2007. 01 : dim SEPTUAGESIME

Mérite et Grâce

Dimanche 4 Février 2007

Matthieu 9, 9﷓13

(Série de Prédication V (Predigtreihe V) : liste complémentaire I)

I.    Quand les évangélistes présentent la liste des apôtres,
Matthieu figure toujours au septième ou au huitième rang. De sa vie, on ne connaît rien d’autre que le récit de son appel. Et, curieusement, ce récit est rédigé ici, dans l’évangile dit « selon Matthieu », comme s’il s’agissait d’un personnage encore inconnu (le texte dit seulement « un homme du nom de Matthieu »). On sait bien que l’expression « selon tel ou tel, selon Matthieu, Marc ou Luc », justement, ne garantit pas la personne de l’auteur. Si l’évangile vient effectivement de l’apôtre Matthieu lui﷓même, on voit dans notre texte une volonté de détachement et de discrétion ; si l’évangéliste est quelqu’un d’autre ﷓ un disciple lointain, par exemple ﷓ on comprend mieux la distance ainsi établie. D’ailleurs Luc et Marc racontent le même épisode en donnant au collecteur d’impôts le nom de Lévi, et non de Matthieu. De toute façon, la pointe du récit n’est pas dans la personnalité de l’intéressé, mais dans l’enseignement que Jésus va délivrer à cette occasion.
II.    L’Homme d’Abord !!
Sortant de Capharnaüm, Jésus passe devant un bureau de douanes ou d’octroi. Matthieu y exerce la fonction de percepteur. Le personnel subalterne chargé de percevoir les taxes au profit de la puissance occupante (les Romains) était en général recruté dans la population locale. Collaborant avec l’armée romaine, les employés étaient en contact permanent avec des païens déclarés impurs selon la Loi juive (on les soupçonnait aussi d’être financièrement corrompus). Tout cela les mettait au ban de la société juive : les mots « publicain » et « pécheur » étaient devenus synonymes ; on les trouve très souvent associés dans le texte des évangiles. Or, c’est l’un d’eux que Jésus appelle. Pire, il aggrave son cas en se laissant inviter par lui et ses collaborateurs. Manger avec les pécheurs, au risque de manquer aux règles liturgiques et alimentaires, était pour les juifs religieux (dont les pharisiens), un grave manquement à la Loi. La réaction ne se fait pas attendre: les pharisiens interviennent auprès des apôtres pour dire leur réprobation devant cette conduite scandaleuse : « pourquoi votre maître mange﷓t﷓il avec les publicains et les pécheurs ? « Jésus en personne répond à leurs reproches.
Pour la deuxième fois dans ce même chapitre, il prend de la distance par rapport aux autorités religieuses. Dans l’épisode précédent, la guérison d’un paralysé, il a osé dire à celui﷓ci : « confiance, mon fils, tes péchés sont pardonnés » et il s’est attiré de la part des scribes le pire reproche à l’époque, celui de blasphème. Ici aussi, il est question de péchés et de pécheurs et Jésus, à nouveau, ose prendre une position qui doit paraître bien prétentieuse à ses interlocuteurs ; il se pose en enseignant : « allez apprendre… »
En réalité, la réponse de Jésus ne se situe pas au niveau de l’autorité, du pouvoir sur les questions religieuses, mais au niveau de la douceur et de la miséricorde. Il voudrait emmener les scribes et les pharisiens sur un autre terrain : non pas celui des purs et des justes qui se gardent scrupuleusement de tout contact avec des gens méprisables, mais celui de la véritable justice qui est la conformité au projet de Dieu, un projet de fraternité universelle.
Ces publicains﷓pécheurs, Jésus considère que ce sont des malades que seule la miséricorde peut sauver, une miséricorde qui n’est pas seulement un regard bienveillant, mais un véritable appel à la communion : non seulement, Jésus dit à Matthieu : « suis﷓moi », mais il accepte aussi que les publicains viennent prendre place avec lui au repas. Jésus appuie son comportement sur l’Écriture elle﷓même ; il invite ses interlocuteurs à en découvrir le véritable sens « allez apprendre ce que veut dire cette parole: « C’est la miséricorde que je désire, et non les sacrifices. » « Car je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs. » On reconnaît là la phrase du prophète Osée. Une parole qui résume toute la prédication prophétique sur le véritable culte que Dieu attend. Une fois de plus, Jésus se situe dans la lignée des prophètes, un thème très présent dans l’évangile de Matthieu.
On pense généralement que cet évangile a été écrit à l’intention de juifs devenus chrétiens, qui gardaient scrupule par rapport aux multiples pratiques auxquelles leur éducation les avait habitués, ou qui parfois même étaient critiqués de ne plus les respecter ; de plus ﷓ dans l’hypothèse où cet évangile, dans sa rédaction définitive, est postérieur à la destruction du Temple de Jérusalem par les Romains ﷓ il n’était plus possible d’offrir des sacrifices. On ne s’étonne donc pas que l’évangéliste rappelle à cette communauté que Jésus a cité par deux fois les paroles d’Osée pour leur dire dans la ligne de la prédication des prophètes, ce qui aux yeux de Dieu est prioritaire.
III.    Qu’est ce qui est prioritaire aujourd’hui pour nous, pour l’Église, pour le monde ?
Faut-il d’emblée condamner les « religieux », les pharisiens ? Non ! Leur conception de la tradition est d’abord un signe de fidelité. Cependant le monde, l’Église ne commencent pas avec eux ou nous  ! et la distance temporelle qui nous sépare du passé, n’est pas un intervalle mort, mais une transmission qui génère du sens, or c’est là que le bât blesse. Que de fois transformons-nous la tradition en sacralisation de l’histoire, alors qu’elle est avant tout une transmission ? Et la foi chrétienne est transmission. Lorsque Jésus meurt, il ne donne rien, il SE donne dans le risque de l’Amour sans retour. Je ne comprends pas ceux qui toujours fustigent les autres au nom des principes les plus pieux et justes comme des chaussures trop justes, et qui manquent tant de misericorde et d’indulgence : ils sont légion dans l’Église. Ils ont confondu l’Évangile avec la morale, la Grâce avec la bienséance bourgeoise.  Pourtant Le croyant n’est pas l’homme soumis à un dogme éternel, à une programmation providentielle, à une morale préfabriquée. Le christianisme n’est pas une école d’application des décrets divins, mais une terre d’aventures. Croire, c’est s’engager à suivre fidèlement un chemin qui n’est pas tracé. Car l’Esprit de Dieu ne féconde que les actes de notre liberté. La foi ne se joue pas ailleurs que dans les oui que nous prononçons, les défis que nous relevons, les risques que nous courons, les décisions que nous prenons.
C’est en devenant membres du Christ que nous prenons notre envergure d’enfants de Dieu et donc de frères universels. Ce statut nouveau qui nous a été conféré dans les eaux du baptême fonde notre responsabilité dans la cité des hommes. Jésus nous met en garde devant ces gens zélés qui, au nom de la vérité, allument les feux de l’Inquisition ; au nom de la pureté doctrinale, organisent des purges; au nom de la race, adoptent la solution finale; au nom de la salubrité publique, organisent la chasse aux sorcières; au nom de la réussite, préconisent la sélection radicale; au nom de l’unité, se débarrassent des déviants; au nom de l’avenir, cherchent à éradiquer le passé… Laissons toute sa chance au Dieu de la patience éternelle qui espère bien féconder nos champs les plus désolés et qui nous appelle TOUS.
Jehan Claude HUTCHEN

NCTC 302 /  266 / 295 / 283