2009. 00 : EPIPHANIE, dim 6.01

Ici, on a suivi le plan catholique-réformé de France, qui supprime la fête de l’Epiphanie du 6 janvier, et la fait célébrer au premier dimanche de janvier. Le plan alsacien-lorrain, en concordance avec le pan latin et catholique-protestant d’Allemange, a ici le 2e dimanche après Noël. Celui-ci disparaît donc du plan 2009.

Épiphanie

Dimanche 4 Janvier 2009

La gloire du Seigneur

Matthieu 2, 1-11

(Série de Prédication I (Predigtreihe I) : anciens évangiles)

Nous croyons tous connaître cette histoire des « rois mages, » mais si nous avions à la raconter à des enfants, nous ferions bien de relire le texte auparavant. Nous verrions alors que ce ne sont pas des rois, qu’ils ne sont peut﷓être pas trois et qu’on n’a aucune idée de la couleur de leur peau. Toutes ces précisions ont été inventées plus tard, au fur et à mesure que les artistes cherchaient à représenter la scène. C’est donc au texte lui﷓même de l’évangile de Matthieu qu’il faut nous attacher et non à ce que la légende en a fait. En relisant cet évangile, je me dis que peut﷓être nous ne nous apercevons plus à quel point cette histoire est étrange ! Où plutôt, que l’étrange n’est pas ce que nous croyons. Pour nous l’étrange, c’est cette étoile et le voyage des mages ; mais, en fait, que des astrologues se mettent en route à la poursuite d’une nouvelle étoile apparue dans le ciel n’a rien d’étonnant: l’astrologie et les horoscopes sont de tous les temps ! L’étrange n’est pas là. Et d’ailleurs, Hérode le Grand, qui était d’un tempérament particulièrement anxieux, a pris très au sérieux cette histoire d’étoile… D’autant plus que, en Palestine, à cause de la prophétie de Balaam (Nb 24,17), on s’attendait à ce que le règne du Messie soit signalé par l’apparition d’une étoile. Balaam avait dit solennellement : « je le vois, je l’observe, de Jacob monte une étoile, d’Israël jaillit un sceptre. » Parler de sceptre devant Hérode… il ne pouvait que prendre peur!

La situation n’était quand même pas banale et Hérode avait de quoi dresser l’oreille. Mettons ﷓ nous à sa place. Juif lui﷓même, il est le roi des juifs, mais reconnu comme roi par le pouvoir romain, et lui seul… Il est assez fier de son titre et férocement jaloux de tout ce qui peut lui faire de l’ombre : il ne faut pas l’oublier qu’il a fait assassiner sa femme, ses beaux﷓frères et la famille de sa femme. Il a même fait massacrer ses propres fils et, dès que quelqu’un devient un petit peu populaire, Hérode le fait tuer par jalousie. Or voilà qu’on lui rapporte une rumeur qui court dans la ville : des astrologues étrangers ont fait un long voyage jusqu’ici et il paraît qu’ils disent : nous avons vu se lever une étoile tout à fait exceptionnelle, nous savons qu’elle annonce la naissance d’un enfant roi… tout aussi exceptionnel… le vrai roi des juifs vient sûrement de naître ! On imagine un peu la fureur, l’extrême angoisse d’Hérode!

Très probablement, d’ailleurs, Matthieu nous donne déjà là un résumé de toute la vie de Jésus, car il rencontrera tout au long de sa vie l’hostilité et la colère des autorités politiques et religieuses. Et quand Matthieu nous dit : « Hérode fut pris d’inquiétude et tout Jérusalem avec lui, c’est certainement une manière bien douce de dire les choses ! Évidemment, Hérode ne va pas montrer sa rage ; il faut manœuvrer ; il a tout avantage à extorquer quelques renseignements sur cet enfant, ce rival potentiel… » Alors il se renseigne.

Il se renseigne d’abord sur le lieu. Matthieu nous dit qu’il a convoqué les chefs des prêtres et les scribes et qu’il leur a demandé où devait naître le Messie. La réponse est claire. Elle est dans la Bible. Le prophète Michée l’a dit : le Messie naîtra à Bethléem… Voilà pour le lieu. Ensuite il se renseigne sur l’âge de l’enfant, car il a déjà son idée derrière la tête pour s’en débarrasser. Il convoque les mages pour leur demander à quelle date au juste l’étoile est apparue. On ne connaît pas la réponse, mais la suite nous la fait deviner: puisque, en prenant une grande marge, Hérode fera supprimer tous les enfants de moins de deux ans. Sa décision est prise. Pour l’instant, il se fait tout miel et il dirige les mages vers Bethléem. Ils reviendront lui dire s’il y a de quoi s’inquiéter. Au passage, vous savez que c’est l’un des rares indices que nous ayons de la date de naissance exacte de Jésus ! On connaît avec certitude la date de la mort d’Hérode le Grand ﷓ 4 av. J.C. (il a vécu de 73 à 4 av. J.C.). Or il a fait tuer tous les enfants de moins de 2 ans : c’est﷓à﷓dire des enfants nés entre 6 et 4 av. J.C. Donc Jésus est vraisemblablement né entre 6 et 4, probablement en 6 ou 5… Ce n’est qu’au 6e siècle, lorsqu’on voulut ﷓ et à juste titre compter les années à partir de la naissance de Jésus (et non plus à partir de la fondation de Rome), qu’il y eut tout simplement une erreur de comptage!

Que Matthieu cite les Écritures ne nous étonne pas ; il le fait très souvent. Ce qui est étonnant, en revanche, c’est qu’en citant cette phrase, il la transforme. Quand on sait le respect des juifs pour le texte de la Bible et leur souci de ne jamais le déformer, c’est certainement voulu. Michée disait : « toi, Bethléem, le plus petit des clans de Juda, c’est de toi que sortira le Messie. » (Certains textes disent même « tu es trop petit pour mériter le nom de clan ») et Matthieu dit juste le contraire « toi, Bethléem, tu n’es pas le plus petit des clans de Juda, car de toi est sorti le roi d’Israël. » Ceci pour insister sur le fait que la naissance de l’enfant ﷓ roi donne une auréole toute nouvelle à Bethléem.

À Bethléem c’est le monde à l’envers. Et voilà bien l’étrange de notre texte. D’abord, le vrai roi des juifs n’est pas celui qu’on pense ; il y a un roi régnant à Jérusalem, mais ce n’est pas devant lui que se prosternent les mages. Ensuite, nous assistons à un surprenant face à face d’un côté, les mages qui sont des païens ; de l’autre, les autorités religieuses du peuple juif, ceux qui savent les affaires de Dieu, qui connaissent les promesses de Dieu, qui peuvent citer sans se tromper les prophéties… Eh bien, ce sont les païens qui sauront les premiers reconnaître la venue du Messie et qui sauront se mettre en route vers lui. Matthieu insiste : c’est au peuple juif que la promesse du Messie avait été faite, et tous les prophètes les y avaient préparés, mais quand le Messie est venu, ils ne l’ont pas reconnu. Au fond, ce récit de la visite des mages illustre cette phrase du prologue de l’évangile de saint Jean: « Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas accueilli. » Mieux encore, par leurs cadeaux, les mages révèlent le mystère de la personne du Messie.
En effet, l’or nous dit qu’il est roi. L’or est le métal précieux qu’on offre aux rois. L’encens nous dit qu’il est Dieu. On brûlait de l’encens devant les autels. La myrrhe enfin, avec laquelle on embaumait les morts, nous dit qu’il est homme, destiné à mourir. Nous disons souvent que « la vérité sort de la bouche des enfants »… Matthieu, lui, nous dit qu’il peut arriver que la vérité sorte de la bouche des païens! Mais au fond que peut nous apporter ce récit aujourd’hui dans ce monde devenu si difficile et inhospitalier ?

Le témoignage des marcheurs à l’étoile que furent les mages est à cet égard exemplaire. Ils étaient des hommes de recherche et d’inquiétude. Ils scrutaient le ciel pour comprendre le cours du monde et la destinée de l’homme. Mais le ciel leur livrait plus de questions qu’il ne leur offrait de réponses, tout comme le ciel de notre actualité. Ils n’ont pourtant pas voulu en rester à leur questionnement, à l’inquiétude et à la méfiance par rapport aux signes qui leur étaient donnés. Ils ont reçu le signe de l’étoile comme un appel à se mettre en chemin pour trouver la lumière. Ils ont suivi une longue route de purification, passant par l’épreuve du roi Hérode dont l’intérêt n’était ni la vérité, ni la justice, ni l’amour, ni la liberté, mais l’affirmation de son propre pouvoir et la satisfaction de lui-même. Ils se sont dépouillés progressivement de toute certitude. Ils ont renoncé à compter sur leur seule science et leurs seules ressources d’hommes. Ils ont laissé de côté leurs théories et leurs systèmes. Et c’est alors qu’ils ont pu recevoir cette grande révélation : la vérité qu’ils cherchaient si intensément est tout entière reflétée par la tendresse qui émane de l’enfant de Bethléem ; la crèche rassemble des hommes d’une infinie diversité, que tout sépare, mais à partir de cet enfant est engagée une nouvelle manière de vivre les relations entre humains, autre que celle d’Hérode, violente et dominatrice, et de celle-ci, il faut à tout prix se tenir à l’écart.

Ce nouveau sens de la vie, étranger aux rapports de force, aux luttes d’intérêt, est bien illustré par la crèche de Bethléem, lieu de tendresse, lieu de communion, lieu où tout homme est pareillement accueilli et où chacun trouve sa place. C’est là que les mages venus d’Orient ont déposé leurs valeurs et ont reçu la révélation d’un autre chemin à suivre. Le Christ est venu en ce monde pour nous enseigner le vrai chemin du vivre ensemble qui s’exprime avec tant de densité dans ces mots de vérité, de justice, de liberté et d’amour. En lui nous est offert le sens plénier de ces mots et le déploiement des attitudes qui leur correspondent. Dans la lumière de sa parole nous prenons la mesure de tout ce qui nous en sépare dans nos comportements personnels et collectifs. Pour accéder à une véritable culture de paix, il y a une conversion profonde du coeur à réaliser. C’est à elle que nous invite l’Evangile de l’Epiphanie en nous demandant de « passer par un autre chemin » pour rencontrer les hommes.

Les mages sont les premiers membres d’une nouvelle humanité, de cette humanité que nous sommes aujourd’hui. Il y va de la singularité absolue et unique de notre foi chrétienne par rapport à toutes les autres démarches religieuses, si respectables soient-elles : croire en un Dieu qui prend le risque de l’humanité ; un Dieu qui bascule de tout le poids de son amour dans la proximité sans défense au milieu de ses frères. Le Dieu des immensités célestes et des étoiles a pris un visage comme le nôtre : visage innocent de l’enfant dans le berceau de Bethléem ; visage de l’adolescent qui s’inquiète et s’interroge sur son avenir et sur les grandes questions de la destinée humaine ; visage du maître qui scrute le coeur des disciples qu’il appelle en ouvrant leur personne au mystère de son Royaume ; visage du prophète dont la parole est brûlante au point de devenir “dure à entendre”, intolérable ; visage du condamné tourné en dérision et victime du mépris des pouvoirs établis ; visage du moribond qui hurle publiquement sa souffrance dans l’abandon et la solitude de la croix ; visage du Ressuscité qui ouvre aux hommes la douceur du salut et du pardon. Le Dieu du ciel et des étoiles a pris un visage d’homme, celui que les mages ont contemplé en notre nom à tous, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité.

Oui, pour nous désormais, c’est l’humanité de nos visages qui doit devenir par grâce une manifestation, une épiphanie de la présence divine au sein du monde ! Le prodige de Bethléem est devenu la loi de l’existence chrétienne : chaque visage d’homme dans son humanité même devient une étoile. Il n’y aura plus désormais d’autre chemin pour chercher Dieu que le visage de nos frères, que l’humanité de nos frères. Terrible et merveilleux chemin que celui de cette découverte : la quête religieuse de l’homme n’aura plus désormais à chercher les signes de Dieu ou les signes des temps dans le ciel. L’homme n’a plus d’autre ciel que la plénitude de son humanité, telle que Jésus-Christ la lui a révélée. L’homme ne connaît pas d’étoile plus lumineuse que l’amour à recevoir du visage de Dieu ou du visage d’un frère. AMEN

Jehan Claude HUTCHEN
Strasbourg

Cantiques proposés :

 ARC  367 – 363 – 370 – 380
1/1 – Service des Lecteurs – SL – 1 – 04.01.2009 – Jehan Claude HUTCHEN

PREDICATIONS DU SERVICE DES LECTEURS DE L’UEPAL

Ces prédications sont fournies par le Service des Lecteurs de l’UEPAL. Ce service a été dirigé par le pasteur Georges HUFFSCHMITT de Wingen-sur-Moder puis 67290 VOLKSBERG (tél O3.88.01.55.41, courriel: g.hufschmitt@wanadoo.fr), jusqu’en 2009. A partir de cette année 2010, Mme Esther LENZ, de 67360 MPRSBRONN-LES-BAINS (tél: 03.88.90.07.02, courriel: esther.lenz@wanadoo.fr) reprend la direction. Le Secrétariat est assuré par Madame Suzanne LOEFFLER, au Secrétariat de la Paroisse de 67340 INGWILLER (tél: 03.88.89.41.54, courriel : Suzanne.Loeffler@orange.fr).