2006. 06 : dim des RAMEAUX, 6e dans le Carême

L’homme de douleur

Dimanche 9 avril 2006

Esaïe 50/4-9


(Série de Prédication IV (Predigtreihe IV) : nouvelles  épîtres )

Le pasteur Charles FICHTER, décédé l’an dernier, avait écrit sur le présent texte, pour les lecteurs et prédicateurs laïques, un sermon magistral qu’il introduisit ainsi:
« Chers frères et sœurs en Christ, voilà l’image d’un homme de douleur, d’un homme qui rappelle les souffrances qu’il a endurées. Mais s’il les rappelle, ce n’est pas pour s’en plaindre, pour attirer la pitié des autres; s’il les rappelle, ce n’est pas non plus pour en tirer quelque gloire, mais c’est pour parler de Dieu. Il a acquis la certitude que Dieu était avec lui en ces moments où il paraissait livré au bon plaisir de ses persécuteurs. Aucune religion n’avait pu lui enseigner cela, car toutes prêchaient le bonheur comme signe de la présence de Dieu et le malheur comme preuve de son absence. Et voici quelqu’un qui, à l’encontre de toutes les leçons apprises et de toutes les traditions transmises, ose affirmer que Dieu est du côté de ceux qui souffrent; car, dit-il, il en a fait l’expérience ».

Au 8ème siècle avant notre ère, durant l’invasion assyrienne, le premier Esaïe attendait un messie dominateur et justicier, puissant et éternel, libérateur et triomphateur (Esaïe 7, 9 et 11, textes lus traditionnellement avant Noël). Et, effectivement, tout à l’opposé, allez savoir pourquoi, le second Esaïe, pendant la déportation et la captivité à Babylone, au 6ème siècle avant notre ère, a annoncé dans ses quatre chants du Serviteur Souffrant, un messie thérapeute et juste (Esaïe 42,1-4), élu, inspiré et justifié par Dieu (Esaïe 49,1-6), obéissant, supplicié, aguerri et consolateur (Esaïe 50,4-9),  condamné à mort en lieu et place du peuple, sauveur et rédempteur du genre humain (Esaïe 53,1-13).

Les Chrétiens que nous sommes, ne peuvent que s’émerveiller de la similitude presque parfaite entre l’anonyme serviteur souffrant  et Jésus, l’homme de douleur, le condamné, supplicié et crucifié, le Sauveur mort pour nous. C’est pourquoi l’église prévoit de lire ces poèmes du serviteur souffrant durant les cultes de la semaine sainte .Au début de l’ère chrétienne, lorsque l’eunuque éthiopien avait posé la question « de qui parlait le prophète, de lui-même ou de quelqu’un d’autre », l’évangéliste Philippe, subjugué jadis comme nous aujourd’hui, n’avait aucune peine à répondre par le Nom inscrit au fond de son cœur, comme au fond du nôtre: c’est Jésus (Actes 8, 26-40).

C’est Jésus qui n’a pas cessé d’entendre Dieu, de rester à son écoute et de lui obéir de la crèche à la croix : à douze ans déjà, il se montra prêt « à s’occuper des affaires de son Père » (Luc 2,49); c’est lui qui au jardin de Gethsémané s’est abandonné à son Père : « Si tu le veux, éloigne de moi cette coupe. Toutefois que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui soit faite » (Luc 22,42). C’est lui qui a ressemblé, comme deux gouttes d’eau, à ce serviteur souffrant dont il est dit qu’il a livré son visage et son dos aux  bourreaux et qu’il a accepté les crachats de ses tortionnaires.

C’est pourquoi nous reconnaissons à Jésus le mérite et le droit de nous façonner à son image, en particulier de modeler et de parfaire la capacité que Dieu a donnée à tout être humain, celle de supporter et de maîtriser la souffrance morale, les deuils et le mal qu’on nous fait. Chacune de nos souffrances assumées contient la promesse d’une bénédiction de Celui qui change le mal en bien et qui fait concourir toutes choses au bien de ceux qui l’aiment. Ainsi nous pouvons dépasser le stade des jérémiades et suivre l’exemple du messie souffrant, en rendant notre visage semblable à un caillou, en nous aguerrissant, en durcissant notre résistance et en affrontant le mal subi.

S’il nous arrive de perdre le moral, de ployer sous le poids des devoirs et des soucis, de réagir violemment aux coups reçus, de douter de la dignité de toute souffrance et de la proximité de Dieu en son sein, nous pouvons dépasser nos moments de faiblesse et de lassitude, en nous laissant inviter par Jésus : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, je vous donnerai le repos ». Avec son pardon, son exemple et ses encouragements, nos consciences meurtries peuvent s’apaiser et nos âmes être restaurées et conduites dans les sentiers de la justice.

Etant ainsi ragaillardis par la passion du Seigneur et aguerris par les expériences douloureuses surmontées, nous pouvons rendre service aux autres par cette autre capacité commune à tous les humains, celle d’inventer et de prendre des initiatives. A l’image du serviteur souffrant et de Jésus, nous pouvons ne pas éteindre le lumignon qui brûle encore, mais animer et ranimer la vie devenue vacillante. Au-delà des soins médicaux, assistons nos sœurs et frères en danger par le moyen universel qui distingue l’homme de l’animal, le don de la parole. Comme le serviteur souffrant et comme Jésus, redécouvrons chaque matin la Parole fondatrice de Dieu qui est comme la manne dans le désert, non pas faite de citations, ni connue d’avance, mais discernée dans la lecture régulière de la Bible ou donnée par l’Esprit saint au moment où nous en avons besoin pour consoler ou conseiller. La  parole échangée et les verbalisations, la transmission du message et les citations spontanées  sont les premiers signes de l’amour du prochain. Elles rompent la solitude, relativisent les risques de dramatisation, redressent celui qui est abattu, ramènent l’espoir même au milieu de la mort envahissante, apaisent et réconfortent. Et ce sont finalement les destinataires de nos bonnes paroles qui recueillent les fruits de notre écoute d’élève et de notre obéissance de disciple.

La prière que Dieu prend en charge est également une parole de communion, d’espérance et de soulagement, à l’exemple de la prière que le pasteur FICHTER avait publiée à la fin du sermon déjà cité : « Seigneur, nous te remercions de placer devant nous la figure de celui qui a tout accompli à travers les souffrances et la mort; nous te remercions de nous appeler à proclamer son nom et à suivre son exemple pour faire connaître ton amour; augmente le zèle et fortifie le témoignage de ceux qui s’apprêtent cette semaine à célébrer le souvenir du crucifié; fais retrouver à tous les siens la foi simple et le courage d’affronter toutes les difficultés et d’en triompher; unis-nous à tous ceux qui, au milieu de tous les désespoirs du monde, recherchent et cultivent la grande espérance que Jésus nous offre ».

Frères et sœurs, cette espérance est la victoire finale sur le mal. Tel le serviteur souffrant qui, selon notre texte,  semble n’être que le souffre-douleur des méchants, avait proclamé qu’il gagnera à la longue le procès qui lui a été injustement intenté, ainsi Jésus annonçait sa résurrection au troisième jour, chaque fois qu’il annonçait  son procès et sa mise à mort. Ayant accepté d’être le paratonnerre pour chacun d’entre nous, il nous assure de la victoire  définitive  sur le péché, la souffrance et la mort. Et c’est cette perspective du triomphe final de la vérité et de la justice, de l’amour et de la vie, tel qu’il était préfiguré dans l’entrée de Jésus à Jérusalem sous les rameaux et les hosannas de ses admirateurs, qui nous permet, de plus belle, à nous étonner de la passion de notre rédempteur, à inventer des gestes compatissants et à supporter le mal subi avec courage et détermination. Amen.

                    Georges BRONNENKANT, pasteur en retraite

Cantiques:

ABD 501, 510; Arc 427, 443; NCTC 193; RA 8