Dimanche 10 juillet 2011
Le message de réconciliation
Luc 15, 01 – 03 + 11 – 32
Prédication
Jésus, une fois de plus, est pris à parti entre deux groupes de personnes. D’une part, les publicains et les pécheurs qui viennent l’écouter et dont le coeur est souvent touché par son attitude tout autant que par ses paroles; et d’autre part, les pharisiens et les scribes, qui n’approuvent pas du tout son comportement, l’accusent de faire bon accueil aux mécréants et même de manger avec eux.
Alors comme à son habitude, il raconte une parabole. Celle qu’il nous propose aujourd’hui, nous la connaissons tous sous le nom de la parabole du fils prodigue. Elle comporte trois personnages principaux : le fils aîné, le fils cadet et le Père.
Observons les deux fils : le cadet, habité d’un désir d’indépendance, il veut s’émanciper, devenir quelqu’un par lui-même, se réaliser. Qui pourrait l’en blâmer ? Le père n’oppose d’ailleurs aucune résistance au départ de son jeune fils et accepte sans condition de lui donner sa liberté et sa part d’héritage. Aussi part-il loin de ses origines familiales et religieuses et, là, tout ne se passe pas comme prévu. Il perd tout et, comble de l’infamie pour un juif, il trouve un emploi de gardien de cochons qui ne lui assure même pas sa subsistance quotidienne. Le texte nous dit alors qu’au fond du désespoir il rentre en lui-même : geste de celui qui n’a plus rien, qui n’est plus rien, introspection qui souligne son indignité et qui le conduit à accepter de perdre son statut de fils pour revenir chez son père en tant que simple ouvrier. En fait, son plus grand tort, ce n’est pas tant d’avoir mené une vie de désordre ; mais c’est avant tout de ne pas avoir pris conscience du privilège qui était le sien d’être le fils d’un Père aussi bon.
Le fils aîné, en affirmant qu’il sert son père depuis tant d’années et qu’il n’a jamais transgressé ses commandements, se situe dans une relation qui est davantage dictée par le sens du devoir, de l’obéissance à la loi familiale, que par l’amour de son père et de son frère. Sa protestation est légitime si on la regarde du côté de la justice ordinaire. La société de droit est organisée selon le principe d’une justice distributive qui pourrait se résumer ainsi : rendre à chacun selon son dû. Selon cette logique, il serait juste d’appliquer au jeune fils la peine qu’il s’était d’ailleurs lui-même infligée : être traité comme un ouvrier de son père et par la même renoncer à son titre de fils. Il ne comprend pas que l’amour du Père dépasse toute logique et tout calcul.
Là où le fils cadet se perd dans la débauche, le fils aîné se perd en s’enfermant dans son bon droit. Souvent, nous nous demandons si nous nous retrouvons plutôt dans le comportement de l’un ou de l’autre des fils de la parabole. En réalité, nous sommes constamment l’un et l’autre, selon les circonstances : le noceur et le bosseur.
Parfois, il nous arrive de suivre le chemin du fils cadet : Nous réclamons à Dieu notre part d’héritage, voulons faire notre vie sans lui, jusqu’à ce que la faim nous tenaille le ventre et que nous réalisons que sans lui, nous n’allons pas bien loin. Et puis, nous nous retrouvons aussi dans le comportement du fils aîné : jaloux de la joie des autres, amers parce que notre fidélité ne nous a apporté que peine et frustration.
Mais nous en oublions que le personnage central de cette parabole n’est ni le fils aîné, ni le fils cadet, mais bien le père dont l’attitude nous révèle la compassion et la miséricorde. Le peintre Rembrandt l’a merveilleusement souligné en présentant un Père dont les deux mains accueillent, l’une, masculine, avec fermeté et solidité, l’autre, maternelle, avec tendresse et compassion.
Ce Père, d’abord, donne à son fils cadet la part d’héritage qui lui revient. Puis, contre toute règle de bienséance orientale qui voudrait que son fils entre le premier dans la maison pour aller le saluer, le père sort pour l’accueillir et court se jeter à son cou, le pare d’un vêtement de prince et programme une fête en son honneur. La volonté du père est claire : c’est de rétablir le fils cadet dans sa dignité d’homme sans lui faire peser éternellement le poids de sa faute. L’excès d’amour qu’il lui témoigne est pour lui nécessaire pour transformer son repentir en un nouvel avenir. En le réintégrant comme fils, il l’oriente vers le futur plutôt que de l’obliger à ressasser éternellement son passé et que sa vie ne devienne qu’une faute sans arrêt réactualisée. La force du geste du père est d’inscrire son enfant dans un nouveau temps, celui du fils retrouvé et non celui du fils perdu. Enfin, il s’émeut de son fils aîné et lui manifeste sa générosité. Car ce qu’il désire du plus profond de son cœur, c’est partager une unité d’être avec chacun de ses enfants. C’est parce que tu es avec moi, que tout ce qui est à moi est à toi, nous dit-il.
Charles Péguy écrivait : Si tous les exemplaires de l’Évangile devaient être détruits dans le monde, il faudrait que l’on garde au moins une page, celle qui relate la parabole de l’enfant prodigue pour comprendre enfin qui est Dieu : ce Père qui veille, qui attend, ouvre ses bras, pardonne et organise une grande fête pour le retour de son fils.
Voilà de quoi faire réfléchir à la manière dont nous nous représentons Dieu. Si pour moi Dieu est un dictateur qui n’agit que selon son bon vouloir, je ne puis que me rebeller ou être son esclave. En tant qu’ouvrier, en tant qu’esclave, je ne compte pas, je suis en faute, je n’en fais jamais assez. Si je me rebelle, il me faut me cacher, fuir et terminer ma vie loin de lui. Deux attitudes qui m’emprisonnent terriblement.
Mais si pour moi Dieu est un père au cœur généreux, alors je peux accepter de dépendre de lui, il ne me trompera pas. La vie qu’il m’a donnée, je puis la recevoir comme un don et non comme un dû. Que je sois dans l’inquiétude, le doute ou le chagrin, que je me sente perdue, éloignée, que je marche le cœur serré, son amour me précède, m’enveloppe et m’espère. Si Dieu est pour moi ce père qui laisse entière liberté à ses enfants, parce qu’il les aime et leur fait confiance, alors je puis moi aussi, être responsable de mon existence et vivre dans la joie et la reconnaissance en partageant sa tendresse.
Enfin, je crois qu’il y a une troisième manière d’être fils. C’est celle qu’incarne le personnage qui se trouve en filigrane de cette parabole. Jésus, le Fils qui fait la joie de son Père, le Christ, Fils par excellence, qui est en pleine communion avec son Père. Tout ce qui est à moi est à toi, lui a promis son Père, et il est heureux, reconnaissant, débordant de joie de vivre avec son Père. Lui aussi dissipe ses biens, et dispense sa vie à tous ceux qui l’accueillent et acceptent ce que donne le Père. Le secret pour partager la joie de Dieu ? Marcher sur les traces de son Fils, pour inventer avec lui un monde plus humain et plus fraternel.
Édith Wild
Cantiques
Nous venons près de toi : Arc 644
Esprit du Père, Esprit du Fils :Arc 513
¼ – Service des Lecteurs – SL – 30 – 10.07.2011 – Edith WILD