2011. 06 : RAMEAUX, 6e dans le Carême

Dimanche 17 avril 2011.

L’homme de douleur

Marc 14, 3-9 –

Chez Marc comme chez Matthieu, le passage introduit le récit de la Passion de Jésus, récit qui sera au centre de la proclamation de l’évangile dans le monde entier. Cette proclamation ne sera pas désincarnée : Y figureront aussi, comme exemples concrets de ce que peut être la réponse de chacun à cette bonne nouvelle, des gestes comme celui de cette femme sans nom mais qui a fait ce qu’elle pouvait et estimait bon à son égard. Son geste n’a pas été reconnu par son entourage, mais Jésus prend sa défense et nous met devant nos responsabilités.

A noter qu’il ne justifie en aucune façon la permanence de la pauvreté !!! L’accent est mis sur ce que chacun peut faire quand Jésus est là. Et ne l’est-il pas toujours ?
J’ai suivi la traduction de la TOB, mais elle ne s’impose pas.
Chers amis,

Chaque instant de notre vie, et en particulier chaque rencontre, peut devenir un événement extraordinaire, où il peut se passer bien plus que ce que nous pouvons imaginer ou percevoir. Il nous faut, pour cela, permettre à l’imprévu d’entrer dans nos vies, nous laisser porter vers des gestes un peu fous, un peu irréfléchis, mais dont le bon souvenir, la bonne odeur pourrions-nous dire, nous fera du bien encore longtemps après. Et à d’autres aussi, sans doute.

Les rencontres de Jésus sont de ce style-là. Il s’y passe toujours quelque chose d’inattendu, quelque chose de surprenant, et cela laisse des traces bienfaisantes autour d’elles. Parfois c’est lui qui les provoque, ces rencontres. Parfois, comme dans le récit que nous venons d’entendre, il se laisse lui-même surprendre par celles et ceux qui s’approchent de lui. Il les accueille alors avec une extraordinaire liberté.  Et ce qui se passe alors peut être un encouragement pour chacun de nous.
Nous le trouvons ici avec toutes sortes d‘invités chez un certain « Simon le lépreux ». Nous ne connaissons pas ce Simon par ailleurs. Sans doute avait-il été malade de la lèpre, ou du moins suspecté comme tel. Le résultat aura été le même : il a été mis au ban de la société. Plus de fêtes pour lui ! Plus de rencontres ! Et puis, il a été officiellement reconnu comme guéri et libre de retourner dans une vie de société. Peut-être est-ce pour cela qu’il fête et ouvre largement sa maison. Quand on a passé par ce qu’il a vécu, on mène sa vie autrement. Quand on n’avait plus d’autre possibilité de rencontres que celle d’autres exclus, on a envie d’ouvrir toute grande sa porte. Et Jésus est de ceux qui acceptent l’invitation de ce genre de ressuscités !

Tout le monde d’ailleurs a pu se joindre à la compagnie. Aussi des inconnus de toutes sortes. Il n’était pas nécessaire de présenter un carton d’invitation pour pouvoir entrer. Il n’était même pas nécessaire d’être invité. Ni même d’être connu. Simplement : on entrait, et on se mettait avec les autres.
Cela se passe encore de nos jours ainsi au Proche-Orient : quand on fête dans une maison du village, tout le monde peut s’y associer, même l’inconnu de passage. Serait-ce possible chez nous aussi ?
Il va se passer alors, lors de ce repas chez Simon, une chose étonnante, …et une autre qui l’est beaucoup moins. La chose étonnante, c’est cette femme inconnue qui entre et vide sans rien dire un flacon de parfum, de très bon parfum, sur la tête de Jésus, -qui laisse faire. L’autre chose, moins étonnante, ce sont les commentaires de quelques-uns des convives, qui n’ont rien fait mais qui calculent et qui jugent. Là où il n’y avait qu’un geste d’amour, ils font marcher leur calculette : « Quel gaspillage ! disent-ils. Ce parfum a dû coûter plus d’une année de SMIC. Avec un tel montant, on aurait pu nourrir quelques centaines de familles pendant un an ! » Mathématiquement, ils ont raison, mais la vie n’est-elle pas plus grande et plus riche qu’un exercice de calcul, ou qu’un  bilan financier ?
Depuis 2000 ans, pour certains, rien n’a changé : les chiffres sont plus important que les personnes. Ils nous présentent toutes sortes de beaux projets, toutes sortes de belles possibilités, chiffres à l’appui : « On pourrait ceci, on pourrait cela… ». Mais rien ne se fait, rien ne change dans la réalité, si ce n’est que les riches deviennent toujours plus riches et les pauvres plus pauvres. Et l’on finit ainsi par détruire la vie.

Bien sûr, il nous faut calculer aussi, et Jésus lui-même, à l’occasion, nous y encourage : « Celui qui veut bâtir une tour, nous dit-il, fera bien de commencer par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout » (Luc 14, 28). Mais « aller jusqu’au bout » à sa suite, c’est justement faire plus que seulement calculer et dire « on pourrait… ». Si nous ne faisons que calculer, nous ne ferons jamais rien ni pour lui ni pour d’autres, parce qu’il y aura toujours plus urgent. Nous serons alors de ceux qui diront : « Plus tard, quand j’aurai les moyens », et nous savons très bien que ce moment ne viendra jamais, parce qu’il nous manquera toujours encore quelque chose. Et ce n’est pas non plus en disant ce qu’on pourrait faire, ou ce qu’on aurait pu faire, que nous ferons du bien à d’autres et nous mettrons au service de celui qui a simplement accompli sa mission, sans se demander si sa vie serait tranquille ou s’il y aura des risques.

Pour lui, l’important était de vivre l’amour de Dieu jusqu’au bout, quitte à en mourir. C’est la folie de Dieu, bien différente de la « sagesse » des hommes, -ou de ce qui se prétend telle. Il connait le chemin, il sait ce qui l’attend. Il sait qu’il va vers la mort, et il en parle très librement : « Cette femme a d’avance, dit-il, parfumé mon corps pour son ensevelissement ! » C’est de la provocation que de parler ainsi. C’est indécent. C’est de la folie. Mais ainsi va l’amour de Dieu : rien ne l’arrête ! Cela nous sera rappelé tout au long de la semaine qui vient, quand nous seront rappelées les souffrances du Christ, sa mort, mais aussi le OUI de Dieu au chemin qui aura été le sien, et la formidable annonce du matin de Pâques : Il est vivant, celui qui n’a pas reculé devant les défis d’un amour sans limites ! Car un tel amour, qui ne compte pas, qui ne calcule pas, est plus fort que tous les pouvoirs et que toutes les sagesses du monde. Plus fort que la mort même, que nous cultivons tous, avec nos bonnes raisons.
Comment vivre alors ce temps qui est devant nous ? Pas seulement cette « semaine sainte », mais tous les jours et toutes les semaines que Dieu nous offre ? Jésus donne une piste à tous ces gens raisonnables et hésitants qui l’entourent, -et dont nous sommes, nous aussi : « Des pauvres, vous en avez toujours avec vous, et quand vous voulez, vous pouvez leur faire du bien ». « Quand vous voulez ! » : A nous de décider si nous voulons, et comment nous voulons : comment nous allons manifester notre amour, notre reconnaissance, notre foi.

Pour cette femme, le pauvre, c’était Jésus lui-même ! Il y a beaucoup de manière de le servir et de mettre en forme notre amour pour lui. Jésus n’en impose aucune, il laisse libre cours à notre inventivité, peu importe ce qu’en pensent les uns et les autres. L’important, c’est qu’il règne dans nos cœurs et dans nos vies, et aussi dans nos cultes la bonne odeur de la fraternité et de l’amour partagé, et non l’odeur d’eau de Javel de ceux qui ne peuvent que calculer ou dire ce qu’on aurait pu, mais qui auront été incapables d’exprimer leur amour, même de manière hésitante ou un peu folle. L’amour de Dieu, lui, a toujours quelque chose de fou. Mais il fait jaillir la vie. Même à l’article de la mort ! Amen.

Ernest REIChERT

¼ – Service des Lecteurs – SL – 16 – Ernest REICHERT – 17.04.2011