2006. 03 : dim OCULI, 3e dans le Carême

Suivre Jésus-Christ

Dimanche 19 mars 2006

1 Pierre 1/18-21


(Série de Prédication IV (Predigtreihe IV) : nouvelles  épîtres )

Frères et Sœurs en Jésus-Christ,

Celles et ceux d’entre vous qui ont suivi, en vue de leur confirmation, le petit catéchisme de Luther, se souviennent que les versets bibliques de notre texte de prédication y sont cités dans l’explication du second article de la confession de foi; il est bon de la rappeler: « Je crois que Jésus-Christ vrai Dieu, né du Père de toute éternité, mais aussi vrai homme, né de la Vierge Marie, est mon Seigneur. Il m’ a sauvé, acquis et racheté, moi, homme perdu et condamné, en me délivrant de tout péché, de la mort et de la puissance du diable, non point à prix d’or ou d’argent, mais par son saint et précieux sang, par ses souffrances et sa mort innocente, afin que je lui appartienne et que je vive dans son royaume, pour le servir éternellement dans la justice, l’innocence et la félicité, comme lui-même, étant ressuscité des morts, vit et règne éternellement ». Le pasteur Yves KELER a magnifiquement versifié cette proclamation de Luther ainsi: « Je crois au Seigneur Jésus-Christ,/ vrai fils de Dieu, né de Marie,/ pour le salut des hommes./ Il m’a sauvé, m’a racheté,/ m’a pris dans son royaume,/ non pas à prix d’or ou d’argent,/ mais par son saint et précieux sang,/ par sa mort innocente./ Je veux le servir ardemment,/ et j’attends pour la fin des temps/ sa gloire triomphante. »

L’explication du réformateur contenait implicitement une vive critique à l’égard des « indulgences papales ». Il y a quelques mois les Dernières Nouvelles d’Alsace (édition du 11 août 2005) rapportaient: « Benoît XVI a décidé d’accorder des indulgences spéciales, c’est-à-dire la rémission entière ou partielle de leurs péchés aux participants des Journées Mondiales de la Jeunesse ». Le grand reporter Jacques FORTIER ajouta comme commentaire: « C’est Jean Paul II qui avait relancé les « indulgences ». Ce sont des réductions ou des annulations des peines temporelles encourues par les fidèles après leur mort pour les péchés qu’ils auront commis durant leur vie terrestre. Les abus en la matière ont été à l’origine de la Réforme protestante ». Evidemment cette disposition papale va à l’encontre du 4ème article de la Confession d’Augsbourg de 1530 qui garde son actualité et à laquelle nous adhérons: « Nous enseignons  que nous ne pouvons obtenir la rémission des péchés et la justice devant Dieu par notre mérite, nos œuvres et nos satisfactions, mais que nous recevons la rémission des péchés et devenons justes devant Dieu par grâce, à cause du Christ et par la foi, si nous croyons que le Christ a souffert pour nous, et que, grâce à lui, le pardon des péchés, la justice et la vie éternelle nous sont donnés ».

La racine du mot « indulgence »n’est employée qu’une seule fois dans la Bible, mais non pas dans son sens juridique du moyen âge, d’indulgence dans le verdict du tribunal ou d’un jury d’examen, mais dans son sens ancien de clémence, c’est-à-dire de cette facilité à excuser, cette volonté de fermer un œil jusqu’à être complaisant ou « coulant ». Et écoutez bien, ce texte décrit l’indulgence normale du grand prêtre juif, donc par extension  celle du Pape lui-même, a fortiori du pasteur et de tout homme de Dieu. Dans Hébreux 5/1-3, nous lisons : « Tout souverain sacrificateur pris du milieu des hommes est établi pour les hommes dans le service de Dieu, afin de présenter des offrandes et des sacrifices pour les péchés. Il peut être indulgent pour les ignorants et les égarés, puisque la faiblesse est aussi son partage. Et c’est à cause de cette faiblesse qu’il doit offrir des sacrifices pour ses propres péchés, comme pour ceux du peuple ». Aucun homme n’a le pouvoir de pardonner les péchés; il peut ainsi être indulgent envers celui qui est aussi pécheur que lui et peut profiter de l’indulgence d’autrui. Selon la Bible, Dieu n’est pas indulgent, mais miséricordieux, lent à la colère et riche en bonté ; c’est lui qui pardonne toutes nos iniquités par le saint et précieux sang du Sauveur. Soyons indulgents vis-à-vis de la papauté qui éprouve à nouveau le besoin, pour marquer son autorité dans ses rangs, de faire usage des « indulgences ». (L’abbé Pierre, le plus protestant des prêtres, a écrit dans son livre récent : Mon Dieu… pourquoi ? « En s’incarnant, Jésus offre la rançon que l’homme réclame pour se libérer de lui-même. Jésus dit en effet : Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. La tradition a donné deux grandes interprétations théologiques de cette phrase mystérieuse du Christ, mais je les trouve toutes les deux très insatisfaisantes. On a longtemps affirmé que l’homme pécheur était captif du diable. Dans mon enfance, on disait encore: si tu fais telle grosse bêtise, tu appartiendras au diable et tu iras en enfer. Mais comment penser que l’Amour puisse s’offrir au Mal ? Cela n’a aucun sens. Un autre courant théologique a affirmé que le rançonneur était Dieu lui-même. Offensé par le péché de l’homme, seule une satisfaction infinie pouvait être à la hauteur du péché commis, et donc seul Dieu lui-même pouvait offrir cette réparation en s’incarnant. Plus Jésus souffrait, plus il réparait l’offense de l’homme et contribuait à son rachat. C’est épouvantable. C’est en vivant auprès des drogués qu’une autre explication m’est venue. Le drogué est en effet à la fois son propre bourreau et la victime. Il est le rançonneur et l’otage. Partant de cette observation, je me suis dit qu’il en allait de même pour tout être humain. Etant débranché de notre véritable source divine, nous sommes devenus bourreau de nous-mêmes. Nous sommes esclaves de nos désirs désordonnés, de notre égoïsme. En se faisant homme, le Christ est venu nous libérer de nous-même. Il nous offre la possibilité de nous reconnecter avec la source divine. La rançon qui nous libère, c’est à chacun de nous qu’il la donne. La foi chrétienne, c’est savoir que Jésus nous a redonné la possibilité d’aimer en vérité »).

Chers amis, la grâce qui nous est faite par le saint et précieux sang de notre Sauveur, nous mobilise à faire grâce. L’indulgence de nos supérieurs, de nos partenaires, voire de nos enfants qui selon Saint Exupéry « doivent être très indulgents vis-à-vis des grandes personnes », nous pousse à être exigeants pour nous-mêmes et indulgents vis-à-vis des autres. L’article XX de la Confession d’Augsbourg nous exhorte aux bonnes œuvres: « Par la foi, le Saint Esprit nous est donné et notre cœur devient aussi apte aux bonnes œuvres : invoquer Dieu, être patients dans les afflictions, aimer le prochain, s’acquitter avec zèle des devoirs de sa charge, être obéissants, fuir la mauvaise convoitise. Ces grandes et justes œuvres, on ne saurait les faire sans l’aide du Christ, comme il le dit lui-même, Jean 15: « Sans moi, vous ne pouvez rien faire ». Albert SCHWEITZER, dans un sermon qu’il a prêché peu après la fin de la première guerre mondiale, nous encourage au respect de toute vie humaine, animale et végétale, en exorcisant ce qui déjà avait freiné l’élan des chrétiens à qui l’apôtre Pierre s’adressait dans ses épîtres, à savoir le découragement, en disant: « Le désespoir risque de nous étreindre, quand nous nous rendons compte que le peu que nous essayons de faire n’est rien à côté de tous les malheurs qui continuent à se produire sans que nous y puissions quoi que ce soit. La voix du tentateur se fait entendre : Tout est vain, rien ne sert à rien, ne t’en fais donc pas, vis comme les autres. C’est ainsi qu’un sentiment de lassitude nous envahit et que nous perdons toute notre énergie éthique intérieure. A moins que nous ne restions éveillés, en sachant que c’est ainsi qu’il nous faut vivre et que le bonheur véritable, nous le connaîtrons seulement dans l’accomplissement du grand et mystérieux devoir qui nous incombe en ce monde ».

L’évangile de ce jour contient des exigences radicales pour qui veut suivre le Christ et être son disciple. Même si on tempère la radicalité des bonnes actions voulues par le Christ par l’urgence de son bref ministère terrestre, il n’en reste pas moins qu’à la résignation devant tant de cruautés dans le monde doivent répondre ses impératifs catégoriques : quitter son confort, s’exposer aux dangers et à l’animosité des mal intentionnés, être disponible à toutes les interventions urgentes d’assistance et d’aide, quitter les morts pour sauver les vivants, poursuivre sans regrets les objectifs de justice, de paix et de solidarité, offrir nos corps en sacrifice vivant. Le mot d’ordre de la semaine nous y presse: Quiconque met la main à la charrue puis regarde en arrière, n’est pas digne du Royaume de Dieu (Luc 9,62). Alors, Sœurs et Frères, n’abdiquons pas. Mais libérés, indulgents, joyeux, mettons au service des autres les dons que nous avons reçus, avec dévotion envers Dieu et dévouement envers les autres. Amen

            Georges BRONNENKANT, pasteur


Cantiques:
LP 253; ABD 521; ARC 449, 78O