2011. 03 : ESTO MIHI, Quinquagésime, 3e du Précarême

En route vers la croix

Luc 10, 38-42


Introduction

Quelle est la priorité : Les nourritures terrestres ou le « pain de vie » ? Ecouter ou agir ?
Pour Jésus : c’est écouter et mettre en pratique la parole de salut (il est en route vers la croix) qu’il est venu apporter de la part de Dieu ; cf. Luc 8,21 et 11,28. Avant de servir Jésus, il nous faut accepter ce service pour lequel il est venu ; cf. Matthieu 20,28.

Prédication

Que répond Jésus à Marthe qui, indirectement, fait des reproches à sa sœur parce que celle-ci ne fait qu’écouter ? – « Une seule chose est nécessaire. Marie a choisi la bonne part. » Autrement dit : Marie a tout à fait raison de laisser tomber tout le reste pour s’asseoir aux pieds de Jésus ! Nous connaissons sans doute cette histoire depuis longtemps ; nous connaissons la prise de position de Jésus. Mais essayons de nous mettre à la place de ceux qui entendent ou lisent cette histoire pour la première fois ; la réaction de Jésus ne nous paraîtrait-elle pas surprenante ? Nous avons l’habitude d’entendre d’autres sons de cloches ! Toujours à nouveau on nous répète que la foi chrétienne n’est pas seulement un savoir ou une théorie, mais qu’elle doit se traduire par des actes. Et juste avant notre texte, il y a la parabole du Bon Samaritain, où Jésus dit à la fin : « Va, et fais de même ! » Ce qui veut dire : agissez comme le Bon Samaritain, occupez-vous de vos prochains qui ont besoin d’aide ! Et voilà que Jésus donne raison à Marie…

Pourquoi ce jugement en faveur de Marie ? Sur quoi se fonde-t-il ? – Ce jugement de Jésus se fonde sur son message, sur sa mission. Derrière la réaction de Jésus, il y a ce qu’il pense et dit de lui-même et qui peut paraître prétentieux : c’est lui qui apporte aux hommes la vraie vie, la plénitude de ce dont les hommes ont besoin pour vivre heureux ; Jésus prétend que celui qui l’écoute entend la Parole de Dieu lui-même ; que cette Parole indique le sens et le but de la vie humaine, et qu’elle donne force et courage pour une vie qui portera du fruit.

Etre chrétien, c’est en premier lieu : écouter Jésus ! Lorsqu’il nous adresse sa Parole, tout le reste doit passer au second plan ; il n’y a plus d’excuses pour faire autre chose. C’est là que se trouve la grande différence entre chrétiens et non-chrétiens. L’amour du prochain, l’engagement pour les autres n’existent pas seulement chez les croyants. Il y a des incroyants, des athées, qui, par humanisme, par idéal, se consacrent aux autres, jusqu’au sacrifice parfois. C’est la relation continue au Christ, la communion avec le Seigneur vivant, qui fait de nous des chrétiens. Et cette communion est établie, puis entretenue, avant tout par la Parole qu’il nous adresse.

C’est pourquoi les Réformateurs n’ont pas dit : l’Eglise est là où des hommes font le bien, où ils aident les pauvres, où ils luttent pour la justice, etc… Même si tout cela est très bien et ne doit en aucun cas manquer, c’est autre chose qui fonde l’Eglise. Dans la Confession d’Augsbourg, il est dit : « L’Eglise est l’assemblée de tous les croyants, chez qui l’Evangile est prêché dans sa pureté et les saints sacrements administrés conformément à l’Evangile. » Oui, c’est l’Evangile, la Parole du Seigneur qui est au centre et qui fait d’un groupe d’humains une Eglise. Font partie de l’Eglise du Christ tous ceux qui, régulièrement, sont disposés à entendre la Parole. De temps en temps, il nous faut laisser nos multiples tâches, pour que le Seigneur puisse agir en nous ; car face à lui, nous sommes toujours  ceux qui reçoivent.

Marthe ne peut rien recevoir du Seigneur, parce qu’elle est tellement occupée avec ce qu’elle veut faire pour Jésus. Nous n’avons certainement pas à condamner Marthe trop rapidement, mais elle n’a pas compris que vis-à-vis de Jésus nous sommes dans une autre situation que vis-à-vis de toute autre personne. « Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir » dit Jésus à un autre moment. Et son service n’est pas un service que nous pourrions imiter ; le texte cité continue ainsi : « et pour donner sa vie en rançon pour beaucoup. » Le service de Jésus pour nous culmine dans le sacrifice de sa vie. C’est notre salut qui est en jeu ici ; le salut que nous ne pouvons qu’accepter comme cadeau. Les paroles de Jésus ne sont pas les paroles d’un maître particulièrement intelligent et inspiré ; ce sont les « paroles de la vie éternelle. »

Marthe s’agite dans la cuisine, court à droite et à gauche ; il faut se montrer à la hauteur, recevoir avec la dignité qu’il mérite cet hôte exceptionnel. Elle se perd dans les choses accessoires et passe à côté de l’essentiel. Si on lit le texte attentivement, on remarque que Jésus ne la critique pas directement. Il ne dit pas : « Arrête maintenant ton va-et-vient et assieds-toi ! » Ce n’est que lorsqu’elle, Marthe, fait des reproches à sa sœur que Jésus lui signale qu’elle a fait le mauvais choix.

Marie, par contre, a choisi la bonne part. Il s’agit d’un choix ! Ce qui ne va pas sans renoncement. Pour Marie, cela veut dire qu’elle risque effectivement d’être considérée par les autres comme une mauvaise maîtresse de maison ; uniquement s’asseoir et écouter, lorsqu’il y a la visite d’un hôte de marque, ce n’est pas convenable. C’est ainsi que pense Marthe et c’est ainsi que pensaient les autres. A l’époque de Jésus, il n’était pas question d’égalité entre hommes et femmes. Les femmes, leur domaine, c’était les tâches ménagères ; la religion, les discussions des sujets religieux, étaient l’affaire des hommes… Mais Marie a saisi que ces traditions ne sont plus valables maintenant que Jésus est là. Ce que les gens vont penser ou dire d’elle lui importe peu ; Marie sait que la retenue, la discrétion habituelle des femmes n’a plus lieu d’être en présence de Jésus qui apporte quelque chose de neuf qui dépasse tous ces usages. Comme l’apôtre Paul le dira plus tard, pour la foi en Christ, il n’y a plus ni homme ni femme. Marie sait : quand Jésus est là, les traditions humaines éclatent ; quand Jésus est là, c’est un comportement neuf qui est approprié. Pourquoi ? – Tout simplement parce que le face-à-face avec Dieu exige une autre réaction que la fréquentation des humains… Luc souligne dans son Evangile la place réservée aux petits, aux faibles, aux pauvres, aux femmes… Les femmes comptent autant que les hommes ; les femmes ont autant accès à l’Evangile que les hommes. Marie assise aux pieds de Jésus est dans l’attitude typique du disciple. Il y a là une reconnaissance du statut de disciple à part entière pour la femme.

Le lieu où nous, nous avons à nous ouvrir à la Parole de Jésus, c’est (pas seulement, mais avant tout) le culte. Et là nous remarquons que souvent nous agissons comme Marthe ; aller au culte signifie renoncer à d’autres activités ; et il y en a tellement qui sont proposées. Avons-nous compris qu’au cours du culte ce n’est pas seulement le pasteur qui parle ? Que par l’intermédiaire de paroles maladroites, c’est un Autre qui s’adresse à nous ? Aller au culte, prier, écouter une prédication, est-ce du temps perdu ? – Jésus dit : « Une seule chose est nécessaire. » Et cette chose, c’est l’écoute de sa Parole. Ceux qui, toujours à nouveau, se mettent à l’écoute de sa Parole, ceux-là ont « choisi la bonne part. »

Est-ce que, par conséquent, notre texte serait un appel à la passivité ? Est-ce que nous n’avons rien d’autre à faire qu’écouter ? – Lorsqu’il est question ici de l’écoute de la Parole, certainement pas dans ce sens ! Où irions-nous, si dans nos communautés il n’y avait pas des personnes à l’esprit pratique comme Marthe ? Des personnes actives, promptes au service comme Marthe, ont leur place et leur rôle dans la paroisse ; il suffit de penser aux fêtes paroissiales, aux ventes en faveur de la mission, à la diaconie. Les personnes engagées dans ce domaine sont à respecter ; elles ont droit à notre reconnaissance. Le danger est que ces personnes énergiques sont tentées de trouver leur justification (au sens religieux aussi) dans le travail pratique, sont tentées aussi d’attendre le même engagement de la part de tous les autres, ce qui conduit vite à la critique comme chez Marthe, c’est-à-dire à la critique de ceux qui attachent plus d’importance à la vie spirituelle, à la prière et à la méditation, ou à la recherche biblique et théologique.

Marthe et Marie : on y a souvent vu le double type de l’action et de la contemplation. Deux caractères différents, deux comportements opposés. D’un côté, celle qui agit, la militante, l’active – sous-entendu : celle qui n’écoute pas, ne prie pas. De l’autre côté, celle qui prie, la spirituelle, la contemplative – sous-entendu : celle qui n’agit pas… Mais pourquoi opposer les deux ? Pourquoi ces catégories ? Il s’agit plutôt de priorité ! Si l’écoute est première, c’est que la Parole est première. A l’origine de tout, il y a la Parole créatrice, qui donne vie, qui fait exister ; elle est à l’origine de notre foi aussi.

Pour Marie, prendre le temps d’écouter est prioritaire. Bien sûr, elle ne restera pas assise éternellement, mais lorsqu’elle se lèvera pour faire son travail, elle le fera sans doute de manière plus réfléchie, dans un autre esprit. L’écoute ne bloque pas l’action, mais montre le bon chemin à l’action et évite un activisme feu de paille. Marie, aujourd’hui, serait bien entendu parmi nous dans cette église, pour nourrir par l’écoute son action, pour respirer.

Oui, il en va de même que pour la respiration. Inspirer, expirer : l’un ne va pas sans l’autre. « Il y a un temps pour tout » : un temps pour écouter, un temps pour agir. Mais une chose est sûre : lorsque Jésus nous parle, c’est pour nous le temps de nous taire et de faire une pause dans nos  activités. Chaque activité dans l’Eglise doit avoir pour source la Parole de Jésus… Revenons au contexte de notre passage. Avant, il y a le double commandement de l’amour de Dieu et du prochain, illustré par la parabole du Bon Samaritain. Après notre texte d’aujourd’hui, il y a le Notre Père que Jésus donne en réponse à la demande des disciples : « Seigneur, enseigne-nous à prier. » Agir, mais aussi écouter et prier ! Celui qui écoute sait ce qu’il a à faire et pour quoi il doit prier. Mais la Parole de Jésus dépasse notre carde terrestre ; il a « les paroles de la vie éternelle. » Beaucoup de choses que nous faisons sont limitées, provisoires, périssables. La Parole du Seigneur reste éternellement. C’est vraiment la « bonne part » !

Au siècle dernier sont apparues dans le monde protestant des maisons dirigées par des diaconesses un peu particulières, parce qu’elles ne sont ni enseignantes ni infirmières ; des maisons de silence et de ressourcement avec plusieurs offices par jour. Certains ont tout de suite évoqué un retour aux couvent catholiques dans lesquels moines ou sœurs se consacrent à la prière et à leur jardin. Mais une communauté qui se prend le temps de l’écoute, qui invite des gens stressés ne trouvant plus le repos intérieur à faire le vide pour ensuite prendre de nouvelles forces spirituelles, une telle communauté n’est-elle pas utile et de manière indirecte fort productive ? Est-ce inutile de rendre attentifs, par tout un style de vie plutôt que par des paroles, les hommes de notre temps à la « seule chose qui est nécessaire » ? C’est certainement servir le Seigneur et les hommes que de les amener à choisir eux aussi la « bonne part ». Amen.

Cantiques

ARC 181 = AL 14-09
ARC 232 = AL 22-08
ARC 231 = AL 22-05

Denis Klein, Pasteur à Offwiller

¼ – Service des Lecteurs – SL – 10 – Denis KLEIN – 06.03.2011