2006. 07 : Jeudi de ‘ASCENSION

L’Ascension de notre Seigneur Jésus-Christ

Jeudi 25 mai 2006

Apocalypse 1/1-8


(Série de Prédication IV (Predigtreihe IV) : nouvelles  épîtres )

“Que la grâce et la paix vous soient données…” Voilà le grand souhait de Jean pour les Églises d’Asie Mineure auxquelles il s’adresse. C’est tout simplement celui de voir se réaliser enfin le projet de Dieu: “Paix sur la terre aux hommes parce que Dieu les aime” chantaient les voix célestes de la nuit de Noël. Suit l’affirmation que le dessein de Dieu pour l’humanité est accompli en Jésus Christ: “Que la grâce et la paix vous soient données, de la part de Jésus Christ…”

La difficulté de ce texte vient de l’extrême densité de ses phrases qui évoquent tout le mystère du Christ : ”Jésus Christ, le témoin fidèle, le premier né d’entre les morts, le souverain des rois de la terre. ” Chaque mot, chaque expression en dit un aspect.

“Jésus”, c’est le nom d’un simple homme de Nazareth, mais il veut déjà dire “Dieu sauve”  “Christ”, c’est à dire Messie, rempli de l’Esprit de Dieu   “Le témoin fidèle” fait écho à la déclaration de Jésus à Pilate : “Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité”.   “Le premier né d’entre les morts” résume toute la foi des premiers chrétiens: cet homme, mortel comme les autres, Dieu l’a ressuscité et désormais il entraîne derrière lui tous ses frères, lui qui est le premier né d’une longue lignée  “Le souverain des rois de la terre”, nouvelle affirmation qu’il est le Messie et qu’il a mis tous ses ennemis sous ses pieds, comme dit le psaume 109.

Au passage, on l’a remarqué, l’énumération comporte trois qualificatifs, “témoin fidèle, premier né d’entre les morts, souverain des rois de la terre”: dans l’Apocalypse, les nombres sont toujours symboliques; les expressions ternaires étant réservées à Dieu, les utiliser pour Jésus, c’est dire qu’il est l’égal de Dieu, qu’il est Dieu.

La deuxième phrase reprend et amplifie la première: “à lui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, qui a fait de nous le royaume et les prêtres de Dieu son Père, à lui gloire et puissance pour les siècles des siècles. Amen.” Là encore, nous retrouvons les énoncés traditionnels de la foi: l’amour du Christ pour l’humanité, sa vie donnée (son sang versé) pour nous libérer du mal.  

Il a fait de nous le royaume et les prêtres de Dieu son Père”; enfin en Jésus Christ s’est réalisée la lointaine promesse du livre de l’Exode: “Vous serez pour moi un royaume de prêtres et une nation sainte” (Ex 19, 6).

Ces deux paragraphes sont en forme de souhait: au début, “Que la grâce et la paix vous soient données…” et à la fin “à lui gloire et puissance”: pour nous la grâce et la paix, pour lui la gloire et la puissance. On peut évidemment se demander pourquoi ces propositions sont au subjonctif. Pour la deuxième, c’est évident: Jean nous invite à rendre gloire à Dieu, mais encore faut il que nous le fassions. Mais pour la première, c’est plus surprenant: “Que la grâce et la paix vous soient données…” Dieu pourrait-il ne pas nous donner grâce et paix ?

Nous rencontrons souvent de tels subjonctifs dans la liturgie (par exemple: “Que Dieu vous bénisse”). Ils veulent toujours dire la même chose: comme dans tout subjonctif, il y a un souhait, quelque chose comme “pourvu que”; mais ici, le souhait ne concerne pas l’œuvre de Dieu, car elle, elle est certaine. Dieu nous donne sans cesse sa grâce, sa paix, sa bénédiction. Le souhait nous concerne, nous: pourvu que

nous soyons perméables à ce rayonnement permanent de la grâce… “Que la grâce et la paix vous soient données…”, cela veut dire que grâce et paix nous sont offertes, il ne nous reste qu’à accepter le cadeau qui nous est fait.

“Voici qu’il vient parmi les nuées”. On reconnaît ici le Fils d’homme dont parlait Daniel. Ce Fils d’homme s’avance vers le trône de Dieu pour y recevoir la royauté universelle. Voilà la première facette de la royauté du Christ, la facette triomphe, si l’on peut dire. Et voici la deuxième, la facette souffrance: “Tous les hommes le verront, même ceux qui l’ont transpercé; et en le voyant, toutes les tribus de la terre se lamenteront.” C’est une allusion à la croix du Christ et au coup de lance du soldat.
Jean, dans l’évangile d’abord, dans l’Apocalypse ensuite, fait référence à une parole du prophète Zacharie: “Ce jour là, je répandrai sur la maison de David et sur l’habitant de Jérusalem un esprit de bonne volonté et de supplication. Alors ils regarderont vers moi, celui qu’ils ont transpercé. Ils célébreront le deuil pour lui, comme pour le fils unique. Ils le pleureront amèrement comme on pleure un premier né… Ce jour là, une source jaillira pour la maison de David et les habitants de Jérusalem, en remède au péché et à la souillure” (Za 12,10; 13,1). En parlant d’un “esprit de bonne volonté et de supplication”, Zacharie pense à une transformation du cœur de l’homme: en levant les yeux vers celui qu’ils ont transpercé, les hommes verront un innocent exécuté injustement, sous un fallacieux prétexte, uniquement parce qu’il dérangeait les autorités religieuses du moment !… Et en le voyant, tout d’un coup, leurs yeux et leurs cœurs s’ouvriront.

Ézéchiel aussi prévoyait cette transformation du cœur de l’homme quand il annonçait le remplacement des cœurs de pierre par des cœurs de chair. Le cœur de pierre, c’est celui qui s’entête à rester dur; le cœur de chair, c’est le cœur compatissant, celui qui “se lamente” (comme dit notre texte) devant les ravages de la haine qui pousse à torturer et tuer un innocent, en croyant le faire au nom de Dieu.

La royauté du Christ sera définitive quand enfin le cœur de tous les hommes sera transformé: Jésus avait annoncé le don de sa vie “pour la multitude”. L’Apocalypse insiste très fort, semble-t-il, sur cet aspect: “Voici qu’il vient parmi les nuées, et tous les hommes le verront, même ceux qui l’ont transpercé; et en le voyant, toutes les tribus de la terre se lamenteront. Oui, vraiment!  Amen !”

Seule cette ouverture de notre cœur nous fera entrer dans la grâce et la paix prévues pour nous par Dieu de toute éternité. “Venez les bénis de mon Père, recevez en partage le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde”

Jésus s’est retiré dans un impénétrable silence. Celui qu’autrefois on sollicitait comme guide ou comme refuge, celui vers qui on pouvait lancer des cris de révolte semble s’être dérobé à tout jamais. Mais nous ne céderons pas à la tentation. Car si l’Église sans cesse relance l’annonce de l’infaillible présence de Dieu à notre monde, ce n’est pas comme une évidence qu’il suffirait de cueillir, mais comme un avènement à accueillir. Certes, la foi chrétienne le proclame avec assurance, Dieu habite l’histoire humaine. Et lui même est venu l’attester en prenant chair de notre chair. Son Verbe a brisé le mutisme du ciel en prenant voix humaine. Mais ce Dieu là ne s’offre qu’à celui qui se tient aux aguets et qui se met à l’écoute: « Veillez, dit Jésus, car vous ne savez pas quand le maître de la maison reviendra. »
Jésus a quitté le monde pour nous mettre au monde. Ne restons pas là à regarder le ciel.

Le ciel est vide, mais nous n’en sommes plus effrayés car désormais nos paroles et nos pensées, nos amours et nos souffrances, nos solidarités et nos luttes, et même nos silences sont habités d’une présence qu’il nous faut réapprendre à chercher, à reconnaître, à nommer.
Plus nous nous risquerons à vivre l’aventure humaine, à transfigurer le monde où nous avons été placés, à inventer l’amour dans la rudesse des jours, plus grandira en nous l’assurance que rien, jamais, ne pourra nous séparer de Celui qui a dit: « Je suis avec vous jusqu’à  la fin des temps.  AMEN

            Jehan Claude HUTCHEN, pasteur