MA MERE M’A DONNE POUR LIRE UN PETIT LIVRE

MA MERE M’A DONNE POUR LIRE UN PETIT LIVRE
   Mir hat meine alte Mutter ein kleines Buch gegeben

                               Carl Busse


1. Ma mère m’a donné pour lire un petit livre:
« Prends-le : il est utile pour mourir et vivre. » 
Ses yeux suppliaient avec humilité et douleur.
Je l’ai emporté jusqu ‘en Pologne, de bon cœur.

2. Arrivé au quartier, je l’ouvris et je lus.
Entre cartes et fumée de tabac, il me plut.
Du petit livre émanait une sérénité :
Le Seigneur Jésus y traversait la Galilée.

3. Depuis, j’ai parcouru de durs chemins avec lui.
Il m’a dit : « Je suis ton frère. » Habillé de gris,
Il marche dans nos rangs, avec nous, au combat,
Avec nos ennemis, et ma mère là-bas.

4. Le petit livre est bien râpé, humide, taché.
Les gros doigts du soldat l’ont souvent feuilleté.
Peut-être terminera-t-il dans une tranchée,
Ou bien le vent de Russie va-t-il le disperser.

5. Si un jour je rentre dans ma patrie, à bon port,
J’emmènerai ce camarade pour la vie et la mort.
Si je dois mourir ici, dans l’uniforme gris,
Alors saluez ma mère et dites-lui merci.

Texte

Mir hat meine alte Mutter ein kleines Buch gegeben
Carl Busse 1872 Lindenstadt/Posen -1918 Berlin
In Vater, du führe mich
Ein Konfirmandenbuch, 1917 ungefähr,
noch in der Kriegszeit. S. 69
fr. :Yves Kéler 15.3.2014 Bischwiller

Texte original

1. Mir hat meine alte Mutter ein kleines Buch gegeben :
Mein lieber Sohn, so nimm es hin, es ist für Tod und Leben
Sie bettelte mit Blicken in Demut und in Weh
Da hab ich’s wahrlich mitgeschleppt bis weit in Polens Schnee.

2. Und einmal im Quartiere schlug ich es auf und las.
Bei Tabaksqualm uns Kartenschlag, da war viel Lärm und Spass.
Doch aus dem kleinen Buche eine Stille mich umfing,
Darin allein Herr Jesus durch Galiläa ging.

3. Nun hab schwere Wege seitdem mit ihm gemacht.
Er sprach: ich bin dein Bruder. Er zog mit mir zur Schlacht.
Als grauer Kamerade marschiert in den Reihn.
Er wird auch bei der Mutter und tapfren Feinden sein.

4. Feucht, fleckig und zerschlissen ward längst der kleine Band.
Schwer blättert in den Seiten grobe Soldatenhand.
Wer weiss, in welchem Graben sie bald verloren sind
Und wann die letzen Fetzen verwehn in Russlands Wind.

5. Doch kehr ich einst zur Heimat, es klirrt und klingt mein Schritt:
Ich bring einen Kameraden für Tod und Leben mit;
Und muss ich vorher sterben – sterben im grauen Tuch -,
Dann grüsst mir meine Mutter : ich dank ihr für das Buch.

Le texte et l’auteur

L’auteur, Carl Hertmann Busse, est connu comme critique littéraire. Il a écrit des textes en prose. Il a aussi été un poète. Il a publié aussi sous le pseudonyme de Fritz Dönning. Il prit part à la guerre de 14 en 1916, comme membre du Landsturm (levée populaire de réserve) et fut décoré de la Croix de fer de 2e classe. Il mourut à Berlin de la grippe espagnole. Il est enterré à Berlin-Kreuzberg, au cimetière de Friedrichswerder.

De son épouse Paula Sara Jakobsen il eut deux filles, Ute et Christine. Sara loua en 1924 le rez-de-chaussée de sa maison à Dora Diamant et Franz Kafka, sous le nom de Dr. Kaesbohrer. Paula Busse fut déportée par les nazis dans le ghetto de Theresienstadt (Terezin) en Bohème. Elle survécut au camp.

Le frère, Georg Busse-Palma était aussi écrivain. Il a donné son nom à la « Busseallee – Allée Busse », à Berlin.

Busse a collaboré avec une équipe de littérateurs et de scientifiques aux albums d’images du producteur de chocolat Ludwig Stollwerck, appelés « Stollwerck-Sammelbider –Collection d’images Stollwerck.» Ces albums d’images à coller à l’intérieur de textes explicatifs étaient courants à l’époque et certains sont des chefs-d’œuvre photographiques et textuels. Ils étaient édités par de grandes marques de chocolat, biscuits ou cigarettes.

La date du poème est 1916 ou 1917. La guerre n’est pas terminée, puisqu’il parle de revenir un jour dans sa patrie ou de mourir au front.

Le texte du poème montre une scène typique de la guerre et la pitié populaire de l’Eglise protestante, basée sur la Bible. « J’ai reçu de ma vieille mère » dit-il. Est-ce autobiographique ? Busse, né en 1872 , avait 44 ans en 1916, et faisait partie de la réserve. Sa mère avait alors au moins 64 ans. Décrit-il une histoire survenue à un autre, comme une évocation poétique ? Toujours est-il que le ton est juste. La lecture de la Bible le remplit de « Stille – calme, silence, sérénité. » Le bruit autour de lui ne le dérange pas, comme pour la plupart des soldats habitués à des bruits divers plus ou moins forts. Avec le Christ il marche à travers la Galilée, complètement ailleurs que dans son « quartier », en des lieux silencieux.

Un trait courant chez les soldats, entre autres germaniques, est que le Dieu les accompagne à la guerre, combattant parfois lui-même. Jésus est décrit dans l’épopée du Heliand comme un chef à cheval menant ses douze disciples également montés. Ici le Christ marche dans les rangs, en uniforme gris, le « Feldgrau – gris de campagne », qu’on portait à la guerre pour être moins visible. L’uniforme normal des soldats allemands était bleu ou noir selon l’arme.

Les lieux sont aussi décrits : la maison de la mère, la Pologne, la Russie, les tranchées. Il parle de sa mère, ne cite pas le père. Est-il mort ? Mais pour notre poème, dont l’action se passe entre la mère et le fils, le père n’est pas nécessaire.