Dimanche17 juillet 2011
La communauté des pécheurs
Genèse 50/15-22
A. 1. Ce récit nous plonge dans une de ces histoires politico-familiales dont nous sommes devenus coutumiers, en particulier dans nos dictatures modernes. Voyez la Tunisie avec la famille Ben Ali, la Lybie avec la famille Khadafi, la Syrie avec la famille El Assad, ou encore la Corée du Nord avec la famille Kim Il Sung.
A ces familles sont associés des fidèles, des inconditionnels, des fous dangereux et sans scrupules : rappelez-vous le fameux « Ali, le chimique » en Irak. Tout ce beau monde rivalise d’intrigues et de combines pour se maintenir au pouvoir, pour liquider les opposants, pour améliorer sa situation,
Chez les pharaons d’Egypte et parmi leur personnel, comme dans toutes les royautés de l’époque, la situation était souvent la même. Et avec Joseph, devenu premier ministre, les dangers sont réels pour les « opposants » ou les « traîtres », récents ou anciens. D’où la peur des frères de Joseph.
Rappelez-vous : les 11 frères étaient jaloux du petit dernier, le chouchou de papa. Plutôt que de le tuer, ils l’ont vendu comme esclave, en sorte que Joseph se retrouve en Egypte, revendu à un haut-fonctionnaire du nom de Potiphar. Accusé par la femme de celui-ci d’avoir voulu la violer, Joseph se retrouve en prison. Mais il interprète correctement le rêve du pharaon et se retrouve subitement premier ministre. Un conte de fée, non ? Du genre de Kate Middleton, roturière devenue future reine d’Angleterre ? Mais le fond des choses avec Joseph n’avait rien de féerique, c’était plutôt crapuleux.
2. Les frères de Joseph se disent : maintenant que notre père Jacob est mort et enterré, le frère tout-puissant va nous liquider ! Alors ils s’adressent à Joseph, an nom du père défunt, et prétendent que celui-ci a dit qu’il fallait pardonner. Toujours les combines ! Et ils viennent se jeter à ses pieds, en disant : « Nous sommes tes serviteurs », c’est-à-dire tes esclaves. Ils sont entièrement remis à la grâce de leur frère, en tant que criminels et en tant qu’esclaves.
B. 1. C’est là qu’une composante nouvelle entre dans l’histoire : la grâce, la remise de la peine. La grâce, on ne le comprend jamais assez, c’est d’annuler une condamnation et de supprimer le châtiment prévu. La grâce, ce n’est pas de la gentillesse, c’est un processus juridique qui annule une faute et ses conséquences. C’est une action menée par le détenteur du pouvoir en faveur de celui qui n’en a plus, puisqu’il est condamné et qu’il a perdu ses droits. C’est pourquoi on parle de « faire grâce », d’accomplir un acte volontaire en faveur du condamné.
Joseph répond à ses frères : Puis-je me mettre à la place de Dieu ? » Voici la 2e composante nouvelle du récit : la justice, surtout capitale, n’est pas aux hommes, mais à Dieu. Il y a ici l’ancêtre de la suppression de la peine de mort. Car c’est bien ce que risquaient les frères. La parole de Joseph fait écho à cette autre parole biblique : « A moi la vengeance et le châtiment des fautes ! » (Deut. 32/35). Dieu seul peut disposer de la vie et de la mort. C’est aussi pourquoi il dispose du droit de grâce.
L’homme ne dispose pas du droit de donner la vie et de l’enlever. Il est là pour la préserver. Le commandement « Tu ne tueras pas » signifie à la fois qu’on ne peut pas enlever la vie à un homme et qu’il faut le faire vivre. La grâce trouve sa source dans ces deux points : garder la vie et la promouvoir.
2. Apparaît alors le pardon. Ce acte aussi est souvent mal compris. On le prend pour une complaisance envers un fautif, ou encore comme une forme de laisser-aller ou de faiblesse. De fait, le pardon est basé sur cette idée qu’il est plus intelligent de faire vivre que de faire mourir, plus rentable de promouvoir la vie que de la détruire. En supposant que celui à qui on pardonne a confessé son péché, qu’il s’en repent et qu’il veut améliorer sa vie. Le pardon transforme à la fois le pardonneur et le pardonné.
Il ne s’agit donc pas de dire : « Ce n’est pas grave », et de minimiser les faits ou leur gravité. Ni de dire : « Oublions cela ». Joseph ne dit pas : « Tout est oublié », mais : « N’ayez pas de crainte. Ce n’est pas moi que vous devez craindre, mais Dieu, le vrai juge entre vous et moi ! »
C. Que du bien sorte de ce mal ! dit Joseph.
1. C’est la 3e composante du récit : si le condamné est gracié, s’il se repent et que sa faute est pardonnée, on est ramené au début, avant la faute, c’est-à-dire que nous revenons au stade zéro. Personne n’aura rien appris, rien de nouveau n’apparaîtra. Aucun progrès humain, aucune relation nouvelle. A quoi bon alors gracier, se repentir, pardonner ?
Mais l’épreuve doit mener vers une nouvelle relation entre les gens. Et à une amélioration de cette relation. Dans le cas de Joseph et des ses frères, il y a d’abord eu la jalousie des frères contre lui et sa vente comme esclave. Ensuite, les choses se sont inversées :Joseph était puissant, les frères faibles et demandeurs, en fait ils n’étaient pas traités comme des frères, mais comme des acheteurs de blé soumis au bon vouloir des Egyptiens en général et de Joseph en particulier.
2. Ce que ce dernier propose, c’est que les frères redeviennent des frères, que tous reviennent à la première relation : d’être tous les fils de Jacob, nés de ses deux femmes Rebecca et Léa, d’être tous des frères. Qu’après le passage dans le mal, on revienne au bien. Ce mécanisme de réconciliation est fondamental. La réconciliation, avec sa repentance et le pardon des fautes, est l’étape nécessaire pour atteindre à ce que du bien sorte d’un mal. Rappelez-vous le dimanche dernier. Son thème est justement « Le message de la réconciliation », illustré par la parabole du Fils prodigue. Là aussi, la réconciliation du père et des frères permet de trouver des relations nouvelles.
3. Le dimanche d’aujourd’hui a pour thème « La communauté des pécheurs ». Cela signifie que la paroisse et l’Eglise sont une communauté de pécheurs réconciliés et pardonnés . Tous sont pécheurs, non seulement envers Dieu, mais aussi envers les frères et sœurs. Chacun de nous a fait du tort à l’un ou l’autre, ne serait-ce qu’en disant un mot méchant, en choquant son prochain. Si nous devions en rester là, la communauté ne pourrait pas vivre longtemps. On se chamaillerait de plus en plus, et on finirait par se séparer. Pour que la communauté vive, il faut pratiquer le pardon.
D’abord sous la forme de la pénitence générale et publique avec absolution dans le culte, qui tend malheureusement à disparaître. Dans cette absolution, tous pardonnent à tous : Dieu aux pécheurs, le pasteur aux paroissiens, les paroissiens aux pasteur et les paroissiens entre eux. Ensuite, il faut habituer les gens à parler entre eux et à se pardonner les uns les autres, et à trouver des liens nouveaux. Nous sommes et nous restons une « communauté de pécheurs », mais de pécheurs pardonnés. C’est ce cette façon que d’un mal sort un bien, dans l’intérêt de tous et de chacun..
D. Prenons donc exemple sur Joseph : pardonnons, et sur les frères : repentons-nous. Et formons une fraternelle communauté de pécheurs pardonnés. Amen
Chants :
Ps 27 : Le Seigneur seul est ma lumière ARC 748, ALL12/05
L’Eternel seul est ma lumière, LP 315
Vers toi j’élève mon âme LP 240, ARC 403, ALL43/02
O Gott, du frommer Gott RA 384, EG 495
Liebe, die du mich zum Bilde RA 353, EG 401
Komm in unsre stolze Welt EG 428
¼ – Service des Lecteurs – SL – 31 – 17.07.2011 – Yves KELER