablement vraie » sur l’hétérosexualité
ou l’homosexualité ; s’il fallait défendre quelque chose, ce serait le respect de la vie de l’autre, et pour
faire un jeu de mots facile, le respect de l’avis de l’autre.
Cela fait des années que je travaille sur le sujet de l’homosexualité et de son éventuelle bénédiction, j’ai
fait partie de différentes groupes de réflexion au sein de différentes familles d’églises, c’est-à-dire
évangéliques et protestantes.
Et je crois effectivement qu’il faut des années de réflexion, de lectures, de rencontres pour arriver à se
forger une conviction, notamment sur un sujet aussi délicat et aussi personnel que celui que nous traitons
(ou effleurons) ce soir.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, quelques petites pensées préalables :
1. Parabole de l’éléphant et des aveugles
Il était une fois six aveugles qui vivaient dans un village en Inde. Un jour, les habitants du village leur
dirent : « Hé ! il y a un éléphant qui se promène dans le village. »
Les six aveugles n’avaient aucune idée de ce qu’était un éléphant. Tous allèrent donc là où il se trouvait
et chacun le toucha.
» Hé ! L’éléphant est un pilier » dit le premier, en touchant sa jambe.
» Oh, non ! C’est comme une corde, dit le second, en touchant sa queue.
» Oh, non ! C’est comme la branche épaisse d’un arbre » dit le troisième, en touchant sa trompe.
» C’est comme un grand éventail » dit le quatrième, en touchant son oreille.
» C’est comme un mur énorme » dit le cinquième, en touchant son ventre.
» C’est comme une grosse lance » dit le sixième, en touchant sa défense pointue.
Et ils commencèrent à se disputer, chacun voulait convaincre l’autre de sa vérité. Sans savoir que tous
avaient tort et raison à la fois et qu’il y avait une part de vérité et d’erreur dans chacun des témoignages.
2. Parabole de la grenouille au fond du puits
Un jour, un têtard tomba au fond d’un puits. Il grandit là et devint une belle grenouille. Souvent, elle levait
la tête, et elle se disait : le ciel est beau, mais il est rond et petit ; et la nuit, il n’y a que dix-sept étoiles qui
brillent au-dessus de ma tête… Elle n’avait qu’une vision limitée de ce qu’était le ciel et la vie et le monde,
une vision de la taille de l’ouverture du puits. Il en est souvent de même pour nous, nos idées, nos
convictions ont la taille de l’ouverture de notre esprit…
3. Image illusion d’optique
Moralité : nous lisons et interprétons les événements, le journal, la Bible, le comportement des gens, leur
choix de vie, au travers des lunettes de notre vie, au travers de l’éducation que nous avons reçue, au
travers de ce que nous avons entendu et vu dans nos familles, chez les voisins, à l’école, à l’église, au
travers des bonnes ou mauvaises rencontres de la vie… (ex. Bauer et curé)
4. Mes raisons pour bénir un couple marié de même sexe
Et maintenant, voici les vingt raisons pour lesquelles, si l’Église le permettait, je bénirais un couple marié
de même sexe. (Accrochez-vous et écoutez bien, notez les raisons qui vous paraissent nouvelles et
intéressantes ! Et vous ferez la même chose avec ce que dira Stéphane [Kakouridis invité lui aussi à ce
débat, lui pour défendre son opposition, NDLR]).
Je bénirai un couple marié de même sexe…
1) Parce que la bénédiction ne nous appartient pas, nous ne pouvons pas nous l’approprier, nous ne
pouvons que la donner ou la recevoir.
2) Parce que la bénédiction est un don de Dieu et non pas la propriété d’une église ou d’un groupe.
3) Parce que la bénédiction n’est pas une approbation morale de la vie des gens que nous bénissons, ce
n’est pas une façon de dire : « ce que vous faites est bien » – la bénédiction n’est pas conditionnée à un
choix de vie particulier (sinon, on ne bénirait plus personne) ; bénir signifie simplement que Dieu nous
veut du bien. Bénir au nom de Dieu, c’est une façon de dire que nous sommes tous au bénéfice de la
grâce d’un Dieu solidaire qui nous accompagne sur tous nos chemins humains.
4) Parce que, en ouvrant les pages millénaires de la Genèse, ce n’est pas Adam et Eve qui sont bénis en
tant que modèle du couple, mais par eux et pour eux, c’est la vie qui est bénie, c’est la fécondité qui est
bénie dans son foisonnement joyeux et festif –
et par « fécondité », je n’entends pas seulement la fécondité via la différence sexuelle, sinon les
personnes stériles et célibataires seraient injustement exclues de la bénédiction – on peut être fécond de
plusieurs manières, on peut donner la vie de plusieurs façons…
5) Parce que ce qui est aussi béni au travers du couple originel, c’est la qualité de la relation (dans le sens
de vis-à-vis égaux et solidaires) et non une forme particulière de couple et de famille (celle du Moyen-
Orient en l’occurrence), ce qui est béni, c’est la qualité du dialogue, l’engagement, la confiance, le respect,
le partenariat bien plus – et bien plus important – que le genre du ou de la partenaire.
6) Parce que, dans le fond, le mariage, c’est d’abord et avant tout la célébration d’une alliance, une
alliance solidaire et respectueuse entre deux personnes, quelque soit leur orientation sexuelle, une
alliance diversement illustrée dans la Bible par de nombreux dialogues amoureux entre Dieu et son
peuple, l’époux et l’épouse, Jésus et l’Église.
7) Parce que devant Dieu, « il n’y a plus ni juif, ni grec, ni homme, ni femme », mais des enfants de Dieu,
aimés de la même manière, quels que soient leur race, leur statut social, leur identité sexuelle,
=> Ce qui ne signifie pas qu’il n’y ait pas de différence sociale, anthropologique et sexuelle, mais cela
signifie que ces différences ne nous séparent pas de Dieu, qu’il n’y a pas de privilège aux yeux de Dieu à
être homme ou femme, juif ou grec, homosexuel ou hétérosexuel.
8) Parce que sous le regard de Dieu, la vie partagée à deux s’enrichit de nombreuses différences, bien audelà
de la seule différence sexuelle.
9) Parce que la vie à deux a déjà son sens en elle-même et que la sexualité est un don dont le but n’est
pas seulement la procréation ou un projet parental.
10) Parce que les seules normes de l’acte sexuel sont l’écoute, l’amour, la tendresse, le respect de l’autre
et de soi-même.
11) Parce que l’Église « ne marie pas », mais accompagne et bénit un couple déjà marié civilement, pour
qu’il s’engage, rende un témoignage public et qu’il dise sa reconnaissance de l’amour reçu et partagé.
12) Parce que la justification par la foi vaut pour tous, indépendamment de la sexualité et que l’identité
du croyant se situe en Dieu et dans sa foi et non dans une identification sexuelle particulière.
13) Parce que « couple de même sexe » n’est pas le refus de l’altérité (de la différence). Certes la
différence des sexes est fondatrice; mais l’altérité, c’est bien autre chose, cela concerne tout le
fonctionnement psychique de l’autre, qui nous est radicalement opaque. Bien plus, par ex., la
psychanalyse est fondée sur l’idée que nous sommes tous étrangers à nous-mêmes, avec un inconscient
qui nous conduit, et auquel nous n’avons pas accès. Ainsi l’autre est au fond de nous-mêmes, cette partie
de nous-mêmes qui nous échappe, qui nous mène mystérieusement, à notre insu. Dans cette perspective,
aucun humain ne peut se soustraire à l’altérité.
Même dans un couple de même sexe, il y aura de l’altérité.
14) Parce que je crois à une conception de l’homme fondée sur l’acceptation. Pour cette approche,
chaque être humain, quelque soit son genre, son orientation sexuelle, son origine ethnique, sociale,
religieuse, culturelle… chaque être humain est accepté et appelé par Dieu à accomplir sa dignité humaine.
15) Parce que la Bible n’est pas un code de morale fixée pour toujours et pour tous. La Bible est l’oeuvre
de deux communautés historiques : l’ancien Israël et l’église primitive. La Bible contient leur histoire avec
Dieu ou sur Dieu, leurs prières, leur louange, leurs perceptions de la condition humaine, leurs pratiques
religieuses et éthiques, leur compréhension de que la fidélité à Dieu implique. En tant qu’oeuvre humaine,
la Bible ne contient pas la « vérité absolue et ultime » mais elle est conditionnée par le langage et les
concepts éthiques des cultures dans lesquelles elle a pris forme. Les lois de la Bible ne sont pas à prendre
comme les lois de Dieu pour tous et pour tous les temps, mais comme des lois et des enseignements
éthiques de ces communautés, à telle époque, dans tel contexte, des lois qu’il nous faut adapter à notre
contexte ou aux nouvelles découvertes de la science, notamment, nous concernant ce soir, sur le plan de
la génétique.
16) Parce que l’humanité n’a cessé d’inventer de nouvelles formes de mariage et de descendance. Aucune
des sociétés qui ont accepté ces évolutions ne s’est effondrée. Si j’avais le temps, je vous lirais un
florilège de différentes formes de conjugalité pratiquées aujourd’hui dans certaines peuplades de notre
monde – juste pour montrer que nous n’avons rien inventé et que notre forme de conjugalité n’est
certainement ni pire ni meilleure, mais qu’elle est juste un exemple parmi d’autres et une production de
notre civilisation occidentale et judéo-chrétienne.
17) Parce que, en tant que pasteur, j’ai devant moi deux personnes, un couple comme un autre, avec les
mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres, avec les mêmes bonheurs et les mêmes malheurs que
les autres, avec les mêmes disputes avec les mêmes problèmes de communication que les autres.
18) Parce que si j’étais homosexuel – je peux dire : si vous étiez homosexuel ? – et protestant et croyant,
je souhaiterais, comme les autres, être béni par Dieu au travers de mon pasteur et dans mon église.
19) Parce que si l’un de mes enfants était homosexuel – je peux dire : si l’un de vos enfants était
homosexuel ? – je voudrais le meilleur pour lui, ce qui inclut certainement la demande de bénédiction par
son pasteur et dans son église.
20) Parce qu’une personne homosexuelle est une personne comme vous et moi, à la différence que son
orientation sexuelle est autre, ni meilleure ni pire que la mienne.
Merci pour votre attention !