2010. 01. 1er jour de NOËL, 25.12.2010

La naissance de Jésus-Christ

25    décembre 2010

Michée 5, 1- 4

Nous avons vu déjà souvent que les prophètes emploient deux types de langage. Premier langage : les avertissements pour ceux qui se laissent aller, qui oublient l’Alliance avec Dieu et ses exigences. Ils sont en train de fabriquer eux-mêmes leur propre malheur… Deuxième langage : les encouragements pour ceux qui essaient de rester fidèles, mais qui risquent bien de se décourager à la longue. Et quand on n’en peut plus, c’est aussi difficile d’écouter les encouragements que d’accepter les reproches.

Le texte que nous avons sous les yeux est bien évidemment de la deuxième veine, celle des encouragements. Où trouve-t-on la preuve qu’on est en période difficile et qu’on est bien près de se décourager ? Quand le prophète écrit « Après un temps de délaissement », il est évident qu’il fait allusion à la période qu’on est en train de vivre. Très certainement le peuple se sent délaissé par Dieu et il en vient à dire : toutes les belles promesses qu’on nous a répétées depuis des siècles, c’était du vent. Le roi idéal qu’on nous a promis, il n’est pas encore né ! Il ne verra jamais le jour. De quelle période historique s’agit-il ? On ne le sait pas trop : le prophète Michée a vécu au huitième siècle dans la région de Jérusalem, à l’époque où l’empire assyrien était très inquiétant, et les rois de l’époque ne ressemblaient guère au portrait idéal du roi Messie qu’on attendait. On pouvait bien se croire délaissés.

Depuis l’exil à Babylone, le trône de Jérusalem n’existe plus, David n’a plus de descendant ; on vit presque sans discontinuer sous domination étrangère. C’est bien à ce moment-là, justement, qu’on a le plus besoin de se rappeler les promesses concernant le Messie.

Notre prophète répond : vous vous croyez délaissés, mais pourtant, soyez bien certains que le projet de Dieu se réalisera. Le Messie naîtra : « Après un temps de délaissement, viendra un jour où enfantera celle qui doit enfanter cela signifie que cela doit arriver. Ce n’est pas une nécessité, c’est une certitude. Simplement parce que Dieu l’a promis. “ Celle qui doit enfanter ”, cela veut dire : celle qui est prévue pour cela dans le plan de Dieu. Et alors, il faut comprendre que le temps de délaissement apparent qu’on est en train de vivre n’est qu’un moment dans le déroulement de l’histoire humaine.

Pourquoi cette insistance sur Bethléem ? “ Toi, Bethléem Ephrata, le plus petit des clans de Juda, c’est de toi que je ferai sortir celui qui doit gouverner Israël. ” Il y a deux raisons. Premièrement, on sait que le Messie doit être de la descendance de David ; or c’est à Bethléem que le prophète Samuel était venu, sur ordre de Dieu, choisir un roi parmi les huit fils de Jessé… Donc, pour des oreilles habituées, le seul nom de Bethléem évoquait la promesse du Messie.

Deuxièmement, le contraste est voulu entre la grande et orgueilleuse Jérusalem et l’humble bourgade de Bethléem “ plus petit des clans de Juda ”. Un prophète ne peut pas manquer d’épingler cela. C’est dans la petitesse, la faiblesse que la puissance de Dieu se manifeste. Selon sa méthode habituelle, Dieu choisit les petits pour faire de grandes choses. Et ce n’est sûrement pas par hasard que le prophète accole le nom, désormais, c’est Bethléem tout entière qui sera appelée “ féconde ”.

Cette prophétie de Michée sur la naissance du Messie à Bethléem était certainement bien connue du peuple juif. La preuve en est que, dans l’épisode des Mages. Matthieu nous rapporte que les scribes ont cité au roi Hérode la phrase de Michée pour guider la route des Mages vers Bethléem. Mais qui s’est souvenu ensuite que Jésus était bien né à Bethléem ?

Pour beaucoup de ses contemporains, il était le Nazaréen ; pour ceux-là, il était impensable que ce Galiléen soit le Messie. On en a la preuve dans l’évangile de Jean par exemple : quand on a commencé à se poser sérieusement des questions au sujet de Jésus, quand certains ont commencé à dire, il est peut-être le Christ », on répondait : « Mais voyons… Le Christ ne peut pas venir de Galilée, Michée l’a bien dit… »Voici ce passage : « Parmi les gens de la foule qui avaient écouté les paroles de Jésus, les uns disaient : vraiment, voici le Prophète ! D’autres disaient : le Christ, c’est lui. Mais d’autres encore disaient : le Christ pourrait-il venir de Galilée ? L’Écriture ne dit-elle pas qu’il sera de la lignée de David et qu’il viendra de Bethléem, la petite citée dont David était originaire ? C’est ainsi que la foule se divisa à son sujet » (Jn 7, 40-43).

Pour le reste, Michée reprend les termes de la fameuse promesse, toujours la même, répétée au long des siècles depuis David, à savoir qu’un roi naîtra dans la descendance de David. Tel un berger, il fera régner la justice et la paix, et pas seulement sur Jérusalem. Le prophète insiste comme à plaisir sur l’extension de la paix promise : c’est l’humanité tout entière qui est concernée dans l’espace et dans le temps. Le dessein bienveillant de Dieu est vraiment pour tous les hommes de tous les temps !

Et voilà qu’en cette fête de Noël, nous assistons à une éclipse. L’empereur et ses cohortes ne forment plus qu’un cortège d’ombres dérisoires. Une troupe céleste vient de dessiner un nouvel espace de gloire. Des miséreux sont enveloppés de lumière. Un enfant déclenche des chants de triomphe. Sa gloire est une litière. Les parures de son palais sont de paille et de bois. Un nouvel ordre s’instaure : « Gloire à Dieu et paix aux hommes. » Subversion de l’ordre ancien : renoncez à la gloire, rendez gloire à l’Unique, au Dieu du ciel et vous vivrez en paix sur la terre. Cessez de vous prendre pour de petits dieux, vivez dans la fraternité et vous connaîtrez le Dieu qui vous aime. Face aux grands de ce monde, Jésus et ses vagabonds de parents ne font pas le poids. Mais à Noël, Dieu inverse les proportions. Il fait peser sa gloire de tout son poids dans la fragilité d’un nouveau-né ; il dit sa parole définitive dans un enfant qui ne sait pas encore parler et qui plus tard apprendra une langue qu’on ne parle plus aujourd’hui que dans quelques villages reculés du Moyen-Orient. Jésus, qui n’a jamais écrit que sur le sable, qui n’a dicté aucun testament et dont nous ne connaissons avec certitude que quelques paroles, fut reconnu comme le Verbe de Dieu, la Parole primordiale incarnée en notre humanité.

Jésus le Christ est le dernier mot de Dieu, sa plus haute révélation offerte dans la nudité d’un enfant, la Parole jetée en notre monde, réchauffée, recréée depuis deux mille ans par des hommes, enfouie dans le secret des cœurs, mais aussi piétinée, rejetée par les passants. Parole livrée aux circonstances, aux jugements des hommes, aux mains des bourreaux, aux commentaires des sages et des savants. Après tout, ne faut-il pas que le grain tombe en terre pour porter du fruit ?

Noël revient chaque année pour relancer cette croissance et permettre que se noue en chacun de nous ce dialogue essentiel avec la Parole. Car en chacun de nous, au-delà du bruit ou du vide ou de l’angoisse qui l’habitent, il y a une parole silencieuse qui demande à être articulée, une parole informe qui demande à être formulée, une parole première qui attend que lui soit ouvert l’espace de nos solitudes et que se réconcilie avec elle ce qui en nous est naissance et promesse. Dans notre société où les corps bavardent, gesticulent et s’exhibent selon le code des apparences et s’étourdissent dans les images publicitaires, les chrétiens se reconnaissent peut-être à ceci : leurs regards, leurs gestes et leurs paroles naissent du dedans, des profondeurs d’une parole primordiale qui donne forme à leur comportement. Ils ne prêchent pas l’invisible, mais par eux l’invisible devient visible. Ils ne discourent pas sur la paix, le partage et la tendresse, mais la Parole qui les habite se fait main tendue, main ouverte et caresse. Joyeux Noël !

Jehan Claude HUTCHEN, pasteur

Cantiques :

NCTC 172-170-176-179

¼ – Service des Lecteurs – SL – 54 – 25.12.2010 – Jehan Claude HUTCHEN