2011. 04a : 4e dimanche après la TRINITE (a)

Dimanche 17 juillet 2011

« La communauté des pécheurs »

Genèse 50, 15 à 21

Le texte que nous venons d’entendre est tiré du dernier chapitre du livre de la Genèse. Il conclut la longue histoire de Joseph commencée au chapitre 37. Il en aura fallu du temps et des épreuves, jusqu’à ce que chaque membre de cette « famille divisée » prenne conscience de sa participation au mal, en saisisse la gravité, le regrette amèrement, accepte de réviser sa position et soit prêt à assumer toutes les conséquences de son acte, avant de pouvoir accueillir le pardon comme un don de Dieu, avec la conviction profonde que, dans sa grande miséricorde et son option pour la vie, Dieu a changé le mal en bien.

1. La genèse d’un crime:

Souvenez-vous ! Joseph était le fils préféré de Jacob. Un fils que ce vieux père avait vu naître après une longue attente. Au quotidien cette élection ne passait pas inaperçue. Un exemple ? Tandis que ses frères aînés travaillaient dans les champs et campaient près des troupeaux, Joseph vivait sous le toit paternel comme un « petit prince ». Sa célèbre tunique excitait bien des jalousies. Ne manifeste-t-elle pas ostensiblement que Joseph ne passait pas sa vie au contact des animaux et de la glèbe, mais auprès des contrôleurs, des administrateurs et des décideurs qui assurent le suivi de la production, des achats et des ventes ? N’est ce pas dans cet esprit que, sur l’ordre de son père, Joseph s’était rendu dans la champs pour recueillir sur le terrain toutes les informations utiles à la bonne marche des affaires ?
Le risque était grand qu’un tel statut ne fasse « tourner la tête » à son bénéficiaire. Ses songes en témoignent:

« Écoutez donc, le songe que j’ai eu. Nous étions entrain de lier des gerbes en plein champ, quand ma gerbe se dressa et resta debout. Vos gerbes l’entourèrent et se prosternèrent devant elle.  » (Genèse 37, 6 à 7).

« Voici, j’ai eu encore un songe: le soleil, la lune et les onze étoiles se prosternaient devant moi. » (Genèse 37, 9)

La publicité que Joseph orchestra autour de ses rêves, ne provoqua pas l’enthousiasme espéré auprès des autres membres de la famille. Bien au contraire. Touchés au vif, par tant d’inconscience, les frères de Joseph n’avaient plus du tout envie de sourire. Submergés par la colère, ils étaient à présent bien décidés à se débarrasser de ce rêveur prétentieux. Une mise à mort discrète devenait une solution envisageable.

2. Une occasion à saisir:

L’arrivée inattendue de Joseph dans leur espace de vie et de travail n’était-elle pas un signe providentiel pour passer à l’acte? Il aura fallu l’intervention de Ruben, le frère aîné, pour stopper l’emballement et retarder l’irréversible. Après avoir jeté Joseph dans un puits, ses frères continuèrent à ruminer leur projet en partageant leur funeste repas.
Mais voilà que le passage d’une caravane de marchands faisant route vers l’Égypte fut considéré comme une nouvelle chance. C’est Juda qui sut tirer profit de la situation. Plutôt que de commettre un « crime de sang » impardonnable, ne valait-il pas mieux laisser la vie à Joseph et se débarrasser de ce dernier en le vendant comme esclave ? Ainsi l’orgueilleux sera puni et leur vengeance assouvie.

Une fois le marché conclu, il suffisait de s’emparer de la fameuse tunique, de la lacérer, de la tremper dans le sang d’un animal et de l’envoyer à leur père Jacob en lui expliquant non sans malice:

« Nous avons trouvé cela. Reconnais si c’est la tunique de ton fils ou non. » (Genèse 37, 32)
Tout cela bien sûr dans le dessein que Jacob parvienne lui-même – non sans culpabilité – à la conclusion accréditant la thèse de la mort accidentelle de son fils. Scénario parfait, sans doute, mais au prix de quelle imposture ?

3. Une ascension sociale exemplaire:

Comme projeté, la vie de Joseph allait se poursuivre en Égypte, où le jeune esclave trouva rapidement des maîtres. Les qualités du jeune homme furent appréciées, ses dons reconnus, tant et si bien que sa bonne réputation parvint – après bien des péripéties – jusqu’au palais. C’est là que le Pharaon le convoqua pour lui faire part de ses visions.

« [Le pharaon] se tenait au bord du Nil et voici que du Nil montaient sept vaches belles d’aspect et bien en chair…puis sept autres vaches montèrent du Nil après elles, vilaines d’aspect et efflanquées. Elles se tinrent à côté des premières sur la rive du Nil, et les sept vaches vilaines d’aspect et efflanquées dévorèrent les sept vaches belles d’aspect et grasses… » (Genèse 41, 1 à 4).

« Voici que sept épis montaient d’une seule tige, gros et appétissants. Puis sept épis grêles et brûlés par le vent d’est germèrent après eux, et les épis grêles absorbèrent les sept épis gras et gonflés…. » (Genèse 41, 5 à 7).
Émerveillé par l’intelligence et la sagesse des interprétations que Joseph donna de ces rêves, le Pharaon lui confia l’administration de ses biens. Il s’agissait d’organiser le pays pour tirer le meilleur parti des sept années d’abondance, afin de faire face à l’arrivée annoncée des sept années maigres qui vont être difficiles à vivre pour tout le monde. Il était prévisible que les peuples voisins qui n’auraient pas réussi à constituer des stocks suffisants, se verraient contraints de gagner l’Égypte pour s’y ravitailler au prix fort, obtenir l’autorisation de travailler pour survivre, voire devenir esclaves, s’ils avaient contracté des dettes et ne parvenaient plus à les rembourser.

4. Des rencontres éprouvantes et révélatrices:

Les années de disette et de famine n’ont épargné ni le pays de Canaan, ni la famille de Jacob. Aussi le patriarche demanda-t-il à ses fils de faire comme tout le monde et de se rendre en Égypte pour s’y ravitailler en blé et assurer ainsi la survie de la famille.

À cette occasion, les chemins des frères séparés allaient à nouveau se croiser. Joseph reconnut le premier ceux qui l’avaient vendu et laissé pour mort. Bien qu’heureux de ces retrouvailles, il n’en montra rien et fit tout pour ne pas se faire reconnaître des siens. Sans doute voulait-il en savoir un peu plus sur ce qu’ils étaient devenus, comment ils avaient évolué durant toutes ces années et de quelle manière ils réagiraient aujourd’hui face à des situations délicates, des exigences limites, des accusations graves et injustifiées.

Pour en avoir le cœur net, Joseph soumit les siens à un certain nombre d’épreuves. Celles-ci devaient lui permettre de constater comment chacun d’entre eux souffrait toujours de la faute commise, s’en expliquait sans fard, et aspirait à un dépassement…tout en ne voyant pas très bien comment cela pourrait être possible, puisque le mal avait été commis, qu’il était irréversible et que la tache demeurerait indélébile.

C’est ainsi, qu’à la suite de ces différentes épreuves, l’ensemble de la famille de Jacob se retrouva en Égypte. Et Joseph put enfin pleurer de joie en les voyant tous réunis autour de lui, affectés par le mal commis, le regrettant amèrement, et usant de tous les moyens en leur pouvoir pour ne pas commettre les mêmes erreurs. Ce fut le moment choisi par Joseph pour révéler à ses frères qu’il était celui dont ils avaient voulu se débarrasser. Mais heureusement Dieu était intervenu à plusieurs reprises pour changer en bien le cours d’une histoire si mal engagée.

5. Une révision de vie pleine de promesses:

En relisant l’histoire des hauts et des bas de sa vie, Joseph ne se laissa pas dominer par le mal qu’il avait subi. Au contraire, étape par étape, il a eu l’occasion de discerner la continuité et la multiplicité des bienfaits de Dieu. Au point de pouvoir confesser:

« C’est Dieu qui m’a envoyé en Égypte avant vous, pour vous conserver en vie » (Genèse 45, 5).
Cette conviction profonde – contrairement à ce que craignaient les frères de Joseph – ne fut pas remise en question par la mort du Patriarche Jacob. Tout simplement parce qu’il ne s’agissait pas ici d’une affaire de clan, mais bien – à travers l’histoire particulière d’un clan – de l’affaire de Dieu: de son alliance, de ses promesses et de ses bénédictions pour l’avenir d’un peuple.

« Ne craignez point. Suis-je en effet à la place de Dieu?  Vous avez voulu me faire du mal, Dieu a voulu en faire du bien: conserver la vie à un peuple nombreux ». (Genèse 50, 20)

Conclusion.

Les récits de l’histoire de Joseph ne décrivent pas une famille unie et parfaite. Les jalousies,
les conflits, les humiliations et les désirs de mort sont nombreux. Et pourtant, au milieu de toutes ces imperfections, à travers toutes ces faiblesses et fautes, les promesses de Dieu se réalisent et sa grâce se manifeste. Si bien qu’une réconciliation en profondeur peut se vivre, une espérance renaître et une solidarité se mettre en place.

Dans le même esprit, le verset de la semaine nous invite à reconnaître, à nommer et à porter les fardeaux les uns les autres, en ayant l’humilité de ne pas vouloir les porter seuls avec nos propres forces, mais en les plaçant aussi – comme le Seigneur nous y invite – devant Dieu. Ainsi, nous pourrons continuer à nous rencontrer, à nous accepter avec nos différences et à vivre ensemble devant Dieu dans un esprit de liberté et de responsabilité. Amen.       

Jean ARBOGAST

CANTIQUES: ALLELUIA :

22/09, 43/06 (ARC 405), 45/01(ARC 608), 47/12

¼ – Service des Lecteurs – SL – 31 – 17.07.2011 – Jean ARBOGAST