Dimanche 2 juin 2013
Premier dimanche après la Trinité
Matthieu 9 35-38 et 10, 1-2
Apôtres et prophètes
Introduction
Même si dans la lecture je ne recommande pas les versets 2 à 4 du chapitre 10, l’image des « douze » et surtout leur vie, ne peut être absente de la prédication.
L’ensemble de la prédication s’attache d’ailleurs aux images multiples de ce texte : la moisson, le troupeau, les douze (accomplissement de la promesse de Dieu à Israël).
Cantiques
EG: 241, 172, 262, 610
Alléluia (ARC): 36-10 (523), 36-30 (532), 35-22 ou ARC 540
Prière
Seigneur Jésus Christ,
envoie ton Esprit sur le monde.
Qu’il donne à chacun le courage d’une fraternité véritable.
Seigneur Jésus Christ,
envoie ton Esprit sur l’Eglise.
Qu’il soit ferment de l’unité,
inspirateur de communion.
Seigneur Jésus Christ,
envoie ton Esprit sur chacun de nous.
Qu’il nous rende audacieux
dans l’annonce de la Bonne Nouvelle.
Qu’il nous donne la paix.
Prédication
Seigneur, éclaire notre esprit afin que ta Parole reçue et proclamée puisse devenir pour chacun source de foi et d’espérance.
Chers frères et sœurs en Christ,
Même l’Evangile et Jésus-Christ utilisent parfois des images qui paraissent peu pertinentes dans notre monde. Lorsque je demande à mon Fils de treize ans – qui rêve de devenir agriculteur – comment faire pour moissonner une énorme récolte, sa réponse ne se fait pas attendre : acheter une grande machine. Et le voilà qu’il se met à rêver des moissonneuses-batteuses en service aux Etats-Unis ou des machines équivalentes pour le soja au Brésil. Ceux qui ont déjà un peu d’expérience dans le métier sont certes plus prudents, mais il n’en reste pas moins que de nos jours moisson rime avec bouchons, au vu du nombre de tracteurs et autres qui encombrent nos routes. On les entend et on les voit même la nuit, lorsqu’il faut se dépêcher avant la prochaine pluie. Nous sommes bien loin des pratiques de nos grands-parents, où le temps des moissons était un temps d’intense activité, mais aussi un temps de rencontre et de partage. Les images d’Epinal et les souvenirs – que l’on enjolive toujours – nous parlent de soleil, de pique-niques dans les champs, d’intergénérationnel avant l’heure et d’opulence. Et pourtant, la survie des villages se jouait à ce moment-là. La pression était énorme et tous les ouvriers potentiels étaient réquisitionnés : il était question de vie ou de mort.
Ainsi en est-il de l’Evangile : la moisson évoque chez Matthieu un moment crucial, où tout se joue. Un moment de la vie de chacun et du peuple de Dieu où l’on séparera le bon grain de l’ivraie, les élus des damnés. Et l’image de Jésus pour ce moment-là n’est pas celle d’une énorme machine, rasant et coupant tout sur son passage, peu importe la maturité du grain ou le pourcentage de perte. Non, son image est celle d’ouvriers : d’hommes et de femmes qui par un lent et fatiguant travail de moisson récoltent les fruits de ce qui a été semé. Il parle de frères et de sœurs en humanité qui vont dans tous les coins du monde, qui récoltent avec discernement et avec reconnaissance, bien conscients que c’est le salut de chacun et celui du monde qui est en jeu.
Alors, même si l’image de la moisson n’est plus immédiatement pertinente en 2013, elle se rapproche de la seconde que Jésus nous donne : celle du troupeau – et donc, en creux, du berger. Voilà un métier que l’on est pas près d’automatiser tant la réactivité et la bonne intelligence en sont parties intégrantes. On peut dire qu’en juxtaposant ces deux images, Jésus a été le précurseur du concept : une main de fer dans un gant de velours. Ceux qui travaillent au nom du Père, témoignant de l’Evangile en paroles et en actes sont appelés à être tranchants dans leurs témoignage, peu enclins aux compromis avec le monde mais toujours aimants et responsables vis-à-vis de leurs frères et sœurs en humanité. Car le message radical de l’amour de Dieu, illustré par le Christ en croix et le tombeau vide, ne passe pas par des faux émoussées ou des frondes imprécises, mais bien par une Parole reçue, dérangeante parfois et qui met en route, certes ceux qui sont confiés mais aussi le moissonneur et le berger lui-même.
Mais d’ailleurs, qui sont-ils ces moissonneurs et ces bergers ?
A qui vous êtes-vous identifiés à la première lecture de ce texte : aux brebis perdues, aux foules découragées et fatiguées, ou aux moissonneurs ? Il serait facile de se dire que ce sont les autres : les pasteurs, les responsables d’Eglise, ceux qui vont toujours bien, ceux qui croient plus fort, plus loin. Ce raisonnement nous est familier : nous sommes le troupeau et nous avons besoin de bergers, de préférence ceux que nous avons choisi et qui correspondent à ce que nous pensons être bon pour nous. Mais non !
Jésus prend le contrepied : cette responsabilité il la confie à douze hommes qui n’avaient rien demandé et qui ne correspondaient certainement pas aux standards du « bon berger » ou de « l’ouvrier modèle de l’époque ». Il la confie à ceux qui seront désormais appelés disciples. Ils n’ont rien de particulier, ne sont recommandés par personne, mais sont ceux qui ont pris le risque de suivre Jésus-Christ. Ils sont les témoins privilégiés de l’avènement de l’amour de Dieu sur cette terre. Leur vie en a été transformée : de pêcheur impétueux à meneur d’hommes, de péager méprisé à membre d’un groupe d’amis qui ressemble étrangement à une famille, de guerrier zélote à disciple attentif, de fils à papa à une vraie vie autonome, de traître à ami. Parfois ils seront rattrapés par leurs histoires, parfois ils ne seront pas à la hauteur, parfois ils trahiront de bien des manières. Il n’en reste pas moins que cette rencontre les aura changés. Leur vie, leurs actes, leurs paroles sont le reflet de ce changement.
D’ailleurs le fait qu’il soit douze est en lui-même l’accomplissement d’une promesse de Dieu à Israël, le rétablissement des douze tribus dans une période où ce peuple a payé son tribut à l’histoire. Depuis l’éclatement des royaumes du Nord et du Sud il ne reste officiellement que deux tribus et demi sur les douze qui ont fait la grandeur du peuple élu. Les disciples sont donc individuellement et collectivement témoins de la fidélité, de l’amour et du pouvoir de changement de Dieu en ce monde. C’est cela leur force, c’est cela dont ils peuvent témoigner.
Depuis, il n’y a pas que la manière de moissonner qui ait évolué. Et pourtant, nous tous avons été accueillis au sein de la famille de Dieu par notre baptême. Nos vies ont été touchées par sa grâce de bien bien des façons. Aujourd’hui, nous sommes les ouvriers et les bergers dont Dieu a besoin pour consoler et redresser son peuple. Chacun avec ses talents et avec ses défauts, nous sommes tour à tour la brebis en attente de forces, le blé qui doit mûrir mais aussi l’ouvrier qui moissonne, qui coupe et sépare ou le berger qui relève et nourrit. Par nos engagements, par nos chants, par nos prières, par nos paroles et par nos actes certainement, mais avant tout par ce que nous sommes : les enfants aimés du Père, portés par la Prière du Fils et celle de la communauté.
Esther Lenz, Morsbronn les Bains