2008. 03 : dim ESTOMIHI

Dimanche 3 février 2008

En route vers la croix

Ésaïe 58, 1-9a

( Série de Prédication VI (Predigtreihe VI) : liste complémentaire II )

Frères et Sœurs en Jésus-Christ,
Notre texte a été retenu comme guide biblique pour l’appel national suisse à prier et à jeûner du 27 février au 8 avril de cette année. Il avait été étudié au « Kirchentag » allemand à Leipzig en 1997. Il est souvent cité par les œuvres caritatives et les mouvements chrétiens en faveur des défavorisés, des laissés pour compte et des réfugiés.L’affirmation selon laquelle la justice et la solidarité priment le respect de règles et les renoncements religieux correspond à une exigence de plusieurs prophètes d’avant l’exil à Babylone : Amos 5, Osée 6, Michée 6, Ésaïe 1. La parole de Dieu rapportée en Osée 6,6 : « J’aime la miséricorde et non les sacrifices » est citée par Jésus en Matthieu 9 et Matthieu 12, où il explique qu’il faut choisir de guérir et de faire du bien le jour du culte plutôt que d’obéir aux interdictions qui défendent de lever le petit doigt en faveur d’un blessé. Jésus a accentué cette préférence pour l’engagement des chrétiens auprès des défavorisés, lorsqu’il a dit : « Ce que vous avez fait (partage du pain et des vêtements, accueil de l’étranger, visite en prison) à l’un de ces plus petits de vos frères, c’est à moi que vous l’avez faits ». Notre texte demande donc à chacun de nous, au seuil du carême et après le Mardi gras, de restreindre notre consommation habituelle pour offrir les économies ainsi réalisées à une campagne contre la faim, ou à un projet de développement choisi par notre Eglise, ou à un mouvement de lutte contre les maladies graves, ou à un engagement dans un vestiaire, une épicerie sociale, un centre d’accueil de personnes en situation de précarité. Une économie individuelle fait progresser l’économie mondiale.

Qu’est-ce qui a bien pu motiver le troisième Ésaïe à ne pas reproduire le message unilatéralement positif du Second Ésaïe qui, dans les chapitres 40 à 45, annonçait l’amour et le salut inconditionnel de l’Eternel en faveur des exilés, déportés et esclaves à Babylone ? Qu’est-ce qui l’a motivé à remettre en vigueur les avertissements et les exigences morales des prophètes d’avant l’exil, en particulier du premier livre d’Ésaïe qu’il a compilé ? Grâce à la politique de l’empereur perse Cyrus, les juifs déportés aux camps de Babylone avaient eu le droit de rentrer au pays, de pratiquer leurs cultes et rites et de reconstruire le temple. Un jour de jeûne fédéral annuel fut alors instauré, une sorte de « Buss- und Bettag » pour faire pénitence, jeûner et se souvenir du tout récent second exode des exilés. Mais voici ce qui fit bondir l’homme de Dieu : les bourgeois n’avaient pas tiré de leçons de leurs récentes conditions d’esclave. Ils ont créé un nouvel esclavage, exploitant les plus faibles pour avoir de la main d’œuvre bon marché et pour les endetter à leur profit. Ils étaient prompts à demander la proximité et la bénédiction de Dieu, mais se querellaient pour la meilleure part du gâteau et exploitaient les ouvriers et les mercenaires. Ils jouaient des coudes ou frimaient. Ils faisaient la bringue. Ils s’attachaient les services des plus petits de leurs frères, mais se détournaient de leur sort. Le prophète leur fit un procès et leur annonça en pleine figure que Dieu n’écoute et n’exauce pas les prières de ceux qui n’écoutent, ni n’exaucent les gens dans le besoin.
Les sociétés européennes modernes gardèrent ce comportement ancestral, voire éternel. Déjà Christophe COLOMB écrivait dans son carnet de bord, le 16 décembre 1492 : « Que vos altesses veuillent croire que les terres que j’ai découvertes sont bonnes et fertiles. Toute la chrétienté pourra faire de bonnes affaires. Les indiens n’ont pas d’armes, sont tous nus, n’ont pas le moindre génie pour le combat et sont peureux. Ils sont donc propres à être commandés et à ce qu’on les fasse travailler, semer et mener tous les travaux dont on aurait besoin. D’ici on pourrait au nom de la Sainte Trinité recruter beaucoup d’esclaves ». Depuis l’époque de la Renaissance et des progrès de la communication, peu a changé.

Le fossé entre riches et pauvres n’a jamais été aussi grand qu’aujourd’hui, même en Europe, où les gagnants sont 20 % et les perdants 80 %. Là où des emplois sont supprimés, les actions en bourse grimpent pour la minorité gagnante ; là où les droits fondamentaux au travail, à la santé et à la formation sont refusés, d’autres sont en train de « gagner le monde entier ».

La théologienne allemande Dorothée SÖLLE suggère qu’avant chaque décision politico-économique les décideurs se posent la question : « qui sont les perdants ? » , mais elle relève que des solutions alternatives sont proposées et expérimentées. Lors des assises régionales transfrontalières des entrepreneurs et dirigeants chrétiens à la fin de l’année dernière (voir DNA du 24.11.07), leur chef de file, Mr Patrick FRANCOIS, rapportait que « nombre de cadres dirigeants prennent contact avec son mouvement tout en s’excusant de ne pas être pratiquants… mais se fondent sur une recherche éthique et sur le rejet de l’obscurantisme ». Au parlement des religions du monde, cent ans après le premier qui eut lieu à Washington en 1899, l’appel qui fut lancé aux institutions dirigeantes demandait entre autres : « Les tendances contemporaines à la globalisation et des modèles modernes de « développement » ont souvent entraîné l’augmentation de la misère et des privations chez des millions de personnes. Une injustice de cette sorte empoisonne notre vie familiale, sociale et spirituelle à tous. D’un point de vue idéaliste et réaliste à la fois, il convient d’exiger que soit adoucie la misère de la majorité par des mesures urgentes d’ordre économique, politique et social ». A l’Eglise de rester comme Ésaïe et comme Jésus aux côtés des victimes. À chacun de nous de prier ardemment pour que cesse l’exploitation éhontée des 80 % de perdants.

À vous qui priez pour le respect des droits de l’homme de la part des puissants, qui entreprenez des actions de carême malgré vos dettes, ou qui portez vous-mêmes des jougs imposés par la loi du plus fort, notre texte promet trois bénédictions :

Tu as du prix aux yeux de Dieu. Tu n’es pas un nul. Ta vie a du sens. Tu n’es pas un serviteur inutile. Par ta compassion, ton offrande ou ta prière, tu participes au redressement du monde. Tu fais partie du cortège triomphal qui précède l’entrée glorieuse de Dieu.
Ta bonté, ta consolation, ton accompagnement donne réponse à ceux qui ont besoin de secours ; toi-même, tu seras entendu. Dieu t’exaucera.

Ton nom sera connu de Dieu et il te rachètera (Ésaïe 43). Il te donnera de beaux surnoms, par exemple « Emmanuel, Dieu avec nous » ou « un reste revient et est sauvé » (Ésaïe 7), et encore « réparateur de brèches » ou « rénovateur de chemins et de maisons » (au verset 12 de notre texte), et surtout « plaisir de l’Eternel, car l’Eternel met son plaisir en toi et tu feras la joie de ton Dieu ». (Ésaïe 62). Amen.
Georges Bronnenkant

Cantiques proposés :

Arc en Ciel 245,254,317,449,534,548

¼ – Service des Lecteurs – SL – 5 – 03,02,2008 – Georges Bronnenkant