2008. 07 : VENDREDI SAINT

21 mars2008

Esaïe 53,1-12

( Série de Prédication VI (Predigtreihe VI) : liste complémentaire II )

Peu après la première pentecôte, le ministre de la reine d’Ethiopie lisait un rouleau très rare et cher qu’il avait acquis au temple de Jérusalem. Il s’agissait de la longue copie du livre du prophète Esaïe. Il lut à l’évangéliste Philippe le quatrième chant du serviteur et lui demanda : « Je te prie, de qui le prophète parle-t-il ? Est-ce de lui-même ou de quelqu’un d’autre ? ». D’après vous, frères et sœurs en Jésus Christ, comment interpréteriez vous ces chants du serviteur où il est dit du messie à venir qu’il ne criera pas, qu’il ne brisera pas le roseau cassé, qu’il ne se découragera pas, qu’il annoncera la justice, qu’il est l’élu en qui Dieu prend son plaisir, qu’il proclame la vérité avec un discours tranchant et une langue exercée, qu’il réconforte celui qui est abattu ou rejeté, qu’il livre son dos au fouet et son visage aux crachats de ses bourreaux, qu’il est l’homme de douleur, qu’il porte nos souffrances et qu’il est puni pour nos péchés afin que nous soyons guéris, qu’il s’est livré sans se défendre à la mort, qu’il a intercédé pour ceux qui ne savent pas ce qu’ils font et qu’il est enterré parmi les malfaiteurs. De qui prophétise donc le 4ème chant du serviteur qui est le texte de sermon proposé à notre méditation ? A vous de répondre, en écoutant la lecture d’Esaïe 53,1-12 : (possibilité de n’en faire la lecture que maintenant)

L’accomplissement de ces missions de médiation du serviteur souffrant par Jésus nous semble une évidence, sans que nous forcions les analogies entre l’ancien et le nouveau testament. Il y a une parfaite et surprenante adéquation entre le mystérieux serviteur de l’Eternel attendu par Esaïe et Jésus, le messie de la nouvelle alliance, par exemple en ce qui concerne la prédication en amour et en vérité, l’action non-violente, l’accueil inconditionnel des petits et des affaiblis, la guérison sociale et psychologique des victimes de la société, la passion assumée et le chemin de croix, la mort substitutive de celui qui est venu pour servir et non pour être servi. Qui a voulu cet accomplissement de la prophétie, si ce n’est Dieu, Père, Fils et Saint Esprit ! ! En voilà quelques preuves supplémentaires :

1)    Au niveau du livre d’Esaïe, selon le contexte, la figure énigmatique de « serviteur de l’Eternel » pourrait s’appliquer à l’ensemble du peuple d’Israël souffrant durant la captivité babylonienne, ou à un « reste saint » demeuré fidèle, ou à la ville de « Sion » c’est-à-dire Jérusalem, ou au prophète rejeté lui-même, ou bien même à l’empereur perse Cyrus qui libéra les esclaves juifs et qui fut nommé « berger » et « messie » , encore qu’il n’ait jamais dû souffrir, comme le peuple exilé ou un prophète persécuté. Face aux multiples interprétations possibles, pourquoi le prophète n’aurait-il pas eu cinq siècles à l’avance la révélation divine qu’il naîtrait un beau jour « un Sauveur qui est le Christ, le Messie, le Seigneur » ? Oui, Jésus a vraiment accompli les Saintes Ecritures : il a porté le poids de nos culpabilités sur le bois de la croix, afin que nous soyons pardonnés, guéris et ragaillardis.

2)    Soyez informés, frères et sœurs, que les textes messianiques du prophète Esaïe, dans les chapitres 7,9 et 11 qui sont traditionnellement lus avant Noël, à propos de la jeune fille qui enfante « Emmanuel » , du « Prince de la paix qu’est l’enfant qui nous est donné » et du descendant du roi David, issu de « la racine de Jessé » , donc toutes ces prophéties d’un messie royal, puissant, justicier et triomphateur, eh bien, ne sont pas cités dans le Nouveau Testament ! ! ! Par contre, notre texte du jour, Esaïe 53 est le chapitre le plus souvent cité dans le Nouveau Testament ; à l’exception des versets 2,3 et 11, tous les autres le sont ! ! ! Dans le récit de la guérison de la belle mère de Pierre (8,17) et celui de beaucoup de malades (12,17), Matthieu cite expressément de larges extraits des chants du serviteur souffrant. En deux endroits les récits de la passion (Marc 15,27s et Luc 22,37) citent notre texte pour souligner le rôle de malfaiteur que les bourreaux ont fait jouer à l’agneau de Dieu. L’apôtre Pierre, dans ses sermons d’évangélisation, désigne Jésus comme « serviteur » (Actes 3,13-16 et 4,27-30) et confesse dans sa première épître tout en nous exhortant : « Christ a souffert pour vous, vous laissant un exemple, Lui qui n’a point commis de péché et dans la bouche duquel il ne s’est point trouvé de fraude ; lui par les meurtrissures duquel vous avez été guéris » (I Pierre 2,21-25 qui cite Esaïe 53,9 et 5). Et n’oublions pas l’évangéliste Philippe qui « commençant par notre passage, annonça la bonne nouvelle de Jésus à l’eunuque éthiopien qui a alors demandé d’être baptisé » (Actes 8,32-34).
3)    
Jésus lui-même a prophétisé de lui qu’il était venu pour servir et que le fils de l’homme devait souffrir, mourir et ressusciter le troisième jour. Aux disciples en route vers Emmaüs qui n’avaient pas reconnu le ressuscité, Christ avait montré qu’il avait accompli les deux étapes du destin du serviteur souffrant d’Esaïe, le dépouillement extrême et l’élévation souveraine, sa descente aux enfers et son ascension à la droite de Dieu. En effet, il leur a dit : « O hommes sans intelligence, et dont le cœur est lent à croire tout ce qu’ont dit les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffre ces choses, et qu’il entre ainsi dans sa gloire ? » (Luc 24,25)

Comment réagir, frères et sœurs, à ces parallèles mythiques entre la mission prophétisée pour le serviteur de l’Eternel et son accomplissement à la lettre par Jésus, le fils de Dieu ? Il nous faut d’abord exprimer notre profonde reconnaissance et entrer de plein pied dans le plan de Dieu, dire notre gratitude pour la mort sacrificielle et substitutive de Jésus qui nous offre le pardon, la liberté intérieure et le courage de porter nos fardeaux, et puis discerner dans le pain et le vin de la Sainte Cène la substitution et le sacrifice du corps et du sang du Christ sur la croix, afin qu’aujourd’hui nous vivions pleinement et éprouvions la « joie imprenable » d’être habités par l’esprit de Dieu et la présence du Ressuscité.

Ensuite, il nous faut imiter Jésus dans la mesure de nos moyens comme nous y exhorte l’épître de dimanche dernier qui se réfère également à notre texte : « Que chacun de vous, au lieu de considérer ses propres intérêts, considère aussi ceux des autres. Ayez en vous les sentiments qui étaient en Jésus Christ qui, existant en forme de Dieu n’a point regardé son égalité avec Dieu, mais s’est dépouillé lui-même, en prenant une forme de « serviteur » , se rendant obéissant jusqu’à la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé » (Philippiens 2,4-11). Ainsi le bien portant ne doit prendre son bonheur comme allant de soi, mais faire des sacrifices compensatoires pour les malchanceux. Si quelqu’un souffre, qu’il sache qu’il se substitue à quelqu’un d’autre qui est épargné.

Enfin, il nous faut intercéder pour que le peuple juif reconnaisse que Jésus a accompli la « thora et les prophètes ». Le romancier et théologien Elie WIESEL rapporta qu’au camp de concentration nazi où les survivants devaient assister à la pendaison des sacrifiés, un jeune homme demanda : « Où est Dieu ? » et qu’un adulte lui répondit : « Il pend à la potence ». En ce sens, toute l’œuvre du philosophe juif Emmanuel LEVINAS démontre que derrière le visage de l’autre se cache un serviteur nu, démuni, souffrant et mortel, pour ainsi dire un messie qui se substitue à moi pour me sauver de mon égoïsme et pour m’ex-horter à la compassion. Dans la poursuite du dialogue judéo –chrétien, devons nous affirmer qu’en Jésus, le messie que les juifs attendent leur est toujours et encore proposé, ou bien devons nous considérer Jésus comme le serviteur souffrant des serviteurs souffrants, ou bien devons nous, juifs et chrétiens, laïciser et généraliser les prophéties et les évangiles, appelant chaque humain à devenir un messie pour d’autres en « les regardant comme étant au dessus de lui-même » , les servant et en « s’offrant soi-même en sacrifice vivant » pour défendre leurs justes causes ? Amen.

Georges Bronnenkant

¼ – Service des Lecteurs – SL –  12 – 21.03.2008 – Georges BRONNENKANT