LES CHANTS DE LA REFORME ALLEMANDE
LES CHANTS DE MARTIN LUTHER
( 1483 – 1546 )
Martin Luther a composé un total de 35 chants destinés au culte. Si on les classe d’après notre distinction liturgie-cantiques, on obtient : 5 chants liturgiques, et 30 cantiques. (Cette distinction n’était pas aussi nette à l’époque de Luther). A ceci s’ajoute une » complainte » sur le martyre de deux enfants à Bruxelles, appelée » Das Lied der zwei Knaben von Brüsseln « , qui apparaît dans des livres de cantiques anciens, mais qui n’est pas considérée comme un chant pour le culte.
Sources
Pour ce qui est des sources faciles d’accès, je recommande le RA, Recueil d’Alsace et de Lorraine de la Confession d’Augsbourg 1952, car il est seul à donner l’intégralité des chants de Luther, liturgie et cantiques. EG Evangelisches Gesangbuch 1995 en a supprimé quelques uns, sans raison bien définie. EKG 1951 ne contenait pas non plus tous les chants de Luther . Pour cette raison, nous suivrons fondamentalement la liste et le classement de RA.
Traductions
Je donne ici la série complète des 30 cantiques en traduction française. Le but de cette collection est d’éveiller ou de raviver l’intérêt pour les chants de la Réforme du 16e Siècle, ici allemande. Ces chants sont importants, non seulement pour leur forme, mais aussi et surtout pour leur contenu, souvent mal connu en France et dans les pays francophones, à cause des traductions généralement mauvaises qui en ont été faites en français. On peut constater que de NCTC 1979 à Alléluia 2005 on reproduit d’édition en édition les mêmes textes de faible valeur, avec quelques corrections qui n’apportent rien à la qualité du texte. (voir plus bas, sous 3. Correspondance avec LP, RAf, NCTC, ARC, ALL)
Il esxiste une bonne traduction d’un chant de Luther, qui est « C’est un rempart que notre Dieu », de Lutteroth Henri 1845. On la trouve dans LP, NCTC et ARC. Je reprends cette traduction sur ce site. Dans RAf, = Recueil d’Alsace-Lorraine partie française, on trouve des traductions de Richard Paquier, reprises de l’ » Office divin de chaque jour « , publié par Taizé de 1961. Elles sont fidèles à Martin Luther dans l’ensemble, mais incomplètes, car Paquier n’a pas conservé toutes les strophes. J’ai intégré les strophes de Paquier dans les traductions données ici.
LISTE DES CHANTS DE LUTHER
Le lecteur trouvera trois listes, classées selon :
1. le titre allemand
2. le titres français
3. l’ordre liturgique (de RA 1952)
1. selon le titre allemand :
a. Liturgie (5)
1. Herr Gott, dich loben wir (Te Deum)
Ich glaub an einen Gott (Credo de Nicée)
Jesaja dem Propheten das geschah (Ste Cène)
Kyrieleison (Litanie)
5. Verleih uns Frieden gnädiglich (Midi)
b. Cantiques (30)
1. Ach Gott, vom Himmel sieh darein Ps 12 (Eglise)
Aus tiefer Not schrei ich zu dir, Ps 130 (Pénitence)
Christ lag in Todes Banden (Pâques)
Christum wir sollen loben schon (Noël)
5. Christ, unser Herr, zum Jordan kam (Baptême)
Der du bist drei in Einigkeit (Soir, Trinité)
Dies sind die heilgen zehn Gebot (Commandements)
Ein feste Burg ist unser Gott, Ps 46 (Eglise)
Erhalt uns, Herr, bei deinem Wort (Eglise)
10. Es woll uns Gott genädig sein, Ps 67 (Eglise)
Gelobet seist du, Jesu christ (Noël)
Gott der Vater wohn uns bei (Combat spirituel)
Gott sei gelobet und gebenedeiet (Cène)
Jesus Christus, unser Heiland, Der den Tod (Pâques)
15. Jesus Christus unser Heiland, Der von uns (Cène)
Komm, Gott Schöpfer, Heiliger Geist (Pentecôte)
Komm, Heiliger Geist, Herre Gott (Pentecôte)
Mensch, willst du leben seliglich (Commandements)
Mit Fried und Freud fahr ich dahin (Cène, 1er dim.Noël)
20. Mitten wir im Leben sind (Mort, Eternité)
Nun bitten wir de Heiligen Geist (Pentecôte)
Nun freut euch, lieben Christen gmein (Justification)
Nun komm der Heiden Heiland (Avent)
Nun lasset uns den Leib begrab’n (Enterrement)
25. Vater unser im Himmelreich (Culte, Prière)
Vom Himmel hoch da komm ich her (Noël)
Vom Himmel kam der Enge Schar (Noël)
Wär Gott nicht mit uns diese Zeit, Ps 124 (Eglise)
Was fürchst’st du, Fein Herodes, sehr? (Epiphanie)
30. Wir glauben all an einen Gott (Credo, Trinitatis)
2. selon le titre français
( C’est sous ce titre que le lecteur trouvera les chants sur ce site)
a. liturgie (5)
1. Accorde-nous la paix, Seigneur (Da pacem)
Il arriva à Esaïe (Sanctus)
Je crois en seul Dieu (Credo de Nicée)
Kyrie eleison (Litanie)
5. Toi Dieu, nous te louons (Te Deum)
b. les cantiques (30)
1. C’est un rempart que notre Dieu (Eglise)
Chaque jour de notre vie (Mort, Eternité)
3 Christ était couché dans la mort (Pâques)
4 Christ, le Seigneur, vint au Jourdain (Baptême)
5. Des lieux profonds je crie à toi, Ps 130 (Pénitence)
Dieu le Père, assiste-nous (Combat spirituel) Luther
7 Dieu, notre Père dans les cieux (Culte, Prière)
Dieu veuille nous montrer sa grâce, Ps 67 (Eglise)
Du ciel les anges sont venus (Noël)
10. Du point où le soleil renaît (Noël)
En terre nous portons ce corps (Enterrement)
12. Gloire et louange au Dieu secourable (Cène)
Je pars en paix, je vais à Dieu (Cène, 1er dim. Noël)
14 Jésus-Christ, notre saint Sauveur (Cène)
15. Jésus-Christ, Sauveur du monde (Pâques)
16. Je viens à vous du haut des cieux (Noël)
17 Loué sois-tu, Seigneur Jésus (Noël)
18 Mes frères, louez le Seigneur (Justification)
Nous croyons tous en seul Dieu (Credo, Trinité)
20. Nous t’invoquons, Seigneur Saint-Esprit (Pentecôte)
21 Par ta parole, Dieu sauveur (Eglise)
Pourquoi, Hérode, crains-tu tant ? (Epiphanie)
23 Regarde, ô Dieu, du haut des cieux , Ps 12 (Eglise)
Si Dieu n’avait pas été là, Ps 124 (Eglise)
25. Si tu veux vivre saintement (Pénitence)
Toi qui en trois es l’Unité (Soir, Trinité)
27 Viens, Dieu Créateur, Esprit saint (Pentecôte)
28 Viens, Rédempteur des païens (Avent)
Viens, Saint-Esprit, Seigneur Dieu (Pentecôte)
30. Voici les dix commandements (Pénitence)
3. Correspondance avec les recueils LP, RAf, NCTC, ARC, ALL
LP Louange et Prière 1938
RAf Recueil d’Alsace-Lorraine, partie française
NCTC Nos coeurs te chantent 1979
ARC Arc en ciel 1989
ALL Alléluia 2005
Cette table de concordance permet au lecteur de s’orienter à partir de ce qu’il connaît par les livres français actuels, et facilite la comparaison avec les traductions de la liste cidessus 2b.
Les numéros renvoient à ceux de la liste des traductions françaises qui précède sous 2b
LP NCTC ARC ALL
RAf
1. C’est un rempart que notre Dieu
Lutteroth LP 229 238 543 37/01
Montbél. LP 228 239 — —
3. Christ est ressuscité des morts
— 208 — 34/05
4. Christ, tu es remonté des eaux
— 227 — —
5. Des profondeurs de mon tourment
— 274 — 12/18
7. O Père, qui es dans les cieux
— 235 — 62/24
12. Gloire et louange
RAf 30 — — —
14. (Seigneur Jésus, toi si pauvre)
— Mél 233 — —
15. Jésus-Christ, notre espérance
— 210 465 33/10
16. O Dieu, tout puissant créateur
92 180 358 32/04
Je viens à vous du haut des cieux
RAf 3 — — —
17. Louange soit à Jésus-Christ
— 179 — 32/02
18. Mes frères, louez le Seigneur
ABD 545
20. Toi, Saint-Esprit, lumière qui viens
— 222 505 35/03
23. Seigneur, par quel amour donné
— 190 — —
26. Viens, ô Sauveur des païens
— 163 304 31/03
Rédempteur du Genre humain
RAf 2 — — —
27. Viens, Saint-Esprit, Dieu créateur
— 220 504 35/01
30. (Le Fils de Dieu nous est offert)
Mél 234 — —
4. selon l’ordre liturgique
Le titre français des chants, sous lesquels on les trouvera sur le site, est donné sous le titre allemand.
La source biblique ou celle du titre latin est indiquée après la date du chant de Luther.
A. CHANTS LITURGIQUES : 5 chants
Emploi RA EG Titre allemand
liturgique (EKG) date
français
Matin rot 1 191 Herr Gott, dich loben wir
Louange 1529 ( Te Deum laudamus)
Toi, Dieu, nous te louons
Credo rot 31 — Ich glaub an einen Gott (Nicaenum)
1538 (Credo in unum Deum )
Je crois en un seul Dieu
Sainte rot 37 EKG Jesaja dem Propheten das geshah
Cène 135 1526 (Esaïe 6/4)
Il arriva à Esaïe
Midi rot 75 421 Verleih uns Frieden
1529 (Da pacem, Domine)
Accorde-nous la paix, Seigneur
Litanie rot 77 192 Kyrie eleison (Litanei)
Intercession 1529 (Kyrie eleison)
Kyrie eleison
B. LES CANTIQUES : 30 chants
L’ANNEE DE L’EGLISE (I) (13 chants)
Temps RA EG Titre allemand
liturgique (EKG) date
français
AVENT 12 4 Nun komm der Heiden Heiland
1524 (Veni Redemptor gentium)
Viens, Rédempteur des païens
NOËL 21 — Christum wir sollen loben schon
1524 (A solis ortus cardine I)
Il nous faut louer Jésus-Christ
32 23 Gelobet seist du, Jesu Christ
1524
Loué sois-tu, Seigneur Jésus
40 24 Vom Himmel hoch da komm ich her
1535
Je viens à vous du haut des cieux
41 25 Vom Himmel kam der Engel Schar
1543
Du ciel les anges sont venus
1er NOËL 45 519 Mit Fried und Freud ich fahr dahin
Ste CENE 1524 (Nunc dimittis)
Je pars en paix, je vais àDieu
EPIPHA- 60 — Was fürcht’st du, Feind Herodes, sehr?
NIE 1524 ? (A solis ortus cardine II)
Que crains-tu donc, Hérode, tant ?
PÂQUES 93 101 Christ lag in Todes Banden
1524
Christ était couché dans la mort
100 102 Jesus Christus, unser Heiland, der den Tod
1524
Jésus-Christ, Sauveur du monde
PENTE- 125 126 Komm, Gott Schöpfer, Heiliger Geist
1524 (Veni Creator Spiritus)
CÔTE Viens, Saint-Esprit, Dieu créateur
127 EKG Komm, Heiliger Geist, Herre Gott
98 1524 (Veni sancte Spiritus, reple)
Viens, Saint-Esprit, Seigneur Dieu
129 124 Nun bitten wir den Heiligen Geist
1524
Nous t’invoquons, Seigneur Saint-Esprit
FIN DES 150 518 Mitten wir im Leben sind
TEMPS 1528 (Media vita in morte)
Au milieu de notre vie
EGLISE, PAROLE ET SACREMENT (II) (14 chants)
EGLISE 156 273 Ach Gott, vom Himmel sieh darein
1524 (Psaume 12)
Regarde, ô Dieu, du haut des cieux
158 193 Erhalt uns, Herr, bei deinem Wort
1543
Par ta parole, Dieu Sauveur
160 280 Es woll uns Gott genädig sein
1524 (Psaume 67)
Dieu veuille nous montrer sa grâce
171 EKG Wär Gott nicht mit uns diese Zeit
192 1524 (Psaume 124)
Si Dieu n’avait pas été là
172 183 Wir glauben all an einen Gott
1524
Nous croyons tous en un seul Dieu
175 362 Ein feste Burg ist unser Gott
1528 (Psaume 46)
C’est un rempart que notre Dieu
CULTE 211 344 Vater unser im Himmelreich
PRIERE 1539 (Pater Noster)
Dieu, notre Père dans les cieux
SOIR 248 470 Der du bist drei in Eingikeit
TRINITE 1543 (O lux beata, Trinitas)
Toi qui en trois es l’Unité
BAP- 276 202 Christ, unser Herr, zum Jordan Kam
TEME 1543
Christ, le Seigneur, vint au Jourdain
SAINTE 292 214 Gott sei gelobet und gebenedeiet
CENE 1524
Gloire et louange au Dieu secourable
296 215 Jesus Christus, unser Heiland, der von uns
1524 (Jesus Christus, nostra salus)
Jésus-Christ, notre saint Sauveur
PENI- 302 231 Dies sind die heilgen zehn Gebot
TENCE 1524 (Les commandements)
Voici les dix commandements
304 — Mensch, willst du leben seliglich
1524-25 ? (Les commandements)
Si tu veux vivre saintement
ENTER- 314/8 EKG Nun lasset uns den Leib begrabn
REMENT 174/8 1540 (Jam moesta querella)
Nous remettons à Dieu ce corps
LA VIE CHRETIENNE (III) ( 3 chants)
JUSTIFI- 322 341 Nun freut, lieben Christen gmein
CATION 1523
Mes frères, louez le Seigneur
COMBAT 396 299 Aus tiefer Not
SPIRITUEL 1524 (Psaume 130)
Des lieux profonds je crie à toi
402 EKG Gott der Vater wohn uns bei
190 1524
Dieu le Père, assiste-nous
2. LA REPARTITION DES CHANTS SUR L’ANNEE ET DANS LA VIE DE
L’EGLISE
a. les trois parties du livre de cantiques
Ce qu’on remarque d’emblée, c’est que les chants de Luther couvrent toute l’extension du Livre de Cantiques. Un livre de cantiques se découpe classiquement en trois parties :
1. L’année de l’Eglise 13
2. L’Eglise, la Parole et les sacrements 14
3. La vie chrétienne 3
30
Luther a composé des chants pour chacune de ces parties.
1. L’année de l’Eglise : (13 chants)
On trouve 13 chants, qui vont de l’Avent à la fin des temps, au dimanche de l’Eternité
Avent : 1
Noël : 4
1er Noël : 1 , aussi chant pour la fête de la
Présentation du Christ, le 2 février
le 2 février
Epiphanie : 1
Passion : –
Pâques : 2
Pentecôte : 3
Fin des temps : 1
Total : 13
On constate que Luther n’a pas composé de chant propre pour la Passion
2. L’Eglise, la Parole et les sacrements (14 chants)
Eglise : 6
Culte-Notre Père 1
Matin –
Soir (Trinité) 1
Baptême 1
Sainte Cène 2
Pénitence(Caté.) 2
Enterrement 1
Total : 14
On constate que Luther n’a pas composé de chant propre pour le matin.
3. La vie chrétienne (3 chants)
Justification 1
Combat spirituel 2
Total : 3
b. les chants de Luther sont d’abord destinés au culte
L’importance de l’Année de l’Eglise, avec 13 chants, et celle de la vie communautaire de l’Eglise, avec le culte et les sacrements, avec 14 chants, est évidente. Même la troisième partie : la vie chrétienne, comprenant 3 cantiques, est faite de chants à caractère communautaire. La piété personnelle et individuelle, que le prépiétisme et le piétisme développeront au 17e Siècle n’apparaît pas chez Luther. Ce qui n’empêche pas ses chants d’alimenter la piété personnelle, mais en la gardant reliée au corps de l’Eglise.
Mais cela montre que la visée première de Luther était la réforme de la messe et la mise à disposition des fidèles de chants en langue vulgaire. Deux indices sont révélateurs :
1. Beaucoup de chants sont traduits du latin. Il s’agit des cantiques principaux du culte à travers l’année : Veni Creator, Te Deum, Credo, etc…
2. Une grosse partie des chants : 21 sur 30, soit les 2/3, est éditée en l’année 1524 ! A l’évidence, Luther a travaillé d’arrache-pied pour fournir au culte de l’Eglise les chants nécessaires. Ceux-ci font donc partie de son œuvre réformatrice dès le début.
3. LES CHANTS DE LUTHER DANS SON ŒUVRE REFORMATRICE
a. les chants de Luther font partie de son œuvre réformatrice.
En effet, Luther a commencé la Réforme en 1517, et le livre de cantiques de Wittenberg, contenant ses cantiques, est de 1524. Ce qui fait sept années, pendant lesquelles il a composé ces vingt chants, en même temps qu’il a écrit et publié une masse importante de choses : 1520, les trois grands écrits réformateurs ; 1521, le Nouveau Testament ; 1524 les 150 Psaumes, entre autres. En même temps, il enseignait à Wittenberg et se battait avec la hiérarchie de l’Eglise et le pouvoir politique ! Il est clair que Luther a composé tous ces chants sur plusieurs de ces sept années, et qu’ils faisaient partie de son oeuvre réformatrice, qui touchait à tous les domaines en même temps : la doctrine et l’autorité spirituelle dans l’Eglise, la direction de l’Eglise et la papauté-hiérarchie, le culte, avec sa liturgie, ses chants et sa prédication.
De toute façon, il est impossible d’imaginer qu’il aurait pu écrire ces 20 chants dans la seule année 1524. Il y faut de la maturation et de l’expérience théologique et pastorale. Il faut choisir les textes qu’on va traduire ou composer, en fonction de l’expérience cultuelle et de ce qui, à mesure, vous paraît nécessaire. Ceux qui ont quelque idée de la composition de chants d’Eglise savent qu’on ne travaille pas aussi vite .
d. les chants de Luther forment un petit livre de cantiques
Cette répartition des chants sur les trois grandes parties et presque toutes les rubriques fait de la collection des chants de Luther l’embryon d’un livre de cantiques. Le livre de cantiques est une création de la Réforme protestante. Il permet de mettre entre les mains des paroissiens le moyen de participer activement au culte, qui est le culte du peuple de l’Eglise et non des clercs. Le livre de cantiques fait donc partie, comme la Bible et le catéchisme, des moyens de réformer l’Eglise et de la faire vivre sur des bases solides.
Le livre de 1524 de Wittenberg est cela. Le premier livre de la Réforme annonce déjà le plan des livres qui vont suivre, et ceci jusqu’à aujourd’hui : 1. année de l’Eglise, 2. Eglise, culte, parole, sacrements et 3. vie chrétienne, resteront les trois grandes parties de tous les livres protestants. Les variations de ce plan ont été et sont nombreuses, mais le plan fondamental n’a jamais changé.
4. LES SOURCES DES CHANTS DE LUTHER
a. les sources bibliques
Les chants de Luther fixent un principe de l’hymnologie de la Réforme et du protestantisme: on chante la Bible. Soit par des textes directement pris dans cette dernière, comme les Psaumes ou les Cantiques, soit en écrivant des chants dans lesquels rien n’est incompatible avec la Bible. En fait, la plupart des chants sont des mosaïques de textes bibliques.
Luther a directement mis en musique 5 Psaumes : les Psaumes 12, 67, 124, 130, en 1524, et le Ps 46 en 1528. Ces Psaumes ont une double fonction. D’une part, ils sont liés au culte, comme Psaumes d’Introït, ce qui est le cas du Psaume 124, pour le 3e dimanche après la Trinité, ou le Ps 130 pour la préparation à la Sainte-Cène, comme psaume pénitentiel. D’autre part, ils sont l’expression du combat de la Réforme. En effet, les Psaumes 12, 67 et 46 ne sont pas prévus pour les Intrïts. Mais ce sont des Psaumes de combat, déjà dans l’Ancien Testament. Luther les a repris dans cette intention.
Il a dans la même optique mis en musique les dix commandements, pour la pénitence et la préparation à la Cène, en deux formes, une longue et une courte, sur la même mélodie. Ces deux chants sont de 1524, comme le Nunc dimittis : » Mit Fried und Feud fahr ich dahin « , destiné, entre autres, à la fin de la Sainte Cène. Calvin fera faire la même chose par Clément Marot pour la préparation et pour l’action de grâces de la Cène: les Commandements et le Cantique de Siméon, sur les mélodies de Loys Bourgeois.
Le Notre Père viendra compléter ces textes en 1528.
Les chants cités font un total de : Psaumes 5
Commandements 2
Nunc dimittis 1
Notre Père 1
soit : 9
b. les sources patristiques et médiévales latines
La deuxième grande source est la patristique. Comme Calvin, Luther revient aux Pères de l’Eglise antique, du 1er au 5e Siècle, d’avant le catholicisme romain et pontifical du 6e Siècle, qui voit commencer la déviation de l’Eglise vers des formes non-bibliques. La période couverte par cette patristique conforme à la Bible est circonscrite par les dates des cinq premiers conciles œcuméniques reconnus par les protestants : Jérusalem 52, Nicée 321, Constantiple 381, Ephèse 431, Chalcédoine 451. Doctrinalement, ces conciles fixent la Trinité en Dieu et les deux natures en Christ. Ces deux fondements seront à la base des chants, expressément et bien reconnaissables, jusqu’à la fin du 18e Siècle. Ils reviennent sans cesse au 19e et 20e Siècles, malgré les variations théologiques.
Luther reprend les grands auteurs latins nicéens, tels Ambroise de Milan : » Veni Redemptor gentium » ; Caelius Sedulius : » A solis ortus cardine » I et II; Aurelius Prudens Clemens : » Jam moesta querella » ; le » Te Deum « , de Niketas de Remesiana, traduit du grec en latin à cette époque (peut-être par Ambroise, disent certains). De même, les Crédos anciens, plus particulièrement le Nicée-Constantinople de 321-381, qui domine l’Eglise universelle depuis cette date, mais aussi l’Eglise luthérienne et son hymnologie (moins la réformée, puisque l’hymnologie réformée ancienne se résume foncièrement aux Psaumes, sans interpolation néo-testamentaire ou ecclésiastique).
Il reprend aussi des textes fondamentaux de l’Eglise médiévale, qui ne sont pas marqués par la théologie romaine, comme le » O lux beata Trinitas « , du 9e Siècle ; le » Veni Creator » de Hraban Maur de 990 ; ou le » Veni, sancte Spiritus, reple « . Du 13e Siècle, Luther reprend partiellement » Jesus Christus nostra salus « , de Jenstein-Hus ;
Les chants de cette origine sont au nombre de : Antiquité 4
Moyen-Age 4
soit : 8
Là aussi, la date de 1524 est fondamentale : les trois chants de l’Antiquité sont de cette année, ainsi que deux de ceux du Moyen-Age. Ce qui fait 5 chants sur 7.
c. Les sources allemandes
En Allemagne, on avait, dès le 12e Siècle, commencé à faire des cantiques allemands. L’exemple le plus connu est : » Christ ist erstanden « . Soit qu’on a traduit depuis le latin, soit qu’on a composé des chants nouveaux. Le plus souvent, ces chants ne comportaient qu’une strophe, leur fonction étant de s’intégrer dans le déroulement d’une liturgie. Et non pas de séparer des grands blocs, comme c’est le cas actuellement : entrée, chant avant la prédication, chant après la prédication, chant de sortie.
Or la forme des cultes protestants, à cause de la grande place de la prédication et du recul de la Sainte Cène, est allée très vite dans cette direction de chants plus longs formant passage entre des grands blocs . C’est ainsi que Luther a augmenté de deux ou trois strophes des chants allemands d’une strophe : par exemple : » Nun bitten wir den Heigen Geist « , » Komm, Heiliger Geist, Herre Gott « , » Gott sei gelobet « , » Mitten wir im Leben sind « . » Gott der Vater wohn uns bei « , dérivé d’un chant d’invocation des saints, « Wir glauben all an einen Gott « . Il obtenait ainsi, sur une base classique et connue, des chants plus amples, correspondant aux besoins nouveaux.
Calvin suivit la même démarche en employant les Psaumes exclusivement. Il répartit les 150 Psaumes en 300 unités de chant, comprenant 4,5 strophes en moyenne, chantées à quatre moments du culte : à l’entrée, avant la prédication, après la prédication, à la sortie. Le culte est ainsi divisé en 3 grands blocs : liturgie d’entrée, prédication, liturgie de sortie.
Les chants de cette origine sont au nombre de : 6
5. LES COMPOSITIONS PROPRES DE LUTHER
Les autres chants de Luther sont des compositions propres, nées de diverses circonstances. Et qui reprennent ces trois sources : biblique, patristique, allemande, dans un mélange personnel. » Vom Himmel hoch « , de 1535, en 15 strophes, a été composé par Luther pour ses enfants, pour la fête de Noël. Il s’était marié en 1525, en 1525 il avait plusieurs enfants de Catherine de Bora. En 1543, il fera une forme abrégée de l’histoire de Noël, en 6 strophes, » Vom Himmel kam derr Engel Schar « . » Christ lag in Todes Banden » dérive de » Christ ist erstanden « , et représente une géniale méditation de la résurrection sur ce thème. Egalement pour Pâques : » Jesus Christus, unser Heiland « . » Erhalt uns Herr, bei deinem Wort » a été composé lors de l’avance des Turcs vers Vienne, et dit : » Und wehre Papst und Türken Mord : protège-nous du pape et de la mort par les Turcs ! » (phrase qui fut remplacée par » deiner Feinde Mord : la mort par tes ennemis. » Reste » Christ, unser Herr, zum Jordan kam « , de 1543, destiné au baptême. Et le célèbre » Nun freut euch, lieben Christen gmein « , qui est de 1523, et semble le plus anciennement connu des chants de Luther.
Les compositions propres de Luther sont au nombre de : 7
6. CONCLUSION SUR LES SOURCES DES CHANTS DE LUTHER
Si on additionne les résultats obtenus dans les quatre parties ci-dessus concernant l’origine des chants de Luther, on obtient la répartition suivante :
Chants pris dans la Bible : 9, soit 30 %
Chants des sources latines : 8 26,5 %
Chants des sources allemandes : 6 20 %
Chants de composition propre : 7 23,5 %
Total : 30 100 %
Le tableau obtenu est assez équilibré et fait apparaître grosso modo quatre quarts. Cela montre l’équilibre dans sa personnalité entre la Bible, l’Eglise latine et l’Eglise allemande dont il provient, et sa composition personnelle à partir des trois sources précédentes.
.
5. LA PROSODIE ET LA MUSIQUE DE LUTHER
Luther a été un des maîtres de la poésie allemande. Sa composition textuelle est très concise, il y a peu de mots inutiles ou de remplissage . Le fait d’employer beaucoup de monosyllabes, caractéristique du temps, augmente cette concision. Pourtant, on n’aboutit pas à un texte sec, mais à une expression forte, bien articulée et mouvante. Les textes de Luther sont dynamiques. Luther maîtrise la prosodie allemande de son temps, et se révèle là aussi un des génies de la langue allemande, qui aura une forte influence sur la suite des choses.
La musique qu’il emploie met ses textes en valeur. Soit il reprend des mélodies anciennes, et pour les rendre plus vivantes, il les simplifie : c’est le cas de 10 chants. Soit il compose lui-même les mélodies. Là aussi, il créera quelques mélodies mondialement connues, comme » Vom Himmel hoch » et » Ein feste Burg « .
Luther part de l’idée que la paroisse qui chante n’est pas une schola de moines. Si on veut rendre au peuple le chant de l’Eglise, il faut que la musique soit chantable par un paroissien simple. Plus tard, des chorales et des musiciens orneront les chants pour les chorales. Ces derniers partiront du chant de l’assemblée, mais ne le confisqueront pas, comme c’était devenu le cas dans l’Eglise romaine.
6. L’IMPORTANCE DES CHANTS DE LUTHER
Au vu de tout ce qui a été dit plus haut, l’importance des chants de Luther est fondatrice et fondamentale pour le protestantisme. Evidemment, cette réalité est souvent méconnue, parce que les tendances théologiques, souvent superficielles, font ignorer cette hymnologie biblique, patristique et son fondement dogmatique nicéen et chalcédonien. Nous sommes à l’heure de l’à-peu-près. Luther nous apprend une grande rigueur, à la fois dans le message de l’Eglise et dans le chant. Pour lui ces deux choses vont ensemble et vont de soi.
L’établissement rigoureux du chant dans la prosodie et la musique permet aussi la rigueur mentale. C’est ce qui différencie les chants de Luther de beaucoup de chants actuels, peu rigoureux doctrinalement, prosodiquement et musicalement. Là aussi, on peut beaucoup apprendre de cette époque.
On peut dire que Luther est le créateur de l’hymnologie protestante. Toutefois pas dans un vide autour de lui. Toute une pléiade de gens l’entourent. Mais il reste le moteur.
7. LES CHANTS DE LUTHER SUR CE SITE
J’ai essayé de traduire autant que faire se peut l’original et essayé de rendre la pensée et la forme de Luther. De ce fait, toutes les strophes sont traduites.
a. les recueils existants : LP, NCTC, ARC, ALL
On pourra comparer avec les formes figurant dans les livres français actuels : LP, NCTC, ARC, ALLéluia. On constatera que ces formes sont tronquées et peu fidèles au contenu et à la forme de l’original.
Deux chants échappent à cette remarque. Le premier est : » C’est un rempart que notre Dieu « , de Lutteroth 1845, édité en Suisse dans le recueil » Chants chrétiens « . Son parallèle » C’est un rempart que notre Dieu, Une retraite sûre » du Recueil de Montbéliard de 1847, LP 228 est également une bonne traduction. L’autre chant est » Gloire et louange au Dieu secourable « , traduction de » Gott sei gelobet » par Richard Paquier, dans RA f 30. Je reproduis ces textes sur ce site.
b. les traductions existant dans d’autres recueils
Plusieurs chants de Luther étaient déjà traduits de façon satisfaisante. Je reprends ces textes sur ce site. Il s’agit des cinq chants suivants :
Aus tiefer Not RA396, EG 299
Des lieux profonds je crie à toi Carnet Jaune Woerth 1396
par Pierre Valloton, 1974
Erhalt uns, Herr, bei deinem Wort RA 156, EG 273
Par ta parole, Dieu Sauveur ABD 528
par Pierre Valloton, Georges Pfalzgraf et Yves Kéler
Nun freut euch, lieben Christen gmein RA322, EG 341
Mes frères, louez le Seigneur ABD 545
par Pierre Schmutz, 4 strophes,
auxquelles j’ai ajouté
les 6 strophes manquantes
Vater unser im Himmelreich RA 211, EG 344
Dieu, notre Père dans les cieux Carnet Jaune Woerth 1211
par Pierre Lutz, 1972
Vom Himmel hoch da komm ich her RA 40, EG 24
Je viens à vous du haut des cieux
Par Richard Paquier, 6 strophes, dans RA f 3
auxquelles j’ai ajouté
les 9 strophes manquantes.
Les autres textes sont des traductions de Yves Kéler.