2007. 05 : dim JUDICA

Dimanche 25 mars,

L’Agneau de Dieu

Jean 11, 47﷓53

(Série de Prédication V (Predigtreihe V) : liste complémentaire I)

Chère assemblée,
Jésus vient de rappeler à la vie son ami Lazare. Ce miracle est le point d’orgue, le dernier d’une série de signes qui se sont succédé tout au long des 10 premiers chapitres de l’évangile de Jean. En commençant par le miracle de Cana, en passant par la multiplication des pains, la guérison de l’aveugle-né et bien d’autres signes, les contemporains du Christ ont eu le temps de se faire une opinion sur lui. Et les esprits se séparent à son sujet. Pour une majorité il est, pour le moins, un grand prophète sinon plus. Pour d’autres il est un imposteur et un danger potentiel.

L’heure n’est plus à l’indifférence débonnaire ou méprisante, c’est ce que révèle la question qui ouvre notre texte: « Qu’allons﷓nous faire?» La question émane des plus hautes sphères religieuses du judaïsme, notamment des Sadducéens.

Et celui qui est à leur tête, le grand﷓prêtre Caïphe prend ses responsabilités. Il décrète qu’il n’y a qu’une sortie possible de la crise qui ne manquera pas de se nouer d’ici peu autour de la personne de ce Jésus, c’est de le sacrifier pour le bien supérieur, la paix et l’avenir du peuple.

Il vaut mieux qu’un seul homme meure et que la nation entière ne périsse pas. Voilà ce qu’il décrète.
Caïphe incarne la raison d’état. Il n’a pas la tâche facile. Il est le garant de la tradition et de son expression la plus sainte, le service du temple. Dans le même temps, il doit donner des gages de loyauté et de soumission aux forces d’occupation romaine et au lointain mais tout puissant empereur de Rome.

En fait, Romains et Sadducéens se sont alliés pour le meilleur et pour le pire. Le marchandage est le suivant: aux Sadducéens,- cette caste des prêtres, en Israël une vraie aristocratie – une position d’autorité morale et la prérogative concernant les questions religieuses. En retour, pour prix de leur loyauté, les Romains respectent et protègent le culte du temple.

Cet état de fait nous fait comprendre que Caïphe, en décidant de se débarrasser de Jésus, ne pense pas seulement au bien supérieur du peuple. II tient aussi à préserver la position privilégiée des Sadducéens. Derrière sa décision nous pouvons donc aussi reconnaître l’esprit de caste, un solide corporatisme, la peur de la mise en question d’une position dominante.

En ce sens, ce récit nous pose une première question. II nous oblige à nous interroger sur les compromissions, sur les concessions que nous sommes, nous﷓mêmes, toujours à nouveau prêts à faire pour préserver par exemple notre tranquillité, notre bien﷓être, nos petits acquis et petits privilèges. Souvent l’esprit de justice, de solidarité exigerait de notre part un effort dans l’entraide et le partage. Imaginons par exemple, un impôt supplémentaire pour aider les plus démunis ou des taxes conséquentes sur les produits des pays pauvres? Comment réagirions-nous? Peut-être comme le groupe des Sadducéens, imbu de ses privilèges et satisfait de cette société, qui ne contestait pas sa richesse, basée sur l’impôt du temple, et ne voulant pas que cela change. Réaction tellement humaine.

Nous avons donc une première raison qui explique le sacrifice de Jésus. Il a été sacrifié pour ainsi dire sur l’autel des avantages acquis.
Mais le récit de l’évangéliste Jean livre d’autres informations troublantes. On ne nous parle pas seulement des Sadducéens qui s’alarment devant les agissements de Jésus, mais aussi des Pharisiens. C’est donc à une véritable coalition que nous avons affaire. Ce qui intrigue, c’est qu’en règle générale, Sadducéens et Pharisiens n’étaient pas en bons termes les uns avec les autres. Les prêtres n’avaient que sarcasmes pour les Pharisiens, ces fanatiques pieux qui se regroupaient en fraternité et qui plaidaient pour un réarmement moral, une observance rigoureuse de la loi, une véritable piété personnelle. Ajoutons encore que les Pharisiens croyaient à la résurrection des morts alors que les Sadducéens la niaient. On mesure mieux le fossé qui séparait ces deux groupes. Leur coalition, face au danger potentiel que représente le Christ, est donc des plus troublantes. Elle permet aux deux groupes antagonistes de dépasser leur différent et de se réconcilier face à l’ennemi commun.

Ce que nous pouvons voir ici à l’oeuvre, c’est donc une véritable logique sacrificielle. C’est-à dire que l’on désigne un fauteur de trouble sur le compte duquel on va pouvoir se réconcilier. C’est le mécanisme du bouc émissaire qui est vieux comme le monde.

Le rejet du Christ, le refus de s’interroger sur la pertinence de son message, voilà ce qui ligue et unit Pharisiens et Sadducéens dans un front commun. Alors même qu’ils reconnaissent, selon leurs propres paroles, qu’il opère beaucoup de signes miraculeux, ce qui devrait pour le moins les amener à s’interroger sur la source de ce pouvoir, ils ne sont en fait d’accord que sur un point central, déterminant. II faut se débarrasser de lui!

Encore une fois, cette logique nous interpelle. C’est que chaque groupe humain, chaque société génère de la violence et suscite toujours à nouveau des conflits.

Cette violence est pour tout le monde très dangereuse. Au lieu de reconnaître sa part de responsabilité et se remettre en question, le violent dira: «C’est la faute à l’autre ».
C’est la faute au voisin, c’est la faute aux juifs, c’est la faute aux immigrés. Les boucs émissaires ne manquent jamais.

Le Christ dénonce cette logique. En Jean 15, 25 il dira: «Ils m’ont haï sans raison ». Nous-mêmes faisons bien d’être vigilants quant au mécanisme du bouc émissaire. Car dans une société en crise, comme la nôtre, où les temps deviennent plus durs, un tel contexte génère toujours le sentiment que telle ou telle personne, tel ou tel groupe social, est la cause de toutes nos difficultés. Et au lieu de reconnaître que nous avons tous une part de responsabilité, et que la solution, si solution il y a, ne peut venir que d’une prise de conscience collective, on se dédouane trop facilement de toute responsabilité sur le compte de l’autre.
La Bible, et en particulier les Evangiles, nous mettent en garde contre cette aptitude à voir le coupable en l’autre.

Plutôt que de risquer des problèmes avec les Romains, le grand prêtre Caïphe estimait qu’il valait mieux que le Christ meure. Et il fallait en effet, pour sauver la nation, que le Christ meurt. Mais pas dans le sens où le croyait Caïphe. Car la mort de Jésus aura effectivement une portée salvatrice pour le peuple et même au﷓delà du peuple, pour les enfants de Dieu de l’ensemble des peuples de la terre.

Mais en quoi consiste cette vertu salvatrice inhérente à la mort du Christ? L’évangéliste Jean l’exprime explicitement en 3, 16 lorsqu’il écrit: « Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne soit pas perdu mais qu’il ait la vie éternelle » Dieu s’offre en son Fils par amour pour les hommes, pour leur donner de nouvelles raisons d’espérer, pour leur faire comprendre que les forces de la mort ne peuvent pas avoir le dernier mot. En Jésus, c’est Dieu lui﷓même qui s’expose aux violents, à leur calcul politique, qui s’expose à la brutalité humaine et à la mort. Acceptant le passage par le Vendredi Saint, le passage par les ténèbres et la mort, il se solidarise avec toutes les victimes, avec les hommes qui souffrent. Mais dans le même temps ce passage du Vendredi Saint est nécessaire pour que puisse éclore une nouvelle espérance, pour qu’une vie plus forte que la mort triomphe, la vie qui se révèlera à Pâques, dans le Ressuscité. Certes, les Golgothas, sur lesquels sont toujours à nouveau immolées des victimes innocentes, ne manquent pas dans notre monde. Mais forts de l’espérance de Pâques, nous voulons témoigner avec obstination que Dieu leur rendra justice et que, déjà, il les englobe dans sa victoire. Son amour, plus fort que toute mort les sauvera. Oui, osons donc, par fidélité au Christ, donné pour nous, témoigner et vivre la force de cet amour dans un monde qui en a tant besoin. Amen

G. Hufschmitt

Cantiques : 409, 419, 450,453