2006. 01 : dim INVOCAVIT, 1er dans le Carême

Dimanche 5 mars 2006

2 Corinthiens 5,20 – 6,13


(Série de Prédication IV (Predigtreihe IV) : nouvelles  épîtres )

Note du rédacteur. Le texte du jour est 6,1-10. Je propose de prendre à partir de 5,20 et d’aller jusqu’à 6,13 pour avoir un ensemble plus cohérent. 6,1-2 est la suite de 5,20-21 et l’ensemble 5,20 – 6,2  justifie l’insistance de Paul exprimée en 6,2 par le thème de l’urgence du Jour du salut. De même 5,20 – 6,2 légitime 6,4-10 où Paul présente son activité apostolique à la lumière de la Passion du Christ, au risque de donner l’impression de succomber à la tentation de vantardise ! Par ailleurs  6,11-13 explicite le but de la démarche décrite en 6,1-2. Le thème du dimanche est « La Tentation », bien illustré par la lecture de Genèse 3,1-24 et Matthieu 4,1-11. Le texte de prédication du jour ne parle pas de tentation mais de réconciliation. Cet appel à la réconciliation est cependant la conséquence de l’identification d’une tentation à laquelle les chrétiens de Corinthe risquent de succomber : la tentation de croire qu’ils savent tout sur Dieu et la vraie foi et qu’ils n’ont donc pas besoin d’entendre la prédication et l’enseignement de Paul. En succombant à cette tentation, les Corinthiens rateraient l’occasion de salut que Dieu leur présente au moyen de la personne et l’activité de Paul. Cette tentation de « croire tout savoir sur Dieu » est de même nature que la tentation susurrée par le serpent à Adam et Eve (« être comme Dieu » en mangeant de l’arbre de la connaissance) et de celle présentée par le diable à Jésus (« agir comme Dieu » en détournant sa parole et sa puissance). Version « Nouvelle Bible Segond » 2002.

I

« Ouvrez largement votre cœur ! » – Qu’attend donc l’apôtre Paul des chrétiens de Corinthe pour les exhorter de la sorte ? Vient-il leur lancer un appel public à la générosité ? Il y a quelques années, le Secours Catholique Français avait ainsi intitulé sa campagne nationale : « Déchaîne ton cœur ! ». Mais ce n’est pas de quête d’argent que Paul veut parler aux Corinthiens.  Veut-il plutôt les inviter à une action de Carême, comme celles auxquelles nous sommes invités chaque année pour réapprendre à partager ce que nous avons reçu ? Il y a de ça, sauf que Paul ne les invite pas à partager, mais à apprendre d’abord à recevoir et à accepter !

« Vous êtes à l’étroit dans vos propres sentiments «  (6,12), dit Paul aux chrétiens de Corinthe. « Vous êtes coincés dans votre cœur ! », « Votre cœur est bloqué ! », « Vous êtes enfermés dans votre cœur, refermés, repliés sur vous-mêmes ! »… L’appréciation de Paul est sévère. Il souffre de voir cette communauté chrétienne qu’il aime de tout son cœur, dériver  au point de passer à côté du cœur de l’Evangile et de rater même le « jour du salut » en devenant sourds à toute nouvelle proclamation de la Parole de Dieu. « Nous vous encourageons, nous vous supplions à ne pas accueillir la grâce de Dieu en vain, sans effet en vous » (6,1).  Paul souffre de voir les Corinthiens gâcher tout ce qu’ils ont reçu. Dans les lettres qu’il leur envoie il leur rappelle avec vigueur l’enthousiasme avec lequel ils avaient accueilli l’annonce de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ, le zèle avec lequel ils avaient œuvré à la construction de leur communauté. Hélas, dans le champ de leurs cœurs, les mauvaises herbes et les épines avaient rapidement étouffé les pousses de bon grain. Le zèle de la foi avait dégénéré en orgueil spirituel, en illuminations et spéculations religieuses sectaires. L’amour fraternel s’était refroidi et avait engendré l’esprit de clan, de jalousie et d’exclusion. Et maintenant que lui, Paul, leur père spirituel, leur dit sa souffrance et tente de leur ouvrir les yeux sur leurs errements, les voilà qui se rebiffent, qui se renferment dans leurs certitudes blindées et verrouillées, qui se bouchent les oreilles et les yeux pour ne pas avoir à écouter Paul, pour ne pas avoir à entendre ce qu’il leur dit ni à regarder en face ce qu’il cherche à leur faire voir. « Au nom du Christ, nous vous supplions : Laissez-vous réconcilier avec Dieu ! » (5,20).

II

« Laissez-vous réconcilier avec Dieu ! » : si Paul discerne la nécessité d’une réconciliation des Corinthiens avec Dieu et en fait son vœu le plus cher pour ces Corinthiens qui lui tiennent à cœur, c’est qu’il y a péril dans la demeure, ou plutôt péril dans cette Eglise ! Ce qui s’y passe ne reflète plus du tout l’œuvre de réconciliation réalisée par Dieu en Jésus-Christ. Les événements et les tensions qui secouent la communauté n’incarnent pas du tout l’amour fraternel et la confiance en Dieu initiés par Jésus. La vie de la communauté ne rend pas témoignage au Dieu d’amour et de pardon qui a révélé son cœur de « Père de miséricorde » à travers la Passion de son Fils. Les agissements des Corinthiens n’expriment plus la foi dans le Dieu de Jésus-Christ, au contraire ! Leurs certitudes reflètent bien plutôt la foi en un Dieu des miracles, un Dieu de l’extraordinaire, un Dieu de la connaissance supérieure et pour certains un Dieu qui préfère les forts aux faibles. Tout cela les éloigne, les sépare, les égare loin du Dieu révélé par l’Evangile de Jésus-Christ. Les Corinthiens succombent aux multiples formes de la tentation du « tout savoir », même tout savoir sur Dieu et sur la foi. En agissant de la sorte, ils rejettent Dieu tout en prétendant ou en ayant l’illusion de lui être fidèles. Et pris dans leurs illusions, ils ne peuvent que critiquer et rejeter ceux qui ne croient et ne pensent pas comme eux. A fortiori Paul quand il vient les admonester en tant que leur père spirituel !

 « Laissez-vous réconcilier avec Dieu ! » : la tournure passive de la formule traduit bien l’ampleur du souci de Paul. A ses yeux, les chrétiens de Corinthe se sont tellement fourvoyés qu’ils ne sont même plus capables de discerner par eux-mêmes cette nécessité et d’en prendre le chemin. Paul les sent et les voit tellement « à l’étroit dans leurs sentiments » (6,12), coincés en eux-mêmes, prisonniers d’eux-mêmes, que seule une initiative de la part de Dieu pourra « faire craquer » leurs cœurs. Il  a la conviction que Dieu va encore une fois agir en faveur des Corinthiens à travers sa personne et son ministère. Alors il y va de tout son cœur (6,11) et insiste sur sa qualité d’apôtre, sur ses compétences, ses convictions, son enseignement et ses expériences qui reflètent ce qui fit la Passion de Jésus-Christ (6, 5-10). Attention, l’heure est grave : en le rejetant lui Paul, c’est en fait Dieu qu’ils vont rejeter ! En succombant pour de bon à leur tentation de « tout savoir » ils vont rater pour de bon le salut de Dieu (6,2). « Laissez-vous réconcilier avec Dieu ! »

III

Aujourd’hui, premier dimanche du Carême, cet appel pressant de Paul à ses frères et sœurs de l’Eglise de Corinthe ne peut nous laisser indifférents. Il nous interroge à notre tour sur notre « croire » : notre foi personnelle est-elle enracinée dans l’œuvre de réconciliation opérée par Dieu à travers l’action, la prédication et la Passion de Jésus-Christ ? Et notre vie en paroisse, en quoi rend-elle témoignage à l’Evangile ? Et nos relations les uns avec les autres que reflètent-elles ? Qu’est-ce qui est central et prioritaire chez nous et pour nous ? Chacune et chacun de nous a ses convictions et ses doutes, ses questions et ses réponses. Nous y cantonner et réfugier, tout en nous protégeant à coups de critiques systématiques des autres est bien plus facile et plus tentant que de nous ouvrir aux  autres pour partager nos richesses spirituelles, nos questions, nos expériences et nos doutes. Et si cette année, en plus d’une action de Carême où nous nous privons de quelque chose que nous aimons, nous laissions résonner en nos cœurs et nos consciences cet appel de Paul ? Si nous  résistions à nos certitudes et à notre promptitude à critiquer ? Si nous nous en « privions », en demandant dans la prière à Dieu de nous soutenir dans ce combat spirituel? Ce serait une bénédiction pour nous-mêmes, pour nos proches, notre paroisse, notre Eglise et le monde entier. Laissons-nous réconcilier avec Dieu à l’occasion de ce Carême 2006 ! Amen

Marc WEISS
Pasteur CHU Strasbourg-Hautepierre

Propositions de chants :

ARC 889 = NCTC 389 : « Demeure par ta grâce… »
ARC 415 : « Je veux répondre ô Dieu… »
ARC 427 = NCTC 302 : « Tu me veux à ton service… »
ARC 91 = NCTC 91 : « Qui demeure auprès du Seigneur… »