2005. 07 : Jeudi de l’ASCENSION

L’Ascension de notre Seigneur Jésus Christ

Jeudi le 05 mai 2005

1 Rois 8, 22-28

(Série de Prédication III (Predigtreihe III) : nouveaux évangiles)

Au retour de l’exil à Babylone, une question était sur toutes les lèvres : quelle attitude faut il adopter envers les nombreux étrangers installés chez nous ? Peut on admettre dans nos synagogues, tous ceux qui le désirent ?   Mais d’abord pourquoi en était on arrivé là ?

Lorsque Nabuchodonosor, roi de Babylone, a conquis Jérusalem en 586 av. J.C., il a fait ce qu’il faisait dans tous les pays qui tombaient sous sa coupe : à toutes les horreurs de la guerre, qu’on devine trop bien, il a ajouté le déplacement des populations. Emmenant en exil à Babylone toutes les forces vives de la population juive, il l’a remplacée par d’autres populations vaincues et déplacées, elles aussi. Moyennant quoi, lorsque les exilés (leurs descendants plutôt) sont rentrés au pays, cinquante ans plus tard, ils ont trouvé Jérusalem habitée par des étrangers pour une bonne part, et qui dit étranger pour un juif dit païen.

Ceux qui rentraient, pleins de ferveur, voulaient de toutes leurs forces rebâtir la ville et le Temple, et restaurer une pratique religieuse sans faille. Ils trouvaient bien tièdes les habitants du lieu : certaines familles juives qui avaient réussi à échapper à l’exil s’étaient mélangées aux populations déplacées ; certains juifs avaient épousé des étrangères. Ce faisant, ils avaient inévitablement pris de la distance par rapport à la religion de leurs Pères. C’est à ce moment  là qu’est née une polémique relative à l’accueil des étrangers.

Deux discours s’opposaient : le premier, pur et dur, soutenait qu’il faut à tout prix fermer nos synagogues aux étrangers, car la pureté de notre foi et de notre vocation est à ce prix. Si nous tolérons des accommodements avec d’autres manières de vivre, nous ne sommes pas fidèles à la religion de nos pères. Ceux qui ont épousé des femmes étrangères doivent les répudier, sous peine d’être excommuniés ; ils ne seront plus admis dans les synagogues. Ce furent les décisions prises par les deux gouverneurs Esdras et Néhémie.

L’autre discours prônait au contraire l’ouverture, à certaines conditions bien sûr. Quand des étrangers sont prêts à pratiquer le sabbat et à respecter nos coutumes, ce serait folie de leur fermer nos portes : folie politique d’abord, car une communauté fermée sur elle-même ne survivra pas longtemps ; plus grave, c’est une faute religieuse : Dieu n’est  il pas le Dieu de tous ?

Des textes admirables illustrent ce courant de pensée qui exprimait enfin de manière très explicite l’universalisme du projet de Dieu.
On les trouve particulièrement dans les livres d’Israël et de Zacharie ; par ailleurs deux petits livres, Jonas et Ruth, semblent bien avoir été composés tout exprès dans ce sens. Commençons par Israël “Les fils de l’étranger qui s’attachent au Seigneur pour assurer ses offices, pour aimer le nom du Seigneur, pour être à lui comme serviteurs, tous ceux qui gardent le sabbat sans le déshonorer et qui se tiennent dans mon alliance, je les ferai venir à ma sainte montagne, je les ferai jubiler dans la Maison où l’on me prie ; leurs holocaustes et leurs sacrifices seront en faveur sur mon autel, car ma Maison sera appelée : “Maison de prière pour tous les peuples ».” (Es 56, 6 7).

Et voici le texte de Zacharie : “Ainsi parle le Seigneur, le tout-puissant : oui, on verra encore affluer des peuples, et des habitants des grandes cités. Et les gens de l’une s’en iront dire à ceux de l’autre : “Allons, partons apaiser le Seigneur, rechercher le Seigneur, le tout-puissant ; j’y vais, moi aussi.” Des peuples nombreux et des nations puissantes viendront à Jérusalem rechercher le Seigneur, le tout-puissant et apaiser le Seigneur. Ainsi parle le Seigneur, le tout-puissant : En ces jours  là dix hommes de toutes les langues que parlent les nations s’accrocheront à un juif par le pan de son vêtement en déclarant : “nous voulons aller avec vous, car nous l’avons appris : « Dieu est avec vous ».” (Za 8, 20 23).

Quant au livre de Jonas, qui est une fable, il raconte l’histoire d’un petit prophète à qui Dieu avait demandé d’aller inviter les habitants de Ninive à se convertir. Or les ninivites étaient les pires ennemis d’Israël ; on leur prêtait tous les vices. On ne voyait donc pas pourquoi Dieu s’occuperait d’eux pour autre chose que pour les châtier comme ils le méritaient. Alors, quand Dieu avait dit à Jonas d’aller convertir Ninive, le prophète avait fait la sourde oreille : il ne souhaitait pas que les Ninivites se convertissent ! Mais Dieu s’était montré très insistant, au point que Jonas avait dû se rendre à l’évidence : la tendresse de Dieu n’est pas réservée à un peuple. La leçon qu’il adressait à Jonas  et à travers lui à Israël   pourrait se traduire ainsi : “tu n’es pas mon prophète, si tu n’aimes pas comme moi, tous les hommes ! “

Le livre de Ruth, lui aussi, à sa manière, défendait la thèse de l’ouverture aux étrangers. Pour cela, son auteur rappelait une vieille histoire : celle d’une jeune femme étrangère, veuve, née dans un peuple ennemi, une Moabite. Or cette païenne avait su faire preuve d’une loyauté exemplaire ; installée à Bethléem, avec sa belle-mère Noémie, elle avait adopté la religion et les coutumes d’Israël. Eh bien, que s’était  il passé ? Dieu avait permis qu’elle devienne (par son mariage avec Booz) l’arrière-grand-père de David : preuve que Dieu, lui, ouvrait la porte aux étrangers bien disposés.

Notre lecture de cette fête de l’ascension s’inscrit dans ce courant. L’auteur envisage le cas d’un étranger qui viendrait prier au Temple de Jérusalem : s’il le fait, c’est qu’il reconnaît la grandeur de Dieu, qu’il a entendu parler de lui. Certainement, Dieu ne repoussera pas ses prières : sous-entendu, “mes frères, ne fermez pas vos portes.” Cette découverte vient couronner tout le chemin de la pensée biblique sur le Dieu unique ; et à y bien réfléchir, il apparaît comme une évidence que Dieu est depuis toujours le Dieu de toute l’humanité.

C’est pour cela qu’un auteur bien plus tardif n’hésite pas à faire parler le roi Salomon lui-même, celui qui a bâti le premier Temple de Jérusalem : sans le savoir, il venait de construire la future “Maison de prière pour tous les peuples”. Cette fête aujourd’hui nous ouvre à l’universalité du salut offert par Jésus-Christ à tous les hommes.

Bien sûr, ce n’est pas parce que nous avons été baptisés et confirmés dans la force de l’Esprit que nous aurions perdu la mesure de notre inachèvement et le sentiment de nos lourdeurs. Nous traînons encore les pieds, mais au fond de nos découragements, l’Esprit vibre d’une sainte impatience, nous faisant désirer la délivrance, dans l’espérance de parvenir à la gracieuse légèreté des enfants de Dieu, d’atteindre notre pleine stature de créatures et de partager l’héritage du Christ.

Quand l’Esprit s’empare des êtres fragiles que nous sommes, il nous donne une souveraineté qui n’est pas celle de la puissance, mais celle de la vérité intérieure, celle d’une liberté qui n’a pas besoin de se justifier parce qu’elle s’impose par un simple regard, une terrible douceur, une joie insubmersible.

Jésus – Christ est l’universel concret offrant son salut à tous, son départ apparent crée la communauté universelle de ceux qui lui font confiance. Désormais le trône est vacant,

Il nous faut respecter l’absence de Dieu car elle creuse notre désir de le chercher. Depuis le matin de Pâques, elle taraude le cœur des croyants et libère en eux les sources de la créativité, les puissances neuves de la vie et la force d’aimer. Jésus a quitté le monde pour nous mettre au monde. Ne restons pas là à regarder le ciel.

Le ciel est vide, mais nous n’en sommes plus effrayés car désormais nos paroles et nos pensées, nos amours et nos souffrances, nos solidarités et nos luttes, et même nos silences sont habités d’une présence qu’il nous faut réapprendre à chercher, à reconnaître, à nommer à vivre et à fêter AMEN

Jehan Claude HUTCHEN, pasteur
 

Plus nous nous risquerons à vivre l’aventure humaine, à transfigurer le monde où nous avons été placés, à inventer l’amour dans la rudesse des jours, plus grandira en nous l’assurance que rien, jamais, ne pourra nous séparer de Celui qui a dit: « Je suis avec vous jusqu’à la fin des temps. »

De notre rêve d’une terre nouvelle, l’échelle s’est effacée, mais pour baliser l’invisible présence de celui qui est venu habiter chez nous. Et pour nous hisser à hauteur du rêve de Dieu, il y aura toujours des anges qui prendront forme d’événements et de signes, de mains ouvertes ou tendues, de sourires et de larmes, de mots nouveaux et de paroles vives.