2013 . 08 : 8e dimanche après la Trinité

Dimanche 21 juillet 2013
   8ème dimanche après la Trinité

           Jean 9, 1-7
     Les fruits de l’Esprit


Prédication :

Nous avons tous de bonnes raisons pour fermer les yeux. Il y a les  romantiques qui se coupent du monde pour savourer un instant particulier, tel le parfum d’une fleur ou un baiser échangé. Il y a les stressés qui se prennent un temps de respiration au milieu de nulle part – ou justement au milieu de tout. Il y a hédonistes qui hument, dégustent et laissent leurs papilles faire la fête. Il y les anxieux, qui parfois préfèrent serrer les dents et passer quand même. Enfin, il y a les fatigués, qui soir après soir trouvent le repos derrière leurs paupières closes et qui, au soir de leur vie espèrent trouver la paix. Fermer leurs yeux sera alors, suivant le cas, le dernier geste fait pour eux par un frère en humanité.

Fermer les yeux, faire l’expérience de la nuit, soit pour exacerber un autre sens, soit pour se laisser envahir par le calme et le silence fait donc partie de notre vie tous les jours. Et si nous osons/souhaitons cela, c’est aussi parce que ce temps est soit choisi, soit limité : au bout du compte, nos yeux s’ouvrent. Et le simple fait de nous dire qu’il pourrait en être autrement provoque un sentiment de gêne, voire de panique. Outre les divers témoignages de mal ou de non-voyants à ce sujet, il existe l’expérience intéressante de la boîte noire. Un espace restreint sans l’ombre d’une lumière, ni réverbère, ni veille électrique, ni reflet d’un quelconque écran. Dans certaines expositions, il est possible d’entrer dans ce monde étrange. Si la fascination est grande, nombreux sont ceux qui rapidement paniquent, se raccrochant à celui qui les suit ou qui les précède dans un dernier effort pour ne pas crier. Privés de la vue, nous – voyants –  ne pouvons pas nous imaginer être à l’aise avec cette réalité.

Il en va tout autrement de l’aveugle de notre passage. Contrairement à Bartimée, il semble assis là, sans demande particulière. Lui, qui n’a jamais connu la lumière du jour se sent chez lui dans la nuit qui l’entoure. Il a appris à se diriger au bruit, à l’odeur et au toucher. Il a surtout appris quelles sont les personnes à qui il peut faire confiance, et quelles sont celles qui lui veulent du mal. Dans ce texte de l’Evangile de Jean, il se contente d’être là, certes mendiant – a-t-il le choix ? – mais peu agressif. Il a appris à vivre avec les limites de sa vie. Peut-être que d’autres lui racontent, peut-être que d’autres le plaignent, mais il n’a probablement que faire de ce qui lui est dit. Comme un enfant avant de naître, il ne peut même pas imaginer qu’il y a une vie après la nuit, une vie où tout ce qu’il a connu est relativisé et différent, une vie en couleur et en relief. Peut-être même en a-t-il peur, de cette vie dont tout le monde lui parle ?
Ce n’est pas lui que sa situation dérange, mais les disciples. Conscients que la cécité serait pour eux insurmontable, ils en font, si ce n’est une une affaire de foi, du moins une affaire théologique : où est l’erreur ?  Est-elle dans la structure (l’erreur des parents) ou dans l’utilisation de la vie (la faute de l’aveugle lui-même) ? Sur quoi faut-il fermer les yeux pour passer outre ?

Car cela aussi nous savons le faire : fermer les yeux…..en pensant  palier ainsi à tout ce qui ne va pas. Nous fermons les yeux sur nos petites faiblesses et nos petites erreurs. Nous fermons les yeux sur nos gestes déplacés et nos mots superflus. Nous fermons les yeux sur nos lâchetés et nos petitesses. Nous fermons les yeux sur ce qui dans notre monde nous oblige à faire des concessions avec nos convictions ou ce que Dieu nous demande. Nous fermons les yeux sur nos frères et sœurs dans le besoin et ceux que nous laissons sur le bord de la route. Nous fermons les yeux sur l’injustice et la violence, la discrimination et toutes les formes d’esclavage.

Et de temps à autres, tout comme les disciples, la tentation est grande de se dire qu’il suffirait que chacun ouvre ses yeux, que chacun fasse un effort pour que notre monde devienne plus juste. Nous aussi, nous posons facilement la question – surtout lorsqu’il s’agit des autres d’ailleurs : à qui la faute ? Où est l’erreur ? Mais ouvrir les yeux, avec la meilleure volonté du monde, c’est douloureux, car ni notre bonne volonté, ni nos capacités, ni nos intentions, ni même notre foi ne suffisent à dépasser tout ce qui obscurcit nos vies et notre monde.

Tout comme l’aveugle qui ne saurait se trouver en position d’agir pour sortir de sa nuit. Les disciples sont renvoyés à leurs questions par la réponse de Jésus. Seul Dieu créateur de toutes choses peut changer quelque chose, seul lui est acteur. D’ailleurs lorsque Jésus prend les choses en main, même le geste utilisé ramène toute chose au Père. En mélangeant la salive et la terre, il répète le geste du créateur, qui a formé l’homme de ses mains. Il ne se contente pas de réparer, de pallier mais il fait du neuf. Par son acte, Jésus révèle la grandeur de Dieu, non seulement en guérissant l’aveugle, mais en affirmant sa place et son statut : il est celui qui œuvre au nom de Dieu dans ce monde, il est la lumière du monde.

Tout comme Jésus ne se contente pas de fermer les yeux sur ce qu’est l’aveugle – il ne se contente pas de réparer, ainsi en va-t-il de nos vies et de notre monde. La croix et la résurrection ne sont pas un simple battement de cil qui efface et nettoie, mais un véritable acte créateur de nouveauté, de lumière et de vie. Par son Fils, Dieu ne se contente pas de fermer les yeux sur notre condition, il nous ouvre une vie nouvelle, dans laquelle nos yeux pourront s’ouvrir sans peur et sans souffrance.
A l’aveugle, Jésus rend la vue, à ses disciples, Jésus ouvre les yeux sur la révélation de Dieu, et sur nous il fait lever le jour de sa grâce.
En bref, dans ce jeu d’ombres et de lumière, l’amour rend bien aveugle, car Dieu n’a d’yeux que pour chacune de ses créatures indépendamment de ce que nous montrons ou non. Par contre cet amour infini nous oblige à la clairvoyance, sur nous-même, vis-à-vis des autres et du monde, afin que nous puissions regarder tous nos frères et sœurs les yeux dans les yeux.
 
Prière d’intercession :

Père, toi qui nous combles de jour en jour,
réponds à l’attente de ceux qui te cherchent dans la nuit
pour qu’ils rencontrent ton amour  et le souffle de ta grâce !
Envoie ta lumière dans les lieux d’opacité et de trouble !
Restaure le regard de ceux dont l’espoir est brisé
et nourris de ta présence
ceux qui sont la proie de la violence !
Prends en tes bras nos pauvretés,
illumine nos souvenirs
pour qu’ils soient porteurs de sens,
et que ta fidélité franchisse l’épaisseur des temps !
Réveille en nous l’amitié pour les autres
et le goût du partage en ton nom !

Cantiques

Alléluia 35/19 : Pour que le jour qui se lève
Alléluia 35/22 : Au cœur de ce monde
EG 72 (RA 186): O Jesu Christe, wahres Licht
EG 410: Christus, das Licht der Welt
EG 545 (canon): Mache dich auf und werde Licht
EG 554 (RA 183): Licht das in die Welt gekommen

Esther LENZ, responsable du service des prédicateurs laïques