Dimanche 03 octobre 2010
Fête d’action de grâce pour les récoltes
« Donner c’est aussi savoir recevoir (gagner) ?»
2 Corinthiens 9, 6-15
Chers sœurs et frères en Christ !
Contrairement à ce que les spécialistes prédisent, il semble que c’est toujours encore la crise ! En tout cas, ses effets sont dévastateurs ! Le chômage ne fait qu’augmenter et les inégalités se creusent. Les salariés sont désespérés, au point de prendre la direction de l’entreprise en otage, afin que leurs revendications soient, au moins, entendues… Les indices de consommation des ménages ne sont pas à la hauteur pour relancer cette fameuse croissance attendue comme le messie. Partout en Europe plane le spectre de la récession. Un mot tabou que l’on ose à peine prononcer ! Les états, paraît-il, anticipent et font des coupes drastiques dans les budgets pendant que les ménages se serrent la ceinture. Les classes « moyennes » sont tirées vers le bas et l’avenir, à court terme, semble bien sombre… On comprend qu’il devient de plus en plus difficile de donner tant nous sommes sollicités de toutes parts. D’une manière ou d’une autre cette crise se répercute sur l’humanitaire et les projets missionnaires. Moins on en a, plus on s’y cramponne ! Pas question de lâcher le maigre matelas qui nous reste ! En même temps, on en veut beaucoup à ceux qui ont joué avec la tirelire et qui continuent à spéculer allégrement avec nos biens. Ceux-là, on s’est empressé de courir à leur chevet pour les gaver de millions alors que les plus démunis sont légion. Rien n’a véritablement changé… La leçon n’a visiblement pas porté ! On est reparti de plus belle dans cette spirale du rendement et de la fuite en avant. Alors pour éviter que la « foule » ne gronde, on remet au goût du jour le fameux programme antique : « du pain et surtout des jeux ».
Des milliards sont investis dans des jeux d’argent. Les jeux de hasard se développent sur internet. Avec un clic sur la toile vous y voilà empêtrés et vous devenez accros en grossissant les rangs de ceux qui sont endettés. On nous promet le paradis sur terre, la fin des galères, jackpot sur jackpot, et quasiment la naissance à la richesse « éternelle ». Le pire est bien de faire croire que la chance serait pour tous ! Et nous voilà partis pour gratter… La perspective de gagner quelque chose lorsque je dépense, de rafler le pactole, serait autrement plus excitante que de donner simplement, sans contrepartie et sans espoir de retour ?
Alors le texte d’aujourd’hui tomberait drôlement à plat dans notre contexte de morosité ambiante. Rassurez-vous ! Ce texte n’est pas moral. Il ne cherche pas à nous culpabiliser. Il prend en compte nos propres difficultés parce qu’à l’époque de Paul les mêmes questions se posaient. Il ne se limite pas non plus à un simple appel à la collecte de fonds. Ce n’est pas qu’une question de fric ou de cible à atteindre, mais pour Paul, la solidarité des Églises en faveur de la communauté mère de Jérusalem est justifiée de manière théologique.
Tout d’abord, il part sur le constat de la grâce divine gratuite accordée à tous. Ce qui veut dire que les « donateurs » autant que les « bénéficiaires » sont sous le régime de cette grâce et cela change tout. Que je donne ou que je reçoive, je suis une personne aimée et respectée, aux yeux de Dieu, pour ce que je suis et non pour ce que je produis. Et du coup, je sors du cercle vicieux donnant donnant, de cette logique de marché, et je peux vivre ma vie autrement. Etre receveur de la grâce de Dieu me pousse à rendre grâce à mon tour. Dire ma reconnaissance pour ce que l’on m’a donné. Par exemple : pour les habits qui me serrent, ce qui signifie que j’ai encore de quoi manger ; pour les factures que je paye, car cela montre que j’ai encore de quoi me chauffer et m’éclairer ; pour ce parking trouvé de l’autre côté de la ville, car cela veut dire que je peux encore me déplacer ; pour le ménage après une fête, parce que cela veut dire que j’ai encore des amis, pour celui/celle qui chante faux derrière moi dans l’Église, ou même pour le pasteur qui prêche deux fois la même chose parce qu’il s’imagine que ses paroissiens n’ont pas compris la première fois, cela veut dire que je vis encore la communauté. Remercier Dieu pour la grâce d’être ce que nous sommes et non plus limités, jugés ou formatés à notre valeur marchande. Toujours est-il que la question principale demeure : « Rendre grâces, ok ! Mais pour combien de temps encore, quand tant de nuages se profilent à l’horizon ? » Paul, lui, nous répondrait de continuer à donner envers et contre tout, qui plus est, non pas comme une cotisation ou un impôt, mais avec joie ! La joie de me libérer de mon contrôle sur un don qui n’ai déjà plus mien, mais enrichit – dans tous les sens du terme – l’autre. Paul va même plus loin, puisqu’il presse les Corinthiens à soutenir les chrétiens de Jérusalem, ceux qui avaient essayé de tout mettre en commun et qui sont du coup, tombés dans la pauvreté. C’est donc de leur faute si leur système économique n’est pas viable. Paul demande à des païens, aux prises avec des problèmes sociaux, d’aider des judéo-chrétiens qui sont souvent les donneurs de leçon et qui ont regardé ces mêmes païens de haut. Alors si Paul insiste tellement sur cette collecte pour les chrétiens de Jérusalem, c’est bien sûr pour un soutien financier direct, mais il y a bien plus qu’une simple demande d’argent :
– En poussant les Corinthiens à être aussi généreux que les Macédoniens à l’égard de l’Église mère, Paul s’essaye à une sorte de sainte émulation dans la générosité ; celle-ci doit être partagée, en tout temps, par tout le corps du Christ, même par les membres les plus « éloignés ».
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– C’est aussi une manière de dépasser les clivages ethniques et religieux. L’argent, c’est bien connu, n’a pas d’odeur ! Qu’il serve positivement à rapprocher des Églises sœurs qui s’étaient éloignées. Le don sert ici de lien tissant la chaîne d’entraide et de solidarité.
Si donner est certes primordial d’un point de vue financier, il est aussi pour nous, dans la conjecture actuelle, un pari sur l’avenir de l’Église universelle ; un signe que nous n’acceptons pas la frilosité ambiante ni le repli sur soi. C’est un acte symbolique qui privilégie l’ouverture et l’enrichissement réciproque. À côté de cela, on peut se donner avec plaisir. Nous sommes ce que nous sommes parce qu’un jour quelqu’un nous a donné, transmis et que nous l’avons reçu et redonné. On peut partager autre chose que des biens comme des sentiments, de la bonne humeur, de la convivialité et de l’amour ; c’est ce qui fait, qu’après cela, nul ne repart les mains vides. C’est d’une certaine manière, le regagner ailleurs puisque c’est la vie qui donne à la vie. Imaginez que tout ce que l’on vous a donné vous l’enfermiez dans un coffre-fort sans le faire fructifier, sans le retransmettre, c’est déjà la mort ! Le don instaure une relation entre le donneur et le récepteur et cette relation monte vers Dieu à travers les prières de reconnaissances et vient rejaillir sur le donneur. Ce qui est primordial n’est pas tant la hauteur du don, mais surtout la communion et la solidarité que cela génère. Je suis ainsi un membre de cette chaîne de donneurs et de receveurs agissant sous la grâce divine. Ou pour le dire autrement avec les paroles du poète libanais K. Gibran :
« Vous ne donnez que peu lorsque vous donnez de vos biens. C’est lorsque vous donnez de vous-mêmes que vous donnez réellement (…) Il en est qui donnent peu et qui le donnent entièrement. Ceux-ci croient en la vie et dans la bonté de la vie, et leur coffre n’est jamais vide. Il en est qui donnent avec joie, et cette joie est leur récompense. Il en est qui donnent avec douleur, et cette douleur est leur baptême. Il en est qui donnent et ne ressentent ni douleur ni joie et ne sont pas conscients de leur vertu. Par les mains de tels êtres, Dieu parle, et à travers leurs regards il sourit à la terre. Il est bien de donner lorsque l’on est sollicité, mais il est mieux de donner sans être sollicité, par compréhension. Et pour les généreux, rechercher ceux qui recevront est une joie plus grande que le don. Et est-il une chose que vous voudriez refuser ? Tout ce que vous avez sera donné un jour. Donnez donc maintenant, afin que la saison de donner soit vôtre et non celle de vos héritiers ».
Frédéric Gangloff
Cantiques conseillés :
Arc 214, 1-3 ; Arc 631 ; Arc 530, 1-4 ; Arc 617, 1-4.
¼ – Service des Lecteurs – SL – 42 – 03.10.2010 – Frédéric GANGLOFF