E. 08. BAPTEME ET SAINTE CENE

LA SAINTE CENE SANS LE BAPTEME ?

            On a ouvert un débat curieux sur la question de savoir s’il faut être baptisé pour communier à la Sainte Cène. A part les arguments de circonstance, sur lesquels je reviendrai, on dit : les disciples de Jésus n’étaient pas baptisés. La théologie de la Réforme a toujours dit : voyez dans les textes de la Bible et dans les Pères de l’Eglise, proches des premiers temps de l’Eglise. De ce fait, la Confession d’Augsbourg dit : «  l’Eglise est la réunion de tous les croyants auprès desquels l’Evangile est prêché correctement ( recte, en latin) et les sacrements administrés selon l’Evangile ». Il faut donc se donner la peine de voir ce qui est correct ou non.

a.   LES DISCIPLES N’AURAIENT -ILS PAS ETE BAPTISES ?
      
            Je pense que si. L’Evangile de Jean (1/35), raconte ceci, après le baptême de Jésus par Jean-Baptiste : «  le lendemain, Jean (Baptiste) était encore là, avec deux de ses disciples ». Il s’avère qu’il s’agit de Jean, frère de Jacques ( peut-être l’évangéliste Jean), et André, frère de Pierre, qui vont devenir les deux premiers disciples de Jésus. Si ces deux faisaient partie du groupe constitué des disciples de Jean, cité par ailleurs plusieurs fois, ils ont à l’évidence été baptisés par Jean. Le même jour et au même endroit (Béthanie du Jourdain), André amène son frère Simon Pierre, habitant de Capernaüm, à Jésus. Que faisait là ce Pierre, à cent kilomètres de chez lui, sinon écouter Jean-Baptiste ? A-t-il été baptisé là, était-il un disciple de Jean, ce n’est pas dit.

            Et Jésus ?      

Le même évangile de Jean dit un peu plus loin (3/22) : « Jésus, venu en Judée, demeurait là avec ses disciples, et baptisait. Jean aussi baptisait à Enon, près de Salim », et en 4/1-2 :  « il baptisait plus de disciples que Jean ». Tiens, des «dis- ciples » ? Et encore : «  Toutefois pas lui, mais ses disciples ».   Il serait étonnant que Jésus baptisât tant de « disciples », constituant ainsi le noyau de l’Eglise primitive,  et qu’il n’aurait pas baptisé le reste des douze que Jean n’avait pas baptisés. Et que ses disciples baptisent sans avoir été eux-mêmes baptisés. On voit là une importante activité baptismale de Jésus et de ses disciples, parallèle à celle de Jean,  
 
          Passons à Saint-Paul:     

dans la première lettre qu’il écrit aux chrétiens de Corinthe, il rappelle à ces fidèles fiers de leur baptême, qu’il n’a baptisé que 4 ou 5 personnes, et qu’ Apollos et  Céphas, qui est Simon Pierre,( et même le Christ pour une personne ? ) ont baptisé les autres, avant son arrivée à Corinthe. A ces gens, manifeste- ment tous baptisés, il « remonte les bretelles », parce qu’ils célèbrent la Cène de façon scandaleuse, selon ce qu’on lui a écrit. Il paraît clair, à travers toute la lettre, qu’ils forment une paroisse constituée depuis plusieurs années, et qu’ils ont été baptisés lors de leur entrée dans la communauté.       

          D’ailleurs lui-même, Paul, un juif, est baptisé à Damas, quelques jours après sa conversion (Actes 9/8). Et le baptême de deux païens, Corneille et toute sa famille, par Pierre, et le geôlier de Philippes, par Paul,  (Actes 1O/47-48 et 16/33) , montre que c’était là le premier acte d’entrée dans la communauté chrétienne.

          Tous les témoignages de l’Antiquité concordent : on baptisait d’abord, après un catéchisme solide, ensuite de quoi les baptisés recevaient solennellement la Cène, souvent dans la même matinée de Pâques. Cette tradition n’a pas été inventée par l’Eglise ancienne, elle dé- coule de la pratique des apôtres dès le début. 

         
b. JESUS, LES DOUZE ET LA SAINTE CENE :

Il est difficile de tirer certaines conclusions de la Cène avec Jésus. D’abord, elle est
 unique : Jésus, physiquement sur terre, ne la célébrera qu’une seule fois avec ses disciples.  D’autre part, les disciples étaient venus pour célébrer la Pâque juive avec Jésus, et ils découvrent que celui-ci y crée la Sainte Cène ! Mais il reste que dans la succession des faits, les disciples ( pour 2 c’est sûr, pour les autres c’est plus que probable) et Jésus lui-même étaient baptisés depuis deux ou trois ans, le groupe des douze s’étant constitué dans la première moitié du ministère de trois années de Jésus. Et si l’on s’en tient à Jésus seul, premier des baptisés chrétiens, selon l’affirmation très forte de chacun des quatre évangiles, il donne le modèle du chrétien et de la succession des sacrements. Les Pères de l’Eglise n’ont pas manqué d’employer cet argument dans leur catéchèse.  

c. QUEL EST LE PROBLEME ACTUEL ?

Il est simple : on croit pouvoir sauver l’Eglise en « horizontalisant » les choses et en donnant tout à tous. On peut constater que la multiplication de la Cène et son intégration dans le culte, qui sont une bonne chose, se sont accompagnées d’une dégradation générale du culte et de la Sainte-Cène depuis vingt ans. On a voulu faire plus convivial, plus chaleureux, ce qui est aussi une bonne chose, mais on l’a fait au détriment du solennel bien compris et de la cohérence biblique, théologique  et liturgique. Du coup, on a fortement abîmé la liturgie du culte et de la cène, les répons et les cantiques, qui, dans une Eglise réputée pour son chant, sont devenus d’une faiblesse affligeante. On a  rendu l’assemblée passive ( par exemple  en la laissant assise pendant la Sainte Cène), introduit, sans justification et contrôle, des choses dangereuses, telles que la communion avec du pain ordinaire et du jus. Au point, qu’aujourd’hui , personne ne sait ce qu’il va trouver dans une paroisse, et que le sacrement de l’autel, au lieu d’être ciment d’unité, devient ferment de division. Et que la prétendue diversité n’est que pauvreté. Argument : cela n’a pas d’importance. Affirmation péremptoire, faite dans l’ignorance des textes bibliques, patristiques et réformateurs. Et, ce qui est plus grave, affirmation cléricale des pasteurs, qui imposent ces choses aux paroisses qui n’en demandaient pas tant.
                   
            Revenons un instant sur la modification des espèces, en particulier chez les luthériens. Pour le pain, on dit : les Réformés utilisent bien du pain ordinaire. Mais personne, chez les réformés d’aujourd’hui, n’est capable de justifier cette pratique. Le dernier débat sur la question semble remonter à Genève à la fin du 16e Siècle, et à l’introduction en 1617 du pain levé dans cette ville, sous la pression des réformés français. Depuis, personne ne semble s’être posé la question. Sous la même pression des réformés français actuels, les luthériens, sans savoir véritablement pourquoi, remplacent les hosties par du pain levé. Pour ce qui est du remplacement du vin par du jus de raisin, chez les réformés comme chez les luthériens, on dit : à cause des enfants et des alcooliques. Faux problème: les enfants boivent très bien du vin, je l’ai vérifié, et les alcooliques passent la coupe. La communion est plus que les espèces, qu’on n’a pas à changer à cause des faibles et des malades qui sont dans le cercle. De fait, on applique aux fidèles « normaux » la pratique des sacrements aux malades : le baptême avec un peu d’eau, au lieu de l’immersion, est ordonnée par les Pères de l’ Eglise pour les vieillards et les fragiles, même pas pour les enfants. De même, dans la Cène, on ne donnera pas le vin aux malades qui ne le supportent pas – qui ne sont pas que les alcooliques-, mais on ne changera pas la Cène de la communauté pour autant. Certains responsables de la Croix-Bleue sont du même avis.

             Cette volonté de laisser accéder à la Sainte Cène sans le baptême, entre dans la même problématique de la convivialité. On exclurait des gens: des enfants, des adultes non-baptisés, des non-chrétiens même. Mais la Cène est pour les « membres pleins de la communauté ». Et elle n’est pas obligatoire : le fidèle n’est pas obligé d’y aller, et la communauté n’est pas obligée d’accueillir « tout venant » , dans le sens premier du mot. Et si l’on conteste le baptême des enfants, ce qui tout à fait acceptable d’après l’Evangile et la tradition de l’Eglise, il faut  être cohérent et en tirer les conséquences. L’accès à la Cène se fera après le baptême, comme le font en principe toutes les Eglises baptistes. Les enfants comprennent très bien qu’il leur faut attendre pour entrer pleinement dans la Cène : en attendant leur baptême, ou la formation catéchétique prévue pour leur accession à la Sainte Cène, ils peuvent très bien venir avec leurs parents dans le cercle des communiants:  le pasteur leur donne une bénédiction en passant de- vant eux, et ils en sont tout heureux !
       
          Tout ce débat, avec ses multiples facettes, est révélateur de la faiblesse théologique et cultuelle et de la pagaille dans laquelle nos Eglises sont tombées aujourd’hui. Il arrivera le jour où les catholiques et les orthodoxes prétendront, sans que nous ayons les arguments décisifs qu’avaient donnés nos Réformateurs pour les contredire, qu’ils seraient les seuls dépositaires de la Cène authentique ! Il est temps que nous retrouvions la théologie des sacrements et la façon de les célébrer.  

                                                        Yves Kéler, le 30.10.2001