2011. 02 : SEXAGESIME, 2e du Précarême

Dimanche 27 février 2011

Les différents terrains

Marc 4, 26-29

I

Connaissez-vous le pasteur Larousse ? Il sème à tous vents ses prédications, bons conseils et bonnes actions, sans se poser trop de questions. Pour lui, la règle première dans son travail, c’est justement cette petite parabole racontée par l’évangéliste Marc : semer la bonne Parole à tous vents, en tous terrains et puis, à la grâce de Dieu ! A chacun sa part du travail : au pasteur d’annoncer l’Evangile, à Dieu de faire la suite.

Il y a aussi le prédicateur qui se dit : « Puisqu’il suffit de semer, semons, mais sans excès de zèle… Dieu ne fera-t-il pas le reste ? » Ce prédicateur-là est un tantinet paresseux et présomptueux : ne voulant pas trop se fatiguer, il mise tout sur Dieu et l’action du Saint-Esprit, sans trop se préoccuper de la suite.  Il a même un bon alibi pour justifier son attitude: Dieu n’a-t-il pas dit par la bouche de son prophète Esaïe (Es.55,10-11) que sa parole produisait l’effet prévu à l’image de la pluie qui arrose les cultures ? Alors, que Dieu fasse !

Et puis il y a les prédicateurs fatigués, usés, découragés : ils sèment depuis si longtemps et ne voient pas venir grand chose, alors qu’ils avaient espéré de si belles moisson !
En cherchant bien, nous pourrions encore cibler d’autres types de pasteurs et prédicateurs qui pourraient se sentir concernés par cette parabole. Et les auditeurs, eux qui reçoivent la semence de la prédication, sont-ils pour autant épargnés dans cette petite histoire ? La parabole se termine par l’image de la moisson, où est récolté ce qui a poussé et mûri : ainsi semeur et moisson sont concernés tous deux… et sont concernés tout autant le prédicateur que ses auditeurs ! Le sujet central de l’histoire, c’est la semence, et aussi son devenir.

La semence peut très bien exister sans semeur, mais alors quel est son devenir ? La semence peut bien exister sans champ à ensemencer, mais là encore, quel est alors son devenir ?
Dieu n’a pas gardé sa parole pour lui seul. Dès le début, raconte la Bible, Dieu a mis sa parole en action. Sa parole a été créatrice de vie et de sens. Dès le début elle a été parole d’alliance, parole donnée pour que d’autres puissent en vivre. Parole donnée pour être reçue, accueillie et redonnée plus loin (Genèse 2, 19-20). Dès le début, la parole de Dieu a ensemencé le champ de la terre et la vie de l’homme. Et Dieu vit que sa parole semée donnait des fruits qualifiés de « bons » à ses yeux (Genèse 1). Très vite aussi cette parole semée par Dieu produisit des effets imprévus aux yeux de Dieu, mais désirables aux « yeux » des humains (Genèse 3).

II

Revenons de plus près à notre parabole. Quand Jésus la raconte, c’est pour parler à ses disciples, non pas de la parole de Dieu en général, mais plus précisément de cette dimension de la parole qui s’appelle « royaume ou règne de Dieu ». C’est une semence, c’est-à-dire quelque chose qui a en soi une dynamique surprenante. C’est quelque chose qui va se transformer, évoluer, produire du nouveau qui n’existait pas auparavant. Une semence jetée en terre, c’est quelque chose qui va changer la surface de la terre.
Jésus parle de la semence du monde nouveau de Dieu. C’est une nouvelle mentalité que Jésus vient inaugurer dans notre monde. Une mentalité nouvelle qu’il nous invite à adopter à notre tour avec lui. Une mentalité nouvelle qui nous donne d’abord un regard nouveau sur les choses et les gens qui nous entourent. Une mentalité nouvelle qui se traduit aussi par un nouveau comportement face à ces choses et ces gens. Cette semence c’est un nouveau style de vie, une vie différente de celle qui prévalait jusqu’au surgissement de cette vie nouvelle.

Cette vie nouvelle, Jésus la nomme « règne de Dieu », parce que là l’autorité de Dieu y est reconnue. Là, les humains renoncent à juger eux-mêmes ce qui est bon ou mauvais, bien ou mal, pour s’en remettre à ce que Dieu juge bon ou mauvais, bien ou mal.
Mais l’autorité de Dieu n’est pas une autorité qui contraint par la force. C’est une autorité qui dit : « Voilà ce qui est bien et bon, voilà ce qui donne la vie et lui permet de s’épanouir, voilà ce que tu devrais faire et tu vivras ! ». C’est une autorité qui rend chacun responsable de ses décisions et reconnaît la liberté de chacun.

Une telle semence a-t-elle beaucoup de chances de germer, grandir, mûrir et porter du fruit dans ce monde où beaucoup sont persuadés que tous les problèmes ne trouvent de solution que dans un rapport de forces ou des mesures totalement maîtrisées et contrôlées ? Que peut changer, dans notre monde, une parole qui ne contraint personne, qui n’impose pas une vérité, mais qui cherche seulement à être écoutée, entendue, crue et mise en pratique ? Quel peut être sur les autres humains l’effet d’un style de vie nouveau qui tranche radicalement avec les habitudes ancestrales de l’humanité ? Le sort réservé à Jésus ne laisse aucun doute sur la question.

III

Mais alors, cette semence si précieuse qui promet de changer radicalement la face de la terre et le cœur de l’homme, ne faudrait-il pas tout faire pour obtenir à coup sûr le résultat qu’elle porte en germe ? Pourquoi Dieu n’intervient-il pas directement et s’en remet-il au travail du semeur et à la réceptivité du sol ?

Eh bien non ! dit Jésus : celui qui a jeté la semence sur la terre ne peut rien pour elle, et d’ailleurs elle n’a pas besoin de son aide. D’elle-même elle germe, pousse et mûrit. Et un beau jour la moisson est là, et il n’y a plus qu’à récolter. Le semeur qui a jeté la semence en terre, n’a plus aucun pouvoir sur elle, cela lui échappe totalement.

Avant il a pris soin de la semence, il a préparé la terre et puis !l a semé. Il a fait son travail.
Ainsi l’avenir du monde nouveau de Dieu, c’est l’affaire de Dieu lui-même. Comme la semence jetée en terre, le monde nouveau de Dieu cache en lui un dynamisme insoupçonné. Il peut très bien faire son chemin tout seul jusqu’à l’heure de la moisson. La seule chose que Jésus nous invite à faire, c’est de semer, comme lui.

La seule responsabilité qui incombe aux paysans de Dieu que nous sommes, c’est de semer. Semer, c’est tout : rien de plus, mais rien de moins ! Dieu est seul capable de se charger du reste, et il s’en charge. Semons donc : rien de plus, rien de moins ! Semons, semons fidèlement, préparons bien la semence, prenons en soin, préparons bien notre terre intérieure pour semer avec confiance et espérance. Semons de notre mieux, comme si tout dépendait de nous, tout en sachant que tout dépend de Dieu et est dans sa main. Gardons confiance en Dieu, même si la levée de la semence tarde. Semons de génération en génération : le grain récolté est la semence de demain, le champ ensemencé est le semeur de demain.   AMEN.

Pasteur Marc WEISS
La Robertsau