2006. 04 : dim JUBILATE, 3e après Pâques

La nouvelle création

Dimanche 7 mai 2006

2 Corinthiens 4/ 16-18


(Série de Prédication IV (Predigtreihe IV) : nouvelles  épîtres )

L’homme extérieur qui se détruit – l’homme intérieur qui se renouvelle. Un moment d’affliction – une gloire éternelle. Les choses visibles qui sont momentanées – les choses invisibles qui sont éternelles. Ce discours chrétien que tient l’apôtre Paul dans le texte de ce matin a souvent été détourné de son but. Il a été utilisé pour appeler à la résignation des hommes ou des peuples qui vivaient dans la souffrance, et souvent dans la souffrance provoquée par l’injustice et l’oppression de la part d’autres hommes ou groupes d’hommes. En fait d’espérance chrétienne, on les exhortait à rester misérables dans ce monde, à patienter en attendant un monde meilleur, après leur vie sur terre. De nos jours, un tel message est devenu plutôt rare, heureusement ; mais il ne faut pas s’étonner s’il a écarté de l’Eglise ceux qui y cherchaient un réconfort…

Le message de l’Ecriture, tel que l’apôtre nous le redonne aujourd’hui, n’est pas pour l’au-delà ! Il est pour ici et maintenant. La réalité de Pâques est déjà pour nous ; la « nouvelle création », nous en faisons déjà partie. Mais là, nous sommes confrontés à cette tension parfois insupportable entre le « déjà » et le « pas encore », entre ce que nous croyons et ce que nous voyons. Parce que la nouvelle création est là à l’état de semence cachée ; elle est en période de gestation, un peu comme l’enfant dans le ventre de sa mère, qui existe déjà, mais qui n’est encore fini, accompli. L’apôtre nous invite à voir plus loin, à voir avec les yeux de la foi l’invisible qui pourtant est réalité.

En affirmant l’espérance chrétienne, l’apôtre Paul est loin de faire de la théologie abstraite ; ce qu’il dit de l’éternité le concerne personnellement, et notamment dans son ministère d’apôtre. Il faut tenir compte du contexte des quelques lignes que nous avons lues.  Dans sa deuxième Epître aux Corinthiens, Paul donne un témoignage très personnel et défend son apostolat. Plusieurs fois, dans ces pages, il parle de courage, et le courage dans toutes les épreuves qu’il traverse lui vient de la perspective de gloire qu’il entrevoit. Autrement dit : le but éclaire le chemin et donne la force d’avancer. Ce qu’il essaie de faire comprendre aux Corinthiens, c’est que la faiblesse humaine qui l’habite est tout à fait compatible avec le message de puissance qu’il est appelé à transmettre.

Les chrétiens connaissent la bonne nouvelle, ils ont pour mission de la prêcher, de vivre d’après cette bonne nouvelle, mais leur témoignage n’est pas toujours victorieux et ne connaît pas toujours des triomphes éclatants. Car les croyants, même les apôtres, restent marqués par les limites humaines, soumis aux circonstances, aux malheurs de la vie terrestre. Ils sont souvent des serviteurs maladroits, voire incompétents aux yeux des hommes, parce que le résultat se fait attendre. Est-ce que cela veut dire que leur message n’est pas vrai ? – Attention : dans ce monde, il y a les apparences, et puis la réalité profonde des choses.

Ici-bas rien n’est parfait, le bien et le mal sont entremêlés. Les adultes savent que le monde tel qu’il est vu par les histoires et contes que l’on raconte aux enfants n’existe pas. Dans les contes, les personnages bons sont aussi beaux, forts et intelligents. Les méchants, ce sont les dragons et les sorcières. Mais le monde réel est différent, plein de mystères. L’homme fort peut être injuste et méchant. La femme à l’apparence d’une fée peut avoir un caractère de sorcière. La plupart de gens ont très bien compris cela. Mais en ce qui concerne la foi chrétienne, beaucoup pensent que là, il devrait en être autrement : l’Eglise devrait être parfaite, chaque chrétien devrait être un modèle, mener une vie exemplaire en tous points. Le chrétien, et à plus forte raison, le pasteur et les responsables de l’Eglise devraient toujours faire ce qui est juste, trouver la bonne réponse, la solution satisfaisante pour tout le monde. Certains sont aussi exigeants parce qu’ainsi ils sont sûrs d’avoir toujours une raison pour tourner le dos à l’Eglise ; ils trouveront toujours quelque chose à critiquer et donc un prétexte pour rester chez eux. Mais il y a aussi d’autres personnes qui souffrent vraiment à cause des erreurs et du mal parmi les chrétiens. Et ceux-ci se demandent pourquoi Dieu n’agit pas pour qu’il en soit différemment. Pourquoi Dieu ne rend-il pas l’Eglise meilleure pour que personne ne puisse lui faire des reproches et être scandalisé, mais qu’au contraire tous soient convaincus de la vérité de son message ?

L’apôtre Paul a été lui aussi confronté à ces problèmes. Certains chrétiens de la ville de Corinthe étaient sans doute choqués par le décalage entre le message que Paul proclamait et la personnalité de l’apôtre. Paul prêchait que Dieu donne une vie nouvelle et lui-même ne portait pas extérieurement les signes de la puissance de Dieu. Physiquement, il était plutôt faible, sa santé n’était pas très bonne et il était attaqué de toute part. Comment un tel homme peut-il être porteur de la révélation de Dieu, alors que des faux docteurs affirmaient qu’il est possible de mener une vie de perfection sur cette terre par ses propres forces ?

Dans sa réponse, parce qu’il est attaqué personnellement, Paul prend sa propre personne comme exemple pour montrer les rapports entre la foi et les réalités dans lesquelles nous vivons. Pour lui, connaître la vie avec le ressuscité ne signifie pas forcément que tout ira bien, que toutes les difficultés vont disparaître  et que Dieu va supprimer tous les problèmes de notre existence. Les tribulations qu’il rencontre au cours de ses voyages missionnaires et dont il parle abondamment dans sa lettre sont le signe qu’il participe à la destinée du Christ lui-même, puisque celui-ci, bien que Fils de Dieu, a connu les souffrances et la mort. Et Paul  utilise alors une image très juste pour décrire la grandeur et la fragilité de son ministère ; il écrit (verset 7) : « Nous portons ce trésor dans des vases de terre. » Ce n’est pas l’emballage qui est le plus important, mais le contenu !

Son argumentation se tient parfaitement : Dieu permet que le trésor de l’Evangile soit conservé et transporté dans des vases de terre, pour que tout le monde reconnaisse que c’est la puissance de Dieu qui est à l’œuvre et non la puissance des hommes. Il ne faut pas que les hommes croient que le succès de l’Evangile et l’avenir de l’Eglise dépendent uniquement de leur savoir-faire et de leur force. C’est justement la grande déclaration, le centre de l’Evangile : Dieu se manifeste et agit au milieu d’hommes faibles et par eux. C’est lui qui veut transformer le monde ; tous les efforts humains n’y suffiraient pas. Notre faiblesse doit nous rappeler chaque jour en qui nous devons mettre notre confiance. Nous devons apprendre à regarder à Dieu, et c’est lui qui nous donne les forces nécessaires.

Paul avait une santé fragile, et pourtant c’est lui qui a évangélisé une grande partie du monde méditerranéen. Dieu lui avait dit : « Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse ». Et il a pu écrire : « Ce qui est faible dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre ce qui est fort… afin que personne ne puisse s’enorgueillir devant Dieu ». Ce témoignage du grand théologien et missionnaire a effectivement encouragé une foule de croyants à travers les siècles. L’assurance que le Seigneur est à l’œuvre à travers les faiblesses des hommes permet aux chrétiens de ne pas désespérer ; là où d’autres ne voient  plus aucune issue, ils peuvent continuer à espérer et à travailler, car lorsque l’homme est au bout du rouleau Dieu, lui, est loin d’être au bout de ses possibilités.

Rappelons-nous la vie de Martin Luther. Il était moine, il cherchait la faveur de Dieu par une vie de prière, de jeûne et de méditation. Mais c’est le jour où il a compris qu’il ne pouvait rien faire pour être juste devant Dieu, que celui-ci a pu l’employer pour en faire le réformateur auquel nous devons la création de nos Eglises protestantes. Pensons aussi aux Eglises persécutées dans certains pays ; des lieux de culte fermés, la vie des croyants pleine de restrictions, mais l’Eglise continue à exister, petite numériquement, modeste extérieurement, mais intérieurement pleine de vie. Il s’agit de la même expérience que celle de Paul ; pour lui, les difficultés étaient énormes, il y a sans doute laissé sa vie, mais rien ni personne n’a pu arrêter la progression de l’Evangile.

Paul nous atteste l’espérance d’une gloire éternelle ; en attendant, patience et courage ! La nouvelle création a bel et bien commencé et des signes en sont là. Où sont-ils, ces signes ? – Dans la vie des disciples comme dans celle de l’apôtre, lorsqu’ils confessent : « Nous sommes pressés de toute manière, mais non écrasés ; désemparés, mais non désespérés ; persécutés, main non abandonnés ; abattus, mais non perdus ; nous portons toujours avec nous dans notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus se manifeste dans notre corps ».

L’apôtre parle d’un renouvellement qui se fait « de jour en jour ». Nous demandons « notre pain de ce jour ». L’amour de Dieu, aussi, est quotidien. Chaque jour il nous est redonné pour des forces nouvelles, pour mieux aimer, pour mieux tenir bon, pour mieux avancer sur la route que le Seigneur nous indique. Dieu n’est pas seulement le Dieu des grandes occasions, des grandes conversions, des grandes émotions. Il est avant tout le compagnon du cheminement de chaque jour… Des croyants qui marchent avec le Seigneur, les pieds sur terre,  en ayant devant eux un but, une vision de l’éternité glorieuse, sont des témoignages vivants de la réalité présente de la nouvelle création qui a commencé à Pâques. Amen.

Cantiques :              ARC             NCTC
                              66                   66
                            313
                            319
                            475                 212
                            640                 281

Denis Klein, pasteur à Offwiller.