DEVANT TA CRECHE PROSTERNE (rév) 1785-1839, Noël

NOËL

           DEVANT TA CRECHE PROSTERNE
         Rév. de « Devant ta crèche prosterné »

          Mél : Ich steh an deiner Krippe hier




1. Devant ta crèche prosterné,
Je viens te rendre hommage ;
Enfant divin qui nous es né,
Je t’aime sans partage.
Je n’ai rien qui ne soit à toi,
Dispose à ton bon gré de moi,
Car je suis ton ouvrage.

2. Avant que je n’aie vu le jour
Mon âme te fut chère ;
Tu vins à moi dans ton amour,
En devenant mon frère.
Avant que ta main m’eût formé,
Tu t’engageas, mon bien-aimé,
A porter ma misère.

3. Les lourds fardeaux que j’ai subis,
Enfant, tu me les ôtes ;
« Je suis, dis-tu, moi, ton ami,
En réparant tes fautes.
Alors pourquoi t’inquiètes-tu ?
Mon sang sera, pour ton salut,
Au péché l’antidote. »

4. Les biens, les gloires d’ici-bas,
Sont-ils ce qui t’attire ?
Seigneur, tu cours vers ton trépas,
Tu nais pour le martyre,
Pour procurer par ta douleur
A ma pauvre âme la splendeur   (ardeur, vigueur)
A laquelle elle aspire.

5. Jette un regard aimant sur moi,
Accorde-moi la grâce
Qu’inséparable enfin de toi
Je te serre et t’embrasse.
Choisis mon cœur et dès ce jour
Pour crèche et pour ton saint séjour
Et viens y prendre place.

6. Comment te recevoir, Seigneur ?
La distance est extrême
De la poussière au Créateur,
Du sol au Dieu suprême.
Jésus, tu as tant de bonté,
Que tu n’as jamais rejeté
Un pauvre cœur qui t’aime.


Texte

Devant ta crèche prosterné
en six strophes sur 15 de l’original
d’après Ich steh an deiner Krippe hier
Paul Gerhardt 1653
dans Psalmodies moraves, en 6 strophes
1785 – 1839 : n° 31, 1862, n°
original allemand non signalé
traducteur non signalé
rév. : Yves Kéler, 4.8.2014 Bischwiller

Mélodie

Ich steh an deiner Krippe hier
Bach Jean-Sébastien 1736
(1685-1750)
RA 33, EG 37
fr. : Devant ta crèche tu me vois ABD 502
      absent des autres livres français

Le texte

     L’original de ce chant est un cantique de Paul Gerhardt :  » Ich steh an deiner Krippe hier », qui compte 15 strophes.  

        Le texte de la traduction donné ici est l’assemblage de trois sources.

        1.  LP 100 Devant ta crèche, tu me vois : strophes LP 1 = 1 Kéler
                                                                                      2 = 3 
                                                                                      3 = 6
        2.  LP 104 Devant ta crèche prosterné :    strophes LP 2 = 5 Kéler
                                                                                      4 = 4
        3.  Georges Pfalzgraf                                                      2

        Les deux premières sources proviennent de textes du LP, l’un de Ch.Ecklin, 1858-1935, l’autre des Psalmodies Moraves de 1766. Je n’ai pas réussi à trouver les textes originaux pour l’instant. Mais l’édition de 1785, puis 1796 et 1839, donne un texte en 6 strophes, dont les formes de LP sont un raccourcissement à 5 strophes. 

       On remarquera que les strophes de ces chants sont le reste de traductions complètes et précises, puisqu’on peut identifier chaque strophe en la comparant à l’original allemand. C’est ainsi que j’ai reconstitué l’ensemble, en ajoutant pour la 2ème strophe, manquante dans LP,  celle d’une traduction de Georges Pfalzgraf. De cette façon, les strophes allemandes et françaises se correspondent, matériellement et textuellement. La traduction des trois auteurs étant excellente, on a une bonne idée de ce qu’est le chant de Paul Gerhardt en entier.

        Paul Gerhardt a composé là une des plus belles évocations du croyant devant la crèche du Christ.

        Il y a d’abord la dimension mystique, qui fait rapprocher la crèche du cœur du fidèle, dans la 1ère strophe. Plusieurs termes, tels que : amour, amitié profonde (str 2), m’attacher à toi (str 3), te recevoir (str 4), tu viens m’offrir (str 5), choisis mon cœur pour ton séjour (str 6), montrent le lien étroit, spirituel, aimant, presque physique, entre le fidèle et le Christ.

        Cette mystique personnelle n’est pas subjective. Elle est basée sur l’objectivité du salut. Là aussi, le vocabulaire le montre : Jésus, divin Sauveur (str 1), Je n’étais pas encore né, dans ta prescience tu savais (str 2), Tu viens pour m’attacher à toi (str 3), La distance est extrême (str 4), Seigneur, tu marches vers la croix (str 5), Accorde-moi la grâce (str 6). Le salut est l’œuvre de Dieu et du Christ, mais accompli avec tant d’amour pour la créature, que celle-ci ne peut que recevoir ce Christ et le contempler dans sa crèche, et dans son cœur, qui en est le miroir.

        L’ensemble est une prédication sur l’œuvre de salut de Dieu, commencée avant la création du monde. On retrouve la thèse johannique du logos, présent de toute éternité auprès de Dieu, et que Dieu réserve pour accomplir le salut de la créature. Ce logos devient chair et apparaît visible au monde dans la crèche : Jean 1/14. Cette lecture est celle du premier jour de Noël, le 25.12. Le texte du chant est relié au culte et à la communauté par cette lecture. Ce qui fait que ce cantique, écrit en  » Ich-moi « , devient le chant de toute la communauté et exprime son attachement au même Christ. Le texte, malgré sa forme, n’est pas individualiste.

La mélodie

       Elle est de Jean-Sébastien Bach, probablement la plus belle de celles qu’il a faites. Bach a fait peu de mélodies de chorals, il a surtout illustré celles des autres.

        La mélodie est très descriptive : elle monte en une belle courbe tendue, et descend de la même manière. Cette double courbe ascendante et descendante est répétée, selon la formule classique du choral. Dans la partie oblique, Bach reproduit énergiquement cette courbe montante et la répète, prolongeant la répétition de la partie directe. Il achève par une élégante courbe montante, qui retombe en ralentissant, comme une révérence, et prépare le nouveau départ de la strophe suivante.

        La mélodie suit le mouvement ascendant et descendant du texte :

        courbe mélodique montante           courbe mélodique descendante   
        texte à mouvement ascendant        texte à mouvement descendant

        Devant ta crèche, tu me vois,        Penché sur ton visage
        Tout ce que j’ai, je te le dois,        Je veux t’en faire hommage
                 Prends-moi tout entier,        prends mon cœur,  
                                 A toi Jésus,         divin Sauveur
                        J’appartiens sans          partage.

        Il faut chanter ce texte avec une certaine intériorité, et ne pas aller trop vite. Laisser la mélodie s’étendre. Se rappeler que ce chant est la production de deux génies, l’un poétique, l’autre musical, et qu’ici on a affaire à un sommet du choral luthérien, à la théologie puissante et à la mystique profonde.